Des moments honteux, tu en avais pas mal. Mais des souvenirs vraiment embarrassants pour ta conscience et ton estime personnelle, c’était des perles à jamais gravées dans ta mémoire. Et dans celle d’un professeur en particulier. Un professeur qui les collectionnait toutes, comme des trophées et qui aimait te les exposer en pleine figure.

Ephraim Pendragon, souvenirs fébriles d’une adolescence servile. Esclave des sentiments exacerbés, prisonnière de l’Enclave des perversions délurées. Quel âge avais-tu déjà, quand tu es allé le voir après les cours, pour le remercier de t’avoir attribuée un optimal à ton devoir, toi jeune cracmolle a qui on avait donné sa chance, et lui jeune professeur qui venait d’entrer dans la danse.
Joues empourprées et ton devoir que tu serrais tout contre la naissance de ta poitrine, alors que tu le regardais de petits yeux timides, avide d’entendre le son de sa voix d’endorphine mais terrassée par les échos de ses éclats de rire acides.

***

Décembre 2027. Le cours d’astronomie se termine, alors que Pendragon venait de rendre les devoirs corrigés du début de mois. Tu regardes ta feuille alors que les autres rangent leurs affaires avant de pousser un petit cri aigu. Tu fronces les sourcils, les yeux enflammés cherchent avidement ceux du professeur assis sur son bureau. Harry se tourne vers toi, tentant de déceler ce qui avait pu provoquer une telle réaction.

— « Pars devant, je te rejoins. »

Tu attends que la salle se vide, les rétines toujours plongées dans celles de ton professeur. Les plus pervertis s’imagineraient vite des choses, au vu des fantasmes qui en animent plus d’un dans cette école. Mais ce n’était sûrement pas ce que vous pourriez croire. C’était seulement la relation élève professeur la plus bizarre qui pouvait exister.

— « Professeur Pendragon… »

Tu te lèves et t’approches de lui, ta petite taille faisait que tu devais relever le menton pour continuer de l’observer sans faiblir.
Puis d’un élan forcé, tu lèves la feuilles pour l’afficher devant ses yeux.

— « Vous m’avez mis un Effort Exceptionnel ? Je crois que ce n’est jamais arrivé depuis que vous faites cours. C’est encore une de vos mauvaises blagues ? »

Tu étires un faible rictus, tu avais bien grandi depuis.

— « Je ne vous trouve pas très charmant. »

Amertume saccadée qui se répète inlassablement aux travers de ses iris perturbées. Allers retours incessants entre sa copie et ses cheveux blonds cendrés, tu te mords la lèvre et fronces les sourcils, prête à taper du poing sur la table pour te faire entendre.
La fin de l’année n’avait été que trop éprouvante et l’attitude d’Andersen que plus insistante en cette rentrée pour que tu ne laisses encore tes émotions prendre le dessus sur ton sang-froid. Pendragon était peut-être clairvoyant, mais pas devin, et son attitude narquoise ne faisait qu’aggraver cette sensation de creux à l’estomac.

Tes bras tremblent, alors que tu finis par plier le morceau de papier entre tes doigts filiformes.
— « Mé-mériter un E ? »

La seule matière alors ou tu n’avais jamais pu obtenir plus qu’un E, se trouvait être la défense contre les forces magiques. Cela t’inquiétait, tes résultats étaient-ils en train de baisser ? Non, tu devais sûrement t’alarmer pour rien, comme à ta grande habitude concernant le travail scolaire.
Sa remarque sur ses cheveux ne te laisse pas indifférente, et te voilà désormais en train de les contempler pendant de longues secondes, avant de tousser légèrement embarrassée.

— « Ce n’est pas comme si le soin que vous apportez à votre apparence m’intéressait, professeur. »

Impertinence froide et regard brûlant, dressée par son bourreau à résister, à rester droite et inflexible. Et alors qu’il tend cette coupe d’arabica, tu hésites quelques temps avant de finalement la saisir entre tes paumes. Les vapeurs réchauffèrent ton corps heurté par le froid de l’hiver.

— « Un calmant vous-dites ? Hilarant, comme d’habitude. »

Tu portes tout de même la boisson à tes lèvres, sans résistance malgré la méfiance. C’est vrai que ça calmait d’un coup. La voix et les traits du visage apaisés, tu étais désormais prête à subir la prochaine attaque, que tu avais décidé même de la provoquer.

— « Ce n’est pas vraiment de ça dont j’ai besoin je vous assure. »

Tu t’approches de lui, jusqu’à réduire la distance qui vous sépare. L’air ailleurs et pourtant le regard si déterminé. Le sang gicle dans ta jugulaire, pulse et repousse la vérité. Crispée et à la fois si sûre de toi.

— « Et si vous m’expliquiez ce que j’ai échoué, professeur ? »

Les mots d’Ephraim Pendragon avaient pour effet sur toi comme des cicatrices brulantes et des caresses de soie. Agacée, apaisée. En sécurité.
Mais tu n’arrivais pas toujours à percevoir cette limite élève professeur qu’il essayait pourtant de ne jamais dépasser, au fur et à mesure que tu reculais pour mieux t’en échapper. Une limite platonique du chat et de la souris.

Non, il n’y a plus de sous-entendu.
Trop charmant, peut-être même trop arrangeant. Aussi chiant qu’attachant, Pendragon ne cherchait qu’à titiller cette nervosité et cette exulcération que ton coeur pompait comme unique source d’énergie.

La révolte comme seule source de vie.
Il modifie finalement ta note et la tend, tu te calmes, tu lèves les yeux vers lui dans un silence bercé par ses sarcasmes affligeants. Mais tu ne peux t’empêcher de sourire Andy, tu ne peux t’empêcher de rire doucement, saccadé par hoquets des sanglots qui ne sortent de nul part.

Tu es fatiguée Andy.
Mais rassurée.
Alliés dans l’adversité,
vous avez finalement le même ennemi.

— « Très peu pour moi, monsieur. Je préfère encore vos sarcasmes cuisants, je peux me permettre de vous rappeler à l’ordre. On ne rappelle pas à l’ordre Orphan Scamander. »

Etait-ce de la crainte qu’on pouvait discerner dans le reflet de tes iris mesurées ? Ou bien une sorte de détermination résignée. Mais le coeur et l’âme brûlent sans ne jamais s’éteindre.

— « Vous êtes un super prof. »

Tu étires un sourire, alors que tu fixes ce O qui entourait désormais l’ancien E. L’excellence, ta seule porte de sortie dans un monde ou tes privilèges ne peuvent être que gagnés. L’excellence, ta seule légitimité à exister.

— « De quoi vouliez-vous me parler, professeur ? »

Trop de choses auraient pu remonter à ses oreilles. Et derrière les lourdeurs taquines se dissimule une bienveillance actée sur des souvenirs innocents.
Pendragon était peut-être trop empathique. Si authentique.
Comme toi. Comme vous. Pas comme eux.

Comment formuler l'indescriptible ? Comment arriver à extirper de ta bouche ces émotions et ces sensations ? Alors que les langues se délient et que les tensions s'apaisent, Pendragon s'ouvre à toi te confie son inquiétude.
Inquiétude légitime au vu de tes yeux fatigués ? Mais c'était la différence entre lui et tout les autres. Il pouvait lire toujours plus loin. Il ne s'arrêtait jamais à la première barrière que les gens érigeaient pour se protéger. Des autres et d'eux mêmes.
Et il avait cette faculté de pouvoir entrevoir au delà.

Et ça, ça te donnerait presque envie de chialer Andy. Car c'est ce dont tu avais besoin. Fracassée et trimballée par les problèmes incessants des autres... stimulée par leur dérogation à la nature même des règlements. Dérogation que tu avais fini par toi même prendre la fâcheuse habitude.

— « J'ai seulement l'air, n'est-ce pas ? Ou bien sommes-nous d'accord pour comprendre que c'est bien plus que ça. »

Vous aussi, vous avez l'air fatigué Pendragon. Vous avez surtout l'air tellement triste et usé.
Mais tu ne dis mot. Car s'il peut être proche de toi, tu n'es pas aussi proche de lui. Et tu n'oserais, sans prétention aucune, lui arracher ses maux troubles, qui l'emprisonnent avec cynisme dans ses rictus et son lyrisme.

— « Je le sais bien. Je ne sais pas vraiment ou j'en suis pour tout vous avouer. La journée des droits des non-magiques organisée par le ministère pour arrive bientôt. Après le nouvel an. Et j'ai cette mauvaise sensation en y pensant. Comme si tout était devenu trop facile. Et que les mal intentionnés se cachaient derrière cette affirmation pour rendre tout encore plus compliqué. »

Est-ce qu'il pouvait comprendre ? Saisir la nuance.

— « Car ça sera toujours compliqué. »

Tu ne sais plus si tu parlais pour toi ou pour lui.
Mais que savais-tu de ses problèmes ? Que pouvais-tu en réalité deviner à travers de ses prunelles ?

— « Vous n'avez jamais eu de mauvais pressentiments ? »

Mais le simple fait qu'il soit inquiet pour toi avait tendance à te réchauffer le coeur. Contrairement à ce que des gens pouvaient penser, tu ne recherchais pas l'attention. Tu avais juste la prétention d'avoir des intentions. D'être la meilleure.
Mais parfois tu faiblissais, comme chaque être humain sur cette putain de terre.

— « J'ai besoin d'être faible. J'ai besoin d'être ce qu'ils disent que je suis... Je ne suis pas fatiguée professeur, je suis trop réveillée. »

Et alors que tu pleures silencieusement dans tes mains, tu sais que ses yeux et son âme seront les témoins placides de ce courage malsain.