Il y avait trop de bruit.
Ça arrivait parfois. La veille d'un contrôle ou d'une importante rédaction, les premières années en berne s'agitaient pour terminer leurs devoirs. Leurs rétines se chargeaient de rouge et leur yeux brodaient entre les parchemins des lignes invisibles. La nuit commençait à s'abattre sur leur ébullition, la salle commune sentait la sueur. Marek avait regardé un instant les petits forcenés pleins de coeur à l'ouvrage. Leur zèle l'épuisait. Ou bien peut-être était-il simplement trop vieux.
Il ne se souvenait plus exactement quand il avait eu leur âge. Il était si brusquement devenu adulte qu'il lui semblait l'avoir toujours été. L'ère lointaine où il était ce qu'on appelle un petit garçon n'existait pas dans sa mémoire. Pourtant, il lui semblait avoir conservé les souvenirs souples et aquatiques de cet organisme accroché aux muqueuses internes de sa mère ; cet amas de cellules lymphatiques qui ne s'appelait pas encore Marek. Il ne parvenait plus à penser. Il sortit de la salle.
Il gravit des escaliers sans savoir lesquels. Ses pas ne faisaient aucun bruit dans la raideur verticale. Lorsqu'il regardait à travers les meurtrières, il distinguait le ciel, ses morceaux sans lueur dans l'un desquels brillait un disque rompu en deux. C'était la gibbeuse. Une lune décevante, aux angles imparfaits, qui périclitait dans la buée de son souffle comme un royaume anéanti. Il faisait froid. Les murs se rapprochaient de son corps comme l'embouchure d'un vase. Bientôt il atteignit le sommet, les morceaux sans lueurs, la lune décevante. Il s'assit sous les combles.
Marek était d'une humeur massacrante. Il trouva le ciel laid et vérolé par ses étoiles. Il voyait dans le firmament une maladie de peau insidieuse. Sans raison particulière, il se mit à détester cette nuit, sa noirceur inconcevable, sa lune ridicule. Il aimait encore le froid polaire, qui mordait ses doigts lorsqu'il chercha la tabatière dans sa poche. Mais il n'y avait pas de tabatière dans sa poche. Alors il se mit à détester le froid d'égale façon.
Ce soir il ne voulait pas de la nuit. Mais c'était comme si la nuit, elle, ne pouvait se passer de sa présence. Alors il resta assis là en tailleur, immobile comme un insecte diurne, frigorifié sous le toit de la tour. Au loin se découpaient les ombres rectilignes des autres donjons et leurs grappes de lumières qui tardaient à s'éteindre. Il se rappela avec fulgurance avoir laissé sa tabatière sur une étagère de la salle commune.
Inutilement furieux, il prit entre le pouce et l'index l'arête de son nez. Ce soir il ne voulait pas de la nuit : les petits tracas prenaient la forme d'immense drames. Mais il ne pouvait pas se résoudre à redescendre parmi les trimardeurs bruyants. Pas encore. Il attendrait d'abord que la lune ridicule décline au moins un peu.