aux abords de la patinoire, les gens vivent et s’aiment, des paires et des paires toutes peintes de prétextes hivernaux – rouge au joue, cobalt au cœur, là où les écharpes partagées se rejoignent en nœuds affectueux.
Romeo aimerait lui aussi faire courir ses doigts sur les tendres lignes de laine bleue qui ondoient contre la nuque aimée, raccrocher entre eux les drapés d’airain brisés au creux du cou rosissant mais dans sa paume – il lui semble que la main de Ceres tremble un peu, ni chaude, ni froide ( et c’est sûrement lui ) alors
« Tu as déjà fait du patin Ceres ? Perso, sans vouloir me vanter, je suis assez doué – mais t’inquiète, je pourrais t'apprendre des figures »
Il essaye d’assouvir cette nuit singulière, trop belle pour être bien sérieuse – mais le froid bat ses cartes, et résonne tout autour d’eux de chuchotements rieurs et de non-dits amoureux.
Il est rare que Romeo oublie son texte, mais l’hiver s’éternise heureusement avec Ceres, et il ne peut plus s’empêcher de songer au retour du printemps, depuis que Pan en a semé les graines…
Il ose la contempler un instant – ces derniers temps, la regarder sans oser est devenu plus difficile – il cherche sur ses pommettes ce rouge frémissant dont il rêvait encore secrètement au début de l’année – mais il fait désormais trop sombre. Il ne voit pas d’étoiles sur les joues de Ceres.
« je vais t’aider à mettre tes patins »
Il pense – aux sourires statuaires de Pan, à ces tableaux lointains où ses doigts entre les siens remplaçaient ceux de Ceres – lorsqu’il guidait princier la main aliénée avec assurance et autorité – et alors, il y a ce doute timide et délicat qui serpente ses ramures tout au fond de son ventre : sans doute – il n’y a pas de place côté jardins pour les Romeo de son genre.
« Ceres » il tire sur les lacets, doucement, ne pas lui faire mal, Ceres est fragile, fragile, fragile, sa mère ne voudrait pas que Romeo l’abîme « désolé pour aujourd’hui j’ai été nul. »
sans doute – il n’y a pas de Romeo pour Ceres. Pan est bon conteur.
« Je t’ai fait perdre ton temps. En fait (et voilà, la boucle est bouclée) je te fais peut-être perdre ton temps tout le temps. »
Il se tait – pour une fois, il n'a rien à dire.
Ceres – mérite bien plus qu’un Romeo dans son genre.
il y a deux vaguelettes dans tes yeux qui inondent toute ma planète
il semblerait que l’on ait tiré un éperon très noir par-delà le front de romeo : qu’il n’a pas attendu la nuit tombée pour voir choir devant ses propres yeux les oripeaux de sa bonne humeur ; ceres a assisté en silence à la mort de la lumière, ponctuant de regards clairs l’avènement d’un chagrin étranger - elle ne comprend pas bien ; elle en discerne seulement la silhouette depuis le contre-jour hivernal, mais l’obscurité qui le baigne suffit à la faire trembler.
ceres n’a pas froid. il fait bon, pour un soir de novembre.
leurs pas résonnent autour du lac et ce n’est pas le silence qui lui pèse mais plutôt l’immense conflit qui semble se jouer sans qu’on ne l’en ait avertie - quand romeo prend la parole, elle sourit sincèrement mais elle ne sait pas si c’est le cas pour lui.
- avec plaisir.
mais elle ne sait pas - si c’est le cas pour lui. il est vingt heures passées et la nuit fait comme une troisième compagne entre ceres et romeo.
mais est-ce vraiment elle ? ceres est encore troublée par l’absence de la lune pour les éclairer, après tout elle aussi regarde parfois romeo, et ce qu’elle y voit lui laisse un drôle de sentiment.
les yeux baissés cette fois-ci elle prend cet air attristé des gens qui sont perdus dans leurs pensées - sont-elle tristes, ceres ? aussi quand il l’interpelle, ah, relève la tête, un autre sourire, on a peut-être vu une étoile s’évanouir entre ses lèvres, merci.
quelque chose s’est anéanti dans son cœur quand elle lui a lâché la main pour s’asseoir, elle ne saurait pas dire quoi, pourtant ceres n’a pas peur du noir normalement.
son sourire s’est un peu gelé contre sa langue et ses paroles restées emprisonnées dans cet infime espace entre les mots et les sentiments - elle ne dit rien. quand elle l’entend parler elle semble se réveiller d’une transe de soir d’hiver.
ceres admire toujours romeo quand il s’adresse à elle mais cette fois-ci, en baissant son regard vers le sien, elle n’aperçoit que le triste reflet - emphasé, terriblement emphasé, des inquiétudes qui planent sur elle.
- quoi ?
tout à coup elle a - mille frissons qui lui viennent et des millions d’autres nuits sur le cœur - des éclairs et le vide du regard qui se fige sur un grand angle - son pied bouge, elle veut se lever mais ne peut pas. c’est pour le mieux, elle n’est pas sûre de pouvoir rester debout après ce qu'il vient de lui dire.
- t’as - t’as pas été nul du tout ? attends mais romeo
tant pis, elle l'arrache à son ouvrage et lui reprend les mains.
- qu’est-ce qui se passe ? tu t’es pas dit- tu as quelque chose à me dire ?
son regard crie pour elle quand sa voix reste délicate, cassée et anéantie.
De jolis doigts papillonnent désormais autour de ses poignets enchaînés – Ceres sans effort a rattrapé sa tentative de fuite, très délicatement et avec indulgence – mais Romeo ne mérite rien ! pas de pardon pour les pêcheurs ! – les mains jointes au creux des siennes il prierait presque pour une malédiction définitive – une césure simple, tragique et tendre – mais ainsi agenouillé à l'orée des indulgences délicates, Romeo n'a plus le cœur à rompre la chaîne des coercitions consolatrices – il n'a pas le courage d'être lâche – et soutient le regard pressant d'innocence
– Non, enfin (comment transiger avec l'insistance silencieuse de Ceres, son amène mutisme frémissant d'émois) oui – écoute... (il s'autorise à baisser les yeux, respirer un peu en marge des prunelles gentiment inquisitrices) ces derniers temps je pensais, tu vois – au fait que – Ceres. Je t'aime beaucoup, mais – c'est compliqué...
C'en est un peu trop – pour Romeo accoutumé aux masques – ça n'est pas facile de se livrer sans texte – il se lève, quitte du bout des doigts l'étreinte réconfortante de son exécutrice adorable – sans oser s'en remettre encore au regard absolu, il trace du bout du pied de vagues lignes gelées qui n'excusent rien – ça n'est pas facile d'être sincère – car Ceres est digne de vérités autrement plus nobles mais – Romeo n'a plus le cœur à mentir encore.
– Tu sais que je m'en fous de l'avis des autres (irréaliste) – mais j'ai réfléchi ces derniers temps tu vois et – je ne veux pas que ça retombe sur toi – (un geste d’apaisement frivole) enfin c'est pas les élèves le problème, si jamais ils osent s'en prendre à toi je les défonce (idéaliste) – mais c'est par rapport à – je me disais en fait, voilà : peut-être que ta mère n'apprécierait pas si jamais elle savait qu'on traîne ensemble ?
Ni spectateur appréciateur ni souffleur réconfortant – Romeo se confronte seul à ses artifices, et pour la première fois sans doute – il regrette son égoïsme, car c'est vrai – au nom de Ceres ( et de Pan ) il ne mérite rien.
il y a deux vaguelettes dans tes yeux qui inondent toute ma planète
un voile cotonneux trouble sa vue et mue le paysage d’hiver en toile impressionniste - c’est impressionnant comme c’est rapide quand les lumières se fondent en flaque, en surface miroitante qui entoure la silhouette de romeo comme un halo - le regard de ceres s’en retrouve tout brouillé de sentiments liquides, elle ne pleure pas, mais ses yeux sont humides et comme pleins du gel fondu qui s’est accumulé sur ses cils - de fausses larmes iridescentes.
ça la rend toute confuse de voir romeo trébucher sur ses propres mots, sur ses yeux et sur la paume de ses mains - il fait piètre pantin à déambuler ainsi sur un fil invisible, tracé par-delà le vide de leurs mots d’amour. elle voudrait tendre les mains pour lui venir en aide, lui dire des mots d’amour pour combler le vide ! mais elle ne s’y résout pas, le mouvement lent de ses haut-le-cœurs s’est fixé au point culminant de ce qui lui est supportable, au bord mêmes des larmes qui coulent vraiment. ça la rend toute confuse - de voir romeo ainsi.
- quoi ? le mot tombe une seconde fois, simplement, comme une goutte. pourtant ceres s’agace un peu - pas contre lui, jamais contre lui, mais contre tout ce qui est entre eux - contre le monde. alors elle fronce un peu les sourcils et sa voix se casse ; à travers le bris filent quelques traînées bleues d'immense chagrin. elle aussi baisse un peu les yeux, songe - alors c'est de là que vient ce nuage gris qui pleut sur leurs cœurs tout petits... la pluie devient plus forte et ceres a comme un mouvement de rage qui reste absent, frappe et se meurt sur le coin de sa main. elle n'arrive pas à bouger et le ciel est très lourd au-dessus d'eux. et puis quelque chose bouge dans l'angle quasi-mort de ses yeux ; c'est pan qui t'a dit ça ?
son expression reste figée mais il s'y instille en silence une haine concrète, car c'est la même ombre qui bouge sur les yeux de romeo.
- romeo. faut surtout pas que tu l'écoutes, d'accord ? surtout si c'est pour qu'il te dise des trucs comme ça ! on s'en fiche de mes parents, ils sont pas là avec nous, ils - sa voix porte plus haut que romeo et se cogne au mur de lumière, son regard tangue et elle se calme un peu. mais ceres est sonnée pour de bon, frappée au crâne par sa propre colère. ils sont pas là romeo. alors ça va pas me retomber dessus, ils ont pas leur mot à dire et pan non plus ! de quoi il se mêle ? ça me-
ses mots se crispent et son regard cherche à nouveau le gentil vertige de celui de romeo, pour se rattraper au bord de ses yeux.
- ça me rend triste de te voir comme ça à cause de lui.
ses jambes battent en balançant les lacets défaits, qu'elle regarde en ponctuant sa phrase - ceres ressert vaguement son écharpe mais elle a toujours aussi froid, et il lui semble que la pluie tombe plus drue encore ; pourtant ses cheveux restent secs et légèrement électrifiés - elle entend des rires par-delà la bulle de peine qui s'est formée tout autour d'elle et ça lui rappelle que ce soir, c'est une soirée joyeuse comme tant d'autres.
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