Round about the cauldron go [Aïssatou]

Si Aïssatou aimait profondément les élèves et leur souhaitait une longue et prospère existence , elle n'avait pas exactement le même ressenti en ce qui concernait l'infirmier Soukup, et la tâche hivernale classique de préparation de la Pimentine était rapidement devenu un boulet qu'elle se traînait tous les ans bon gré mal gré et qu'elle tentait de faire passer comme elle le pouvait, à grand renfort de musique dans les cachots, de litres de thés, et de caresses à Ali. Mais elle avait eu l'idée -brillante, selon elle- d'inviter cette année des élèves à la rejoindre pour des travaux pratiques sur cette potion relativement simple à faire, ce qui lui permettrait , en plus d'avoir des compagnons de conversation, de ne pas avoir à emmener les fioles toute seule et se retrouver en tête a tête une fois de plus avec l'affreux Yaroslav. Evidemment, il était moralement discutable de se servir d'élèves comme de cautions afin de s'assurer que rien d'indésirable ne se produise, mais elle avait chassé ce doute, pour une fois, en se disant que tout le monde était gagnant à la fin de l'opération. Ils auraient l'occasion de s'entraîner, la Pimentine serait prête à temps, et elle n'aurait pas à affronter un rendez-vous supplémentaire en cavalier solitaire. Elle avait donc plaqué des petites affiches partout ou elle le pouvait, dans l'espoir que beaucoup de ses jeunes répondent à l'appel, et avait été relativement déçue par le manque d'engouement de ses étudiants quand à la perspective de passer un samedi après-midi avec elle devant des chaudrons fumants au lieu d'aller boire des bièreaubeurres et de glander a Pré-au-Lard. Elle ne comprendrait jamais réellement ce manque de curiosité intellectuelle, de toutes façons.

Mais le jeune Ollivander était venu, sans sa soeur, à sa grande surprise, et elle applaudit mentalement le travail éducatif des parents Ollivander quand à leur progéniture. Deux élèves brillants et passionnés, voilà qui ne pouvait que la réjouir, et elle accueillit a grand renfort de gestes exubérants le jeune homme qui venait de pénétrer dans sa salle. Ali, en petit animal curieux, sortit de la Réserve et sauta sur le bureau pour rebondir entre les jambes du Serdaigle en miaulant.

"Monsieur Ollivander, bienvenue! Merci d'avoir accepté de venir m'aider, je ne vous cache pas que nous ne serons pas trop de deux pour faire toute cette pimentine!"

Elle avisa quelque chose qui dépassait de la gueule du petit chat qui ronronnait de bonheur, et grogna sourdement.

"Ali Cissé, jeune homme, si vous avez encore dévoré un ingrédient qui vous rend malade, je vous préviens...Bon sang, est ce que tu as mangé une limace cornue, le chat? Par Merlin, si tu vomis encore, je te promets que les représailles seront terribles."

Représailles terribles signifiant, dans le cas présent, une nuit au chaud près de sa maîtresse réveillée, morte d'inquiétude, surveillant chacun des battements de son petit coeur. Mais la sorcière se ravisa et fit volte face pour se reconcentrer sur son élève, qui venait de lui demander si il était possible de lui poser des questions pendant les préparations.

"N'hésitez pas! Au contraire! Il n'y a rien de plus sinistre que de faire des potions en groupe dans un silence de mort."

Elle lui adressa un sourire, avant de plonger derrière son bureau pour sortir des caisses complètes de queues d'éruptif et d'épines de roses, largement nécessaires pour fournir tous les chaudrons en ingrédients.

"Je vous laisse le soin de vous installer confortablement, d'accord? J'ai préparé du thé si vous voulez, comme les cachots sont relativement froids en cette période de l'année.La recette est au tableau si jamais vous avez besoin de la relire, et quand vous êtes prêts, on s'y met! Rassurez-vous, j'ai pris le soin de récolter les épines de rose avant votre arrivée. Vous serez donc sortis largement avant le dîner."

Aïssatou rit un peu de sa propre blague, et fit venir un grand mortier en marbre du bout de ses doigts d'une pièce adjacente.

"Et voici notre meilleur ami pour traiter tous les ingrédients en même temps. Aux grands maux, les grands remèdes."

Un petit clin d'oeil au Serdaigle, et elle laissa son wrap entourer ses cheveux tout seul. Peut-être bien que ce serait plus agréable que les autres années.

Aïssatou laissa échapper un petit éclat de rire à la réaction de son élève face à son mortier qu'elle avait choisi non seulement pour son coté pratique, mais aussi parce qu'il fallait être sérieux trois secondes, il en jetait un max. On ne se présentait pas avec un mortier d'un quintal sans espérer une réaction un peu impressionnée. Elle fit bien attention à ne pas le faire atterrir sur le chat, qui suivait encore à la trace le jeune Ollivander, et déversa sans ménagement l'intégralité de sa caisse d'épines de roses dedans avant de se saisir fermement du pilon. Elle s’apprêtait à envoyer un premier coup sec dans le récipient lorsqu'elle entendit la question de son élève, et retint son coup, avant de reposer l'instrument dans son socle.

Un sourcil se haussa sans aucun contrôle. Ainsi, Edwyn s'y connaissait en potions cosmétiques? Etait-ce là le secret de sa chevelure rousse? Ou alors, était-ce sa soeur qui l'avait biberonné de culture cosmétique depuis le plus jeune âge? Son coeur balança et finit par s'arrêter sur l'hypothèse de la petite Flemming qui avait du le renseigner assez largement à ce sujet, et elle sourit.

"Tout à fait. Mais à votre âge, il me semble que vous n'en ayez pas encore besoin? Le marché est plutôt réservé aux vieilles dames dans mon genre."

Elle pouffa, mais s'interrogeait sérieusement sur le pourquoi du comment de la question du jeune homme. Il n'envisageait pas une carrière dans ce domaine, dans ses derniers souvenirs, et elle le voyait mal user et abuser de ses créations, déjà majoritairement destinées aux femmes, et pour certaines ciblées envers les femmes noires. Alors, quoi? La suite de la question la fit sourire plus largement. C'était donc ça. La bonne vieille technique du pied dans la porte, pour questionner sur autre chose. Rusé, le petit. Elle prit un petit temps pour réfléchir, et fit tournoyer une épine égarée sur le rebord du mortier entre ses doigts avant de , fatalement, se la planter accidentellement dans le doigt et la laisser tomber par terre.

"Question intéressante, monsieur Ollivander. Même si on étudiera chacune des préparations aux cas par cas, tous les composants ne réagissant pas de la même manière à la chaleur, on peut tout de même voir se distinguer de grandes tendances en fonction , majoritairement, de la base de la  potion."

Elle se gratta le sommet de la tête, pour remettre ses pensées en ordre, et envoya un solide coup de pilon au fond de son mortier pour faire passer le temps, en le lançant pour mieux le rattraper pour lui fournir de la puissance.

"Dans le cas du philtre du mort-vivant, par exemple, la potion est liée avec du mucus de veracrasse. Comme les autres ingrédients supportent relativement bien les changements de température, il est tout à fait possible de lui faire changer de forme, bien que je ne conseille pas pour des raisons relativement évidentes: c'est un coup a se retrouver dans les vapes suite à une erreur de manipulation. Mais dans l'idée, une forme gazeuse est possible, et elle résistera bien à une congélation."

Elle pose son pilon et lui fait signe de venir près d'elle. Il faut bien qu'il essaye de se servir au moins une fois de cet instrument fabuleux qu'est son mortier géant. D'autant que la première utilisation est toujours remarquablement amusante.

"Tenez, essayez de piler ça. Mais faites bien attention à le lancer et ne pas tout porter dans les bras, sinon, vous le regretterez demain."

Ceci lui permettrait néanmoins d'avoir les mains de libre pour continuer le fil de ses pensées qui partait de plus en plus loin, en roue libre complète.

"Après, tout ce que je viens de vous dire ne s'applique pas, par exemple, à l'antidote de la potion qui comporte pourtant du mucus de veracrasse. La Wiggenweld comporte de la mandragore, et elle est assez réactive, donc il faudrait plutôt la faire sécher, j'imagine... Mais a ce moment là, c'est tout le mucus qui perd de son intérêt. Il faudrait peut-être changer de liant, à ce moment là...? Mais les réactions changeraient, du coup... Ou alors, réduire le mucus a part? Mince..."

Une question autre lui traversa directement l'esprit.

"Vous avez un projet spécifique, Edwyn? Si nous avons les ingrédients en tête, ce sera peut-être plus facile d'appliquer ce que nous savons directement?"

Bon, le petit Ollivander ne rechignait pas à la tâche, et si Aïssatou ferma les yeux lors du premier mouvement pour ne pas voir la douleur évidente que cela aurait du causer dans ses épaules – lancer, pas frapper, bon sang -, mais elle observa avec un petit rictus satisfait qu’il ne s’en sortait pas mal, pour un néophyte. Elle s’abstint néanmoins de commenter le fait que n’importe quelle jeune fille moldue aurait été capable de le faire, du moins là d’où elle venait, et elle écouta attentivement sa question, qui était d’une pertinence certaine et qui avait le mérite de lui poser une colle.

« Excellente question, Monsieur Ollivander, à laquelle je n’ai malheureusement pas de réponse à vous offrir pour le moment, n’ayant jamais expérimenté la pratique moi-même. Ceci étant dit… j’imagine que ça pourrait fonctionner, mais il faudrait tester la chose plus en amont pour en être certain. La prochaine fois que j’en ferais, venez me voir, si vous le désirez ? Comme ça nous pourrons vérifier directement si cela marche bien ou pas. Bien sûr, quelques précautions seront de mise, mais rien ne vaut mieux que l’expérimentation directe, vous ne croyez pas ? »

Elle observa avec un sourire le résultat du pilonnage en règle, et tendit l’oreille pour comprendre exactement ou le jeune homme souhaitait en venir. Il devait bien avoir un projet, après tout, non ? Elle réprima donc une moue de déception lorsqu’il lui expliqua qu’il s’intéressait juste aux applications pratiques et non pas à quelque chose en particulier. Bah. C’était intéressant aussi, même si cela ne mobilisait pas autant les capacités de la sorcière. Elle prit soin néanmoins de prêter attention à ses réflexions personnelles, et esquissa une petite moue en entendant la dernière.

« Le plus important, dans cette remarque, c’est le « presque »… On peut toujours tenter de remplacer des ingrédients, des réactions, des doses…Mais au final, ce qui fait une bonne potion, c’est un cout minimal, et des efforts minimaux, pour des effets maximaux et une dangerosité minimale. Alors souvent, la forme liquide est plus appropriée… »

Elle se gratta la tête, d’un air pensif, avant de récolter sans y penser le contenu du mortier pour le mettre dans un gros bol.

« Il faudrait peser ça pour le séparer entre les chaudrons par la suite. Je m’occupe des queues d’éruptif pendant ce temps. »

Aïssatou se mordit la lèvre en levant les yeux au ciel pour tenter de retrouver une idée qui venait de lui échapper. Si seulement elle avait encore de la potion attrape-idées…. Elle sortit son couteau d’une poche propre et commença patiemment à les inciser en deux.

« Parfois, lorsque l’on se retrouve face à un dilemme de potions, mieux vaut ne pas trop regarder à la dépense en termes d’ingrédients, cependant. Beaucoup de difficultés techniques peuvent être évitées si l’on se fournit aux bons endroits et en bonne quantité. Surtout pour des larges dispersions… Mais j’imagine que plutôt que de travailler sur la forme de la potion en elle-même, travailler sur la technologie qui la contient serait une option aussi ? Comme…un aérosol ? »

Elle n’était pas une spécialiste de technologie moldue, mais savait néanmoins que de telles choses existaient et pourraient certainement rendre service dans ce genre de situations. Une boule de poils la fit sortir de ses divagations, perchée sur un escabeau qui regardait avec fascination la pimentine en devenir.

« Ali Cissé, si vous tombez dans cette potion, je jure que je ne viens pas vous chercher et que vous vous débrouillez tout seul. »

« Oh, un encens ? Si c’est un encens, ça change tout. Il faut que la préparation puisse se consumer correctement… Je n’ai pas souvent entendu parler de tels systèmes, pour tout vous dire. Mais de là d’où je viens, certains sorciers s’en servent avec régularité. Finissons la pimentine, et j’irais consulter mes notes à ce sujet, si vous le voulez bien ? De tête, j’ai peur de vous dire une ânerie. »

La sorcière prit le temps de réfléchir en tronçonnant gaiement l’enfer qu’était la queue d’éruptif. Elle aurait volontiers laissé la tâche à son élève, mais elle était un peu réticente à l’idée de laisser un de ses jeunes, aussi doué soit-il, triturer un composant sévèrement réglementé : elle ne désirait pas avoir une crise de la part de la famille Ollivander suite à une blessure subie par l’un de ses enfants.  Toutes ses notes étaient soigneusement consignées dans des carnets absolument illisibles pour les yeux normaux tant son écriture était sale, et lesdits carnets étaient empilés en vrac dans un coin de son bureau. Mais il lui semblait que ses écrits sur les encens magiques étaient situés….voyons voir. Carnet bleu nuit, troisième pile de droite après la plante verte, deux places avant le sommet du tas, moitié du livre ? Ou alors c’était le carnet à spirales rouge, seconde pile à côté du panier du chat, base de celle-ci, fin de l’ouvrage. Encore qu’elle en avait peut-être parlé aussi dans son cahier vert sapin, première pile sous le bureau. Ou était-ce le jaune canari ? Avec un grincement interne, elle se promit de regarder les quatre, mais aussi de compulser le turquoise, étagère de gauche, onzième position, afin de pouvoir fournir au jeune sorcier ce qu’il recherchait.

Aïssatou planta son petit couteau dans une queue d’éruptif un peu récalcitrante –décidemment peu aidée par ces animaux absolument pas coopératifs-, et se décida à passer sur un plus grand modèle. Sortant un coutelas doté d’une lame d’une bonne vingtaine de centimètres, elle émit un petit claquement de langue de satisfaction et acheva de préparer son dernier ingrédient dans un bruit un peu immonde, mais tellement plaisant quand on avait un tant soit peu galéré. Un coup d’œil lui indiqua qu’Ali, au lieu de tomber dans un chaudron par excès de curiosité, s’était lové sur les épaules d’Edwyn que ça ne semblait visiblement pas déranger. Amateur de chats, alors ? Voilà qui ne gâchait en rien la personnalité de son jeune élève, décida t’elle, et qui le rendait encore plus sympathique à ses yeux.

Après avoir vérifié que ses pesées étaient correctes, et après avoir jeté un œil attentif à celles d’Edwyn –parfaites, comme d’habitude- , elle décida qu’il était temps de passer aux choses sérieuses. Mais la question du jeune homme l’arrêta net dans son élan, et elle éclata de rire, d’une façon particulièrement soudaine. Il devait peut-être se douter de la rivalité qui l’opposait à monsieur Redmond, le professeur d’Alchimie, mais le fait qu’il lui pose la question à elle ne démontrait qu’une seule chose. Elle était au moins plus accessible que lui, sinon plus qualifiée. Voilà qui faisait sa journée. Mais il fallait fournir une réponse digne de ce nom au Serdaigle. Elle cessa de rire, et, le regard brillant, s’attela au sujet épineux de la Pierre Philosophale.

« La pierre philosophale ? J’ignore ce que vous souhaitez en faire, monsieur Ollivander, mais je serais ravie d’avoir vos considérations sur le sujet.  Pour en revenir à ladite pierre, je la connais surtout sous le prisme de l’élixir de longue vie, comme vous devez sûrement vous en douter. L’élixir de longue vie, donc, est une recette propre à Monsieur Flamel, et comme le savez certainement, la recette est soigneusement gardée par celui-ci, ou encore par ses descendants. Qui sait ? »

Elle prit le temps de déposer les ingrédients devant les chaudrons pour gagner du temps de préparation, tout en réfléchissant soigneusement à la suite de ce qu’elle allait bien pouvoir dire sur le sujet.

« Dans les grandes assemblées de potionnistes, deux courants s’affrontent, néanmoins. Certains pensent que la découverte devrait être partagée avec le plus grand nombre, et d’autres pensent qu’elle devrait être détruite pour éviter toute dérive. Mais ceux qui pensent qu’elle devrait être exploitée a son maximum tentent encore de la recréer avec d’autres ingrédients. Ceci dit, sans la pierre, c’est compliqué de voir si ça marche. La réussite la plus probante est un essai de potion de Midas, qui était censé changer le plomb en or. Le créateur ainsi que le plomb de démonstration ont tout deux pris une ravissante teinte dorée, mais ça s’arrête là. C’est vous dire si la démarche est compliquée. »

Aissatou elle-même se situait de l’autre coté de la barrière, désirant ne pas toucher à un monument pareil, mais elle appréciait tout de même la démarche de recherche sur le sujet. Pensive, elle versa un pot d’épines de roses pilées dans le premier chaudron, et enjoignit Edwyn à faire de même.

Aïssatou prit un air songeur lorsque le serdaigle évoqua ses connaissances éventuelles restées sur place, qui auraient pu l’aider dans sa quête d’encens  magiques et de leurs fabrications. Elle avait bien en tête une personne ou  deux, mais elle n’avait pas donné signe de vie depuis son départ, et rien n’indiquait, s’ils étaient encore vivants, qu’ils se trouvent à l’endroit où elle les avait laissés, ni même qu’ils souhaitent avoir de ses nouvelles d’une manière ou d’une autre. Et quand bien même ils auraient été déterminés à renouer des liens, elle n’envisageait pas pour l’instant de signaler sa position exacte en envoyant des élèves avec quasiment son adresse postale. Mais elle n’avait pas particulièrement envie non plus de laisser son étudiant sans réponse à sa question : pour une fois que l’on fournissait un intérêt certain envers sa matière, cela aurait été dommage de laisser une telle question en suspens alors qu’elle avait des réponses potentielles. Elle opta donc pour une réponse neutre, qui lui laisserait le temps de réfléchir à la suite des évènements, sans trop lui mentir non plus.

« Il faudrait que je me renseigne, entre les anciens étudiants et la communauté magique locale. Laissez-moi un peu de temps pour dépoussiérer mon répertoire, vous voulez bien ? Cela fait quelques temps que je ne suis pas rentrée au pays, et j’ai bien peur que mes relations en aient pris un petit coup. »

Elle leva les épaules en signe d’excuse avant de reprendre.

Ainsi, le changement du plomb en or ne l’intéressait guère. Elle n’était pas tellement surprise, à bien y réfléchir.  Les Ollivander n’étaient pas réputés tant pour leurs soucis d’argent que pour leurs soucis de temps, après tout, bien qu’elle ne soit pas particulièrement familière avec le commerce de baguette en règle générale. Mais beaucoup de ces objets terriblement exotiques, pour elle, provenaient de la maison du jeune homme, et elle en déduisit que l’argent, décidément, ne devait pas être un problème. Elle se permit même un petit éclat de rire en imaginant une tuyauterie intégralement dorée. Voilà qui serait une bonne blague à faire à Lucius, maintenant qu’elle y songeait, mais elle ne tenait pas spécialement a prendre le risque de se teinter définitivement couleur or. Et cela n’aurait de toute façon pas beaucoup avancé Edwyn dans ses affaires.

« L’élixir de jouvence, alors ? Noble quête. Mais comme pour le plomb en or, nous n’avons que très peu d’informations à son sujet.  Cependant, je me souviens…. J’ai eu la chance d’assister à un congrès de potionnistes l’an dernier, et j’ai rencontré…mince, comment est-ce qu’elle s’appelait ? Griselda Beaulitron, il me semble.  Enfin , long story short, après une longue discussion sur les effets des foies de crocodiles et leurs applications diverses, elle en est venue à me parler de cet élixir, justement. »

Aïssatou se mit à tourner le contenu d’un chaudron, l’air absent. La sorcière l’avait tenue longtemps sur ce sujet, et elle avait réussi a déborder les capacités d’écoutes habituelles de son interlocutrice qui était pourtant habituée depuis longtemps aux charabias d’élèves divers et variés.

« Elle m’avait expliqué, il me semble, qu’elle tentait de trouver un palliatif, tandis que son compagnon cherchait encore la trace des Flamel et descendants. Son chemin l’avait mené en France, bien entendu, mais il était aussi passé par quelques pays plus au sud, dans mon souvenir. Il me semble qu’il avait retrouvé quelques traces à Sienne ? »

A moins que ce ne soit un excellent bar à vins et fromages, se reprit-elle. Bon sang, ce que Griselda avait pu être bavarde cet après-midi-là. Certaines sorcières n’étaient décidément pas faites pour l’hydromel.

« En tout cas, il en était revenu avec beaucoup d’idées, avant de repartir dans les Alpes françaises poursuivre sa quête.  Sa dernière théorie était que Flamel avait dû cacher son secret dans un chalet de haute montagne.  Mais le plus intéressant là-dedans, c’est qu’il avait établi tout un protocole expérimental pour extraire de ladite pierre l’élixir dont il est question. Peut-être que je pourrais leur envoyer un hibou pour vous prendre rendez-vous, si vous le désirez ? Et si vous êtes prêts à vous faire assommer d’anecdotes gustatives au fur et à mesure de l’avancée du récit, bien évidemment.»

Décidément, le Serdaigle était plein de surprises. Voilà qu’il lui parlait à présent de la panacée, qu’elle avait pourtant laissée de côté au vu du cursus scolaire du jeune homme. Elle eut soudain l’étrange sensation que s’il avait pu entrer dans tous les cursus à la fois, il ne se serait pas gêné une seconde, et elle se demanda un instant si il était possible d’accepter des élèves plus vieux en tant qu’auditeurs libres au sein de Poudlard afin que les plus érudits de ses élèves puissent parfaire leur formation à leur guise au lieu de devoir choisir et de se jeter dans le grand bain bien plus tôt que nécessaire. Puis, elle n’avait rien contre le fait de garder ses élèves près d’elle pendant quelques années supplémentaires et leur faire faire des chose un peu plus intéressantes que de la pimentine et autres potions de sommeil destinées aux débutants. Comme, par exemple, cette fabuleuse potion antirides qui, si elle avait des effets relativement triviaux, nécessitait une semaine complète de préparation et un mois de repos. Mais tout ceci l’éloignait –encore- de cette histoire de panacée.

Elle sourit à Edwyn , royalement déconcentrée de ce qui pouvait trôner dans les chaudrons à l’heure actuelle, et vit bien trop tard la petite boulette du jeune homme, rapidement rattrapée, mais boulette quand même. Elle grimaça ouvertement et vint renifler les vapeurs sortant du chaudron avec un air pincé, avant de soupirer de soulagement. Ce n’était pas si grave qu’elle l’avait craint, finalement, et comme l’avait dit le jeune homme avant elle, la potion se contenterait de faire l’effet d’un genre de baume du tigre au lieu d’enflammer les joues de ses consommateurs. D’un croisement de doigt réfléchi, elle fit se poser sur le bureau une série de petites fioles légèrement différentes de celles déjà présentes.

« Eh bien… Nous nous contenterons de les étiqueter différemment. Je vous laisserais faire les étiquettes, par contre, il paraît qu’on éprouve des difficultés à me relire. Et vous écrirez…voyons voir…. Potion de glace épicée ? De piment glacial ? Pimentine glaciale, ça sonne bien. Et nous expliquerons à Monsieur Soukup que nous avons désiré…euh..que nous avons désiré épargner les élèves un peu fragiles. »

Et ça irait bien pour le moment. Si Soukup voulait des potions, il n’avait qu’à les faire lui-même, après tout. Elle était déjà bien aimable –et contrainte- de fournir l’infirmerie régulièrement pour ne pas se forcer à refaire un chaudron, d’autant que les effets de la potion seraient très certainement identiques. Puis, elle avait d’autres chats à fouetter.

Comme, par exemple, une histoire de panacée.

« Griselda ne m’a pas évoqué directement cet aspect de la pierre, mais d’autres potionnistes cherchent de leur côté, mais plus du côté de la médicomagie. Le professeur Grantt devait avoir plus d’informations que moi à ce sujet, mais il me semble qu’une assemblée en a fait son sujet de recherche de prédilection. Je dois avoir encore un contact sur place, que je pourrais vous fournir en plus de celui de Madame Beaulitron. »

Elle fit craquer ses doigts et touilla à la suite le contenu de tous les chaudrons qui bouillonnaient gaiement. A ce rythme, Edwyn allait repartir avec tout son répertoire. Mais rien n’était trop beau pour ses jeunes, alors, ce n’était pas si grave que ça.

« Par contre, il s’agit d’une assemblée un peu austère et fermée aux jeunes sorciers, je préfère vous prévenir. Et ils ne sont pas friands des traits de génies provenant d’esprits brillants ayant moins de soixante ans, j’aime autant vous le dire tout de suite. Mais si j’arrive à vous faire parrainer, ça devrait aller, j’imagine. »

Elle fronça les sourcils en y songeant, et trempa distraitement un doigt dans un chaudron pour goûter la préparation avant de le regretter amèrement. La potion était une grande réussite, et elle sentit une trop grande chaleur l’envahir et un peu de fumée sortir de ses narines.

« C’est…C’est une grande réussite. Merci de votre aide, Monsieur ...kof..kof…Monsieur Ollivander. Ca marche très bien. »

Aïssatou fronça les sourcils l'espace d'un instant, avant d'acquiescer à cette histoire de hiboux. Bien sur. S'il réussissait à rédiger correctement ses questions et ses observations, peut-être que cette assemblée de vieux croulants accepteraient de lui adresser la parole. Il faudrait par contre qu'il maîtrise bien le ton de ses courriers, et qu'il évite de la citer d'entrée de jeu comme son professeur s'il voulait avoir une chance non négligeable de réussir à leur soutirer quelques informations. Mais c'était possible.

« Si vous ne dites pas que vous êtes élève, ils se laisseront peut-être duper, au moins le temps que vous posiez vos questions. Par contre, le jour ou ils vous convieront, ça risque de leur faire un petit choc. Mais j'imagine que ça leur ferait du bien de rencontrer la jeune génération au lieu de rester entre vieux briscards. »

Sensible a la petite marque de respect qu'il eut en la remerciant, alors même qu'elle venait de se ridiculiser en goûtant sa propre décoction, elle lui adressa un signe de tête, lui rendant le compliment. C'était fini. Il ne manquerait plus que de mettre tout ceci en bouteille et de faire la vaisselle une fois que la potion aurait refroidit, mais elle pourrait très largement s'en occuper seule. Un coup de récurvite bien plaçé, et elle aurait terminé avant son feuilleton radiophonique du soir. Elle ne s'attendait cependant pas à ce qu'il reste un peu pour discuter. Et encore moins qu'il n'attaque directement sur des sujets personnels.

Elle s'était déjà suffisamment humiliée devant Bertram pour ne pas commettre la même erreur une seconde fois, par ailleurs. Mais la question était plus légère, et laissait place à une grande part de flou artistique qu'elle exploiterait sans vergogne.

« J'ai quitté mon pays peu avant de venir à Poudlard, et sans grande préparation, je vous avouerais ? Erreur de jeunesse. Mais je suis restée quelque temps chez ma tante, que vous devez croiser régulièrement au chemin de Traverse, d'ailleurs ? Elle ne se sert pas non plus de baguette magique, mais elle passe souvent devant votre établissement. Une petite femme, toujours avec un pagne sur la tête, qui s'appelle Fatou, si vous resituez ? »

Endormissement réussi. Suite de l'épopée politiquement correcte.

« Et du coup je me suis retrouvée chez elle pendant un petit temps, à faire des potions pour sa boutique, puis quand j'ai envisagé de partir, j'ai reçu la fameuse lettre d'invitation à Poudlard. Entre rester à faire des potions contre l'acné et vivre quelque chose de nouveau, et faire quelque chose de bien et d'important pour les futures générations de sorciers, je n'ai pas hésité très longtemps. Et si c'était à refaire...ma foi, je l'aurais très certainement refait ! Avec un peu plus de préparation. »

Elle passa sa main au dessus des chaudrons pour estimer le temps de refroidissement de la pimentine, et nettoya par mage son énorme mortier qui retourna à sa place.

« Vous hésitez avec une carrière professorale, monsieur Ollivander ? L'éducation à tout à gagner des jeunes qui désirent s'engager en son sein. »