Music makes everything better ft. Lux

Sibelius. Non, pas mon chat. L’autre, le vrai. Le compositeur à l’origine de mon concerto pour violon favori. C’est lui qui me tenait compagnie alors que j’étudiais la partition du second mouvement de la pièce en question pour m’occuper l’esprit. Serait-il mal de dire que j’étais soulagée que les événements récents n’aient pas, pour l’instant, atteint Ilvermorny ? Non pas que mon cœur ne soit pas en peine pour mes cousins français, mais il y a toujours un léger soulagement à savoir que la menace n’a pas encore frappé à notre propre porte. J’avais depuis réussi à contacter mes parents, mais n’avais pas pu me résoudre à leur expliquer ce qui se passait dans le monde magique. Ni le danger qu’ils couraient peut-être. Nettoyer le monde des moldus. Quel genre de monstre abominable pourrait bien penser à faire une chose pareille ? Enfin, il y avait bien un nom pour me venir en tête, mais je crois que ce n’est un secret pour personne.

Heureusement pour moi, il se trouvait justement que la chambre que je partageais avec d’autres demoiselles de mon âge était à mon entière disposition. C’est donc sans remords que je pouvais pratiquer, me complaire dans les couleurs de la mélodie. Sans craintes de déranger mon auditoire inexistant, je me permettais de reprendre une même phrase à plusieurs reprises, de la retravailler jusqu’à ce qu’elle me vienne naturellement. À en peaufiner le ton et à m’assurer que mes vibratos soient bien égaux. Un exercice demandant suffisamment de concentration pour ne pas voir le temps passer et laisser ma mélancolie, mon inquiétude, s’exprimer par la musique. Puis, lentement, l’intensité qui augmente et qui, plus vite cette fois, redescend. Peut-être devrais-je passer au troisième mouvement ? Je soupire, abaissant mon archet alors que, sur le lit, l’autre Sibelius allonge les pattes en bâillant. D’instinct je l’imite malgré moi, ennuyée par cette fatigue nouvelle.

Finissons plutôt sur l’un de mes petits plaisirs coupables, tant qu’à faire. Comme quand je chante sous la douche, il y a une chanson à laquelle je fini toujours par revenir, simplement car c’est une icone indémodable. Oui, c’est bien ça. My heart will go on, la fameuse chanson du Titanic, que je connais par cœur. Ça compte comme de la pratique, j’en suis certaine.

Comme toujours, cette pièce m’apportait un certain réconfort. Et non, il n’était pas que question de Céline Dion, même s’il s’agit d’un bon essai. Ces notes mélancoliques m’évoquaient une histoire trop familière, connue. Vécue. Celle d’une femme qui, suite à un amour immature et pourtant empli de passion, assiste au trépas de son aimé. Le regarde couler doucement au fond de la mer, à la différence que j’en suis repartie sans collier. J’ai regagné la terre ferme, seule, et, à l’image de Rose, vais devoir mener ma vie seule de mon côté. Tout ce qu’il me reste ce sont des souvenirs qui, avec chaque jour qui passent, se font plus distants. Mais ils sont toujours dans mon cœur, tout comme lui, and my heart will go on. Peut-être n’est-ce pas par hasard, au fond, que j’en reviens toujours à cette chanson. Comme une prière, une façon de prouver que je n’oublie pas, que je continue d’avancer sans pour autant abandonner ce qu’il m’a laissé. Je me souviens de toi. Entends-tu les pleurs de mon violon ? La solitude et le vide que mon vibrato cherche à combler ? La douleur qui me vrille le cœur alors que les notes plus aigues tentent de t’atteindre par-delà les cieux ?

Lorsque meurt la dernière note, j’éloigne mon archet des cordes et soupire. Mon abdomen est serré, mes mains tremblent doucement. J’aurais dû le savoir, ce n’était pas une bonne idée. Ce n’est plus une chanson que je peux jouer à la légère, simplement pour le plaisir de faire rouler les yeux. C’est devenu trop personnel pour que la blague me fasse toujours rire. Pour que le côté cheesy et cliché de la chanson la prive de sa beauté et des émotions qu’elle évoque vraiment. Ou alors peut-être que j’en fais trop, que je me laisse consumer par le fil tortueux de mes pensées. Je suis tentée de le croire, de mettre tout ça sur le compte de mon cœur exubérant et de ma nature mélodramatique. Une justification qui passerait mieux si j’étais effectivement la seule à souffrir doucement de ce drame évoqué par la musique. En effet, une arrivée inattendue me fait sursauter et me tourner vers la porte, le cœur battant la chamade. Sur mon lit, Sibelius a relevé la tête, ses oreilles tournées vers la nouvelle arrivante.

« Lux ? »

L’une de mes colocataires. On ne se connait pas énormément puisque je ne suis là que depuis le début de cette année et qu’elle semble plus absorbée par ses études que par les interactions sociales, mais elle ne m’a jamais donné l’impression d’être une mauvaise personne. Ainsi, lorsque je la vois au sol et en pleurs, je suis immédiatement investie, inquiète et prête à entrer en mode maman. Me désignant sous le nom de colocataire, la jeune femme annonce que ma musique lui fait le même effet que de couper des oignons. Oui, c’est évident qu’elle pleure. Ce qui est plus préoccupant, c’est que cette réaction sans doute émotionnelle la dépasse complètement. Ce doit être effrayant de ressentir quelque chose d’aussi fort sans en comprendre la cause. Je m’empresse donc de déposer mon instrument dans son étui, sans le fermer toutefois, et, les mains libres, rejoins Lux dans l’entrée de la chambre. Je m’accroupis à ses côtés, lui offrant un sourire qui se veut réconfortant et gratifiant l’un de ses bras d’une caresse tendre, mais légère. Je suis prête à arrêter mon geste au besoin, souhaitant la réconforter et non pas la mettre encore plus mal à l’aise.

« Ça va aller, ce sont des choses qui arrivent. Ce n’est pas grave, ça va passer. Tu crois que ça te ferait du bien d’en parler ? Sinon je peux jouer autre chose, pour te changer les idées. Qu’est-ce que tu préfères ? »

La pauvre Lux semble ne pas savoir que faire de ces émotions qui l’assaillent, ne même pas les comprendre. Je fais donc de mon mieux pour lui offrir du réconfort, tenter d’adoucir son choc, mais les résultats m’apparaissent mitigés. Conservant étrangement son attitude détachée malgré les circonstances, la jeune femme se relève pour aller gagner son lit en s’essuyant les joues. Pourquoi voudrait-elle entendre autre chose si cette musique la faisait pleurer ? Oh là là, on partait vraiment de loin. J’esquissai un air compatissant, désolée pour la Serdaigle.

« Toutes les chansons ne font pas pleurer, certaines font rire aussi. »

Ou sont encourageantes. Ou permettent de se détendre. Ou sont propices à un bon moment partagé à deux. Mais cela serait peut-être trop complexe, trop étranger pour que Lux comprenne ces concepts. Je me demandais de quoi devais avoir eu l’air son enfance. Avait-elle été aimée ? Lui avait-on interdit d’exprimer ses émotions ? Était-elle simplement née ainsi ? Ne riait-elle donc jamais ? Ne se laissait-elle jamais entraîner par une impulsivité explosive et dictée par les élans de son cœur ? En ce sens, je ne pouvais m’empêcher de nous imaginer être bien différentes et, pour une énième fois, questionner le jugement du Choixpeau magique. Mais je n’étais pas la seule à porter en moi de multiples interrogations. N’étais-je pas aussi affectée par ma propre musique ? S’agissait-il d’un sortilège ? Je m’approchai à pas lents, conservant une distance raisonnable entre nous deux pour ne pas la brusquer. Comment expliquer ces choses ? Je voulais lui rendre service, l’aider à comprendre. À ouvrir son esprit à des possibilités qu’elle n’avait peut-être pas considérées par le passé. Y arriverais-je ? Pas sans essayer en tout cas.

« Oui, je suis affectée aussi. À l’intérieur, pas dans ma poitrine mais dans mon âme. Ça me fait mal aussi, mais j’essaie de ne pas le montrer. »

Je pose une main sur mon cœur, espérant qu’elle comprenne ce que je veux dire. Je n’ai pas littéralement mal à la poitrine, mais je ressens la douleur que provoque cette chanson mélancolique aux paroles qui m’évoquent une multitude de souvenirs. Quant à savoir s’il s’agit d’un sortilège… Pourquoi pas, si ça peut lui permettre de comprendre.

« On peut dire ça, c’est comme un sortilège de moldus. Parfois la musique permet de faire ressentir des sentiments, de rappeler des souvenirs. Et il y a des gens qui aiment ça, ils peuvent arrêter de réfléchir logiquement pendant un petit moment ou se remémorer des choses. Se détendre même. Ce n’est pas une mauvaise chose et ce n’est pas dangereux, ne t’inquiète pas. »