Il devait l'admettre, c'était une surprise. Jamais il ne se serait attendu à une épreuve de ce genre dans la licence de droit et politique. Enfin, tant que ça l'aidait à s'occuper avant le solstice, tout était bon à prendre. Plus l'échéance approchait et plus il devenait tendu. A ce rythme, il exploserait à la mi-novembre. Chassant ces pensées défaitistes, il poursuivit son chemin, s'arrêtant enfin devant la salle qui lui avait été assignée.

En avant.

Il franchit le seuil d'un grand pas et immédiatement la porte se referma derrière lui. Rassurant. Observant la salle, son regard fut accroché par une chevelure d'un rose éclatant et sa propriétaire aux origines visiblement asiatiques. Il aurait pu la trouver jolie, si elle n'avait pas été...

Zheng.

Le ton donnait à ces mots l'air d'une navrante constatation. Il savait qui elle était, bien sûr. Il connaissait tout le monde. Même ceux à qui ils n'avait jamais adressé la parole. Et pour cause, il ne fréquentait pas les hybrides. Encore mois ceux qui refusaient obstinément de s'écraser.

Il se dirigea vers la feuille, y lut le message des plus laconiques et sourit. Il pouvait gagner ce débat. Allant s'assoir face à elle, il la fixa avec ce petit air satisfait qu'ont ceux qui croient avoir déjà la victoire à portée de main. Irritant à souhait.

Inutile de lutter contre des évidences. Tu peux admettre la supériorité sorcière tout de suite, ça nous fera gagner du temps.

Gagner sans combattre, n'était-ce pas la meilleure forme de victoire ?

Elle l’observe et il la fixe pendant cet instant trop long. Son attitude est claire, il n’a pas peur d’elle. Il se sent confiant et en position de force. Dans son esprit, c’est plutôt elle qui devrait le craindre lui. Mais il la laisse parler, sans interruption. Puis, il se lève sans un mot. N’ayant même pas tiqué face à l’insulte.

Il commence par enlever sa veste et la poser sur le dossier de sa chaise. Puis, il défait un bouton de sa chemise, donne un peu de mou à sa cravate aux couleurs des serpents. Il replie les manches de sa chemise, exposant la peau nue de ses bras. Puis, en quelques coups de baguette, dégage l’espace autour de leur table afin d’y circuler à son aide.

Alors, il se met à arpenter lentement l’espace autour de leur place, débutant d’une voix basse qui force son adversaire à lui prêter attention.

Je n’ai pas besoin d’un plaidoyer pour te convaincre d’une réalité. En fait, je pense que si on te laisse assez de temps, tu vas en faire la démonstration toi-même, de cette faiblesse inhérente aux hybrides…

Il se rapproche, pose les deux mains sur la table, et tourne la tête dans sa direction. Moins d’un mètre les sépare, désormais.

… les pulsions monstrueuses dont vous êtes esclaves. Ces envies malsaines qui affectent les lycanthropes à la pleine lune et les poussent à semer la mort, ou cette soif de sang irrépressible qui t’afflige. Cette forme de désir destructeur contre lequel vous ne pouvez absolument rien.

Une plaie pour la société des sorciers, en vérité. Il en était parfaitement convaincu. Ces pulsions tuaient des sorcières et sorciers chaque année et mettaient parfois à mal la notion même du secret magique. Bien que lui-même n’y soit pas spécialement attaché, il comptait sur une révélation des sorciers au monde qui serait organisée, pas provoquée par les erreurs d’hybrides trop voyants.

Plus longtemps nous resterons ici et plus tu risqueras de perdre le contrôle. Au final, tout ça ne repose que sur un point : lequel d’entre nous mourra de faim le premier.

Il avait gagné à l’instant où il avait pénétré dans cette pièce. Si elle cédait à ses pulsions, elle perdait. Et lui-même ne renoncerait pas. Bon, il risquait d'y laisser la vie aussi, mais c'était un risque à courir. Les organisateurs du test les laisseraient-ils aller si loin ?

Il ne lui accorda qu’un regard dubitatif et adopta une attitude où se mêlaient de manière évidente la déception et l’ennui. Pour un peu, on l’aurait encouragé à faire du théâtre. Mais ce club était trop mal fréquenté. Si c’était tout ce qu’elle avait pour contrer ses arguments, il allait s’ennuyer.

Tu ne trouves pas ton argument fallacieux ? Donnons donc toute la nourriture et l’eau nécessaire à nourrir des sorciers aux vampires et voyons s’ils arrêtent de s’en prendre à des êtres pensants.

Ce qui, rappelons-le, s’appelle une agression et est un crime. Car c’était là que se trouvait le réel souci, les victimes n’étaient pas des animaux à l’intelligence limitée, mais des personnes conscientes, dotées d’un intellect réel. Certes plus réel pour certaines que d’autres, oui, mais réel tout de même.

Ce n’est pas moi qui risque l’emprisonnement dans ce qui est globalement l’Enfer sur Terre au moindre faux pas. Mais si, pour toi, cela ne représente pas grand-chose, alors soit.

Il haussa les épaules. Agression, meurtre, etc. Tout cela était puni par la justice de ce monde également. Il était bien placé pour le savoir. Néanmoins, il enfonça le clou.

Je suis certain que cela fera énormément de bien à ta cause.

Le dégoût dans ces paroles était perceptible sans peine. Quant aux autres espèces hybrides, il ne voulait même pas imaginer comment elles étaient conçues. Cela suffisait à lui donner la nausée. Il fallait vraiment être un déviant pour s’accoupler avec ces êtres et engendrer des créatures sous-humaines. Un jour, heureusement, ce ne serait plus une option pour personne. Le sang coulerait pour le bien de l’humanité.

Il resta silencieux, afin d’être sûr qu’elle n’allait pas ajouter autre chose d’insensé ou complètement biaisé. Non, c’était tout. Il poussa un long soupir.

Si tu n’es pas capable de comprendre la différence entre se nourrir d’êtres pensants et se nourrir d’autres aliments, je ne peux rien pour toi.

Il fit glisser la feuille dans sa direction. Cela avait assez duré. Le ton montrait clairement son ennui.

Renonce au lieu de me faire perdre mon temps.

Il n’aimait pas arguer avec des personnes visiblement dans l’erreur et refusant de le reconnaître. Il n’y avait rien à en tirer. Elles campaient toujours sur leurs positions. S’efforcer de leur arracher des arguments valides ou démonter leurs idées ridicule ne servait à rien. C’était du temps qu’il préférait consacrer à des activités plus utiles.

Même nos lois vont dans mon sens. Il ne sert à rien de t’obstiner.

Dans le doute, revenir à la base. Les textes étaient clairs sur le fait que toute forme de violence envers un être humain était un crime. Tuer un poulet pour le manger n’en était pas un. Pareil pour un légume.

Quant à ma dépendance à la chasse, je ne sais même pas d’où tu sors ça.

Il ne voyait sincèrement pas d’où sortait cette idée. Il n’avait jamais eu à chasser quoi que ce soit de toute son existence. Même les gnomes étaient les proies d’Hector, à la maison. Lui était le genre de personne à avoir les mains propres. Pas un chasseur. Ça, c’était le job d’Atlas. Tuer les monstres était la tâche des Priest, plus qu’un hobby, c’était une tradition familiale, apparemment. Même s’il avait du mal à imaginer Arsene en train de donner la chasse à un loup-garou. Enfin, la magie offrait des avantages redoutables qu’un physique de sportif était bien en peine d’accorder. Passons. Ce n’était pas le sujet.

Un peu dépassé par le ridicule de tout ce cirque, il s’éloigna et alluma une cigarette pour se détendre. S’abîmant dans le paysage qui s’étalait par la fenêtre en attendant qu’elle admette la défaite et l’écrive en toutes lettres. Il lui tournait le dos sans crainte. Sûr d’être trop intouchable pour qu’elle tente quoi que ce soit.

Le silence s’éternisait. Encore et encore. Adrian fumait pensivement, patient, attendant d’entendre le grattement de la plume sur le parchemin qui signalerait sa victoire. Il avait gagné en entrant dans cette pièce, tout cela n’était qu’une formalité. Une perte de temps, en vérité. Quel bien cela pouvait-il faire ? Il n’y avait ni juge, ni jury. Aucune autorité capable de faire comprendre à la tête de mule qui lui servait d’adversaire que, d’une manière purement objective, ses arguments ne valaient pas la crasse sur les ongles d’un gnome de jardin.

Tout cela n’avait fait que confirmer sa pensée. Cette vérité que lui avait enseigné Matthew et qui se révèlait encore plus réelle qu’il ne l’aurait cru. Non seulement les êtres magiques singeaient l’humanité et ne possédaient pas une réelle forme d’intelligence, mais leurs enfants hybrides semblaient partager ce trait.

Sa cigarette se consuma et il fit disparaître cendres et mégot d’un rapide « Evanesco ». Officiellement, ce genre de chose n’était pas toléré dans l’établissement, même s’il était loin d’être le seul à s’en moquer éperdument. Il hésitait encore à en allumer une seconde lorsque la porte s’ouvrit enfin, laissant paraître un professeur.


Du point de vue d’Adrian, il avait de la chance qu’ils ne se soient pas entre-tués. Haussa les épaules, le jeune sorcier ramassa ses affaires et désigna d’un signe de tête l’autre étudiante.

Elle est imperméable à la logique. Je crains que nous ne restions là indéfiniment si l’on continue ce petit jeu stupide.

Et, sans plus un mot, il sortit. Ce test ne comptait pas dans les évaluations pour le diplôme, aussi ne voyait-il aucune raison de s’éterniser. Et même s’il avait compté, ce n’était pas comme s’il ne pouvait pas se rattraper. Il était doué dans son domaine.