sourire usé - ambroise naess

PART I

Tu étais plongé dans la pénombre de la pièce juste à côté. Ton regard il était furtif et curieux – ton être, fébrile. Des voix basses et des insultes qui volaient haut. « J’aurais dû m’en douter…humain, qu’un humain qui croit que l’on peut se déresponsabiliser si facilement du reste. Et prendre pour excuse son propre boulot ?! J’y ai cru plusieurs vraiment, mais Cal tu as un enfant que tu vois aussi souvent que la pleine lune sans compté… » Elle n’avait pas eu le temps de finir. « Toi ?! Oui toi ! Évidement TOI, TOI TOI ! Tu es belle et ô que tu es jolie, tu gagnes ta vie à te pavaner et te défil…dit-il avant de goûter le malheur de ses paroles qui se sont échappées. » Des sanglots entendaient-tu, ou plutôt de la colère qui se concentrait dans les mimiques de ta mère. Un geste vif qui reposait maintenant sur la joue de ton père. En ces dix minutes qui se sont écoulées, toi toujours derrière cette porte en bois et eux, de cet autre côté qui représentait le reste de ton existence. Une mère seule, un père absent. Un vide à combler et un cœur éternellement brisé. Tu poussas cette distance qui te séparait des bras de ta mère en la franchissant silencieusement. Elle te serra et te chuchota que vous n’aviez pas besoin de lui, qu’elle ferait tout pour te donner le meilleur du monde. Cette étreinte n’était pas pour toi, mais pour elle, tout comme ses mots.

PART II

« Arrête de me suivre bordel ! »
Il s’était retourné et t’avais agrippé le col. Il te regardait sans rien dire. Il n’y avait que le son de sa respiration qui s’accélérait. Il te relâcha contre le sol, éclaboussé par le trou d’eau dans lequel tu étais tombé, tu te relevas maladroitement pour décrocher une droite à lui. « CONARD ! » Tes poumons s’essoufflèrent et tu reculas derrière ton action. Il ne réagit pas. Il cracha le surplus de sang qui s’était accumulé dans sa bouche et t’ignora, te laissant à pire qu’une confrontation.

À genoux, tes mains se refermèrent sur la pelouse trempe et le visage crispé tu te mordis la lèvre. « Pas ici pensais-tu ou pas encore te disais-tu. » Une panique à double-tranchant où autrefois il te valait son regard et la chaleur de la paume de sa main sur ton épaule – sur ton visage. Il t’avait laissé à toi-même sans savoir pourquoi et sans continuité à un « nous ».

PART III

« Ambroise ? »
Sa voix se diluait à travers tes sens et réquisitionna ton attention. Jambes croisées son regard se posait contre ton corps, sans attente, sans demande, tout simplement là. Au début tu en étais vigilant, ton amie t’avait traîné après t’avoir recueilli sur son épaule ruisselant d’angoisse. L’impuissance des mots lui a valu de te traîner par la peau des fesses chez un psychologue, puis chez une psychologue. Cela faisait déjà trois mois que tu t’entrainais mutuellement dans son bureau sans crier gare. Tu t’y résiliais par la soumission aux pulsions de tes frayeurs – une fois après un cours de potion, une autre dans une soirée et la plus récente à la suite d’une soirée Quidditch. Elles agissaient comme une éruption qui n’avait pas d’échelle et d’horaire pour être mesurée et prévue – éventuellement contenue. « La question déjà ? » Entre deux rictus. « Comment fais-tu ? Ton père est parti devant tes propres yeux, autant en est-il de ce garçon qui a gagné une immense importance à tes yeux. Les deux, sous l’usage d’une certaine violence. » « Non vous avez mal compris ce n’est pas moi qui a frappé mon père c’est… » « Ta mère ?...Donc tu n’as pas dénié sa réponse à la disparition de ton père ? Mais là n’est pas ma question Ambroise, ni un reproche, simplement une remarque. » Ton corps et le reste de ton être se dissipèrent dans les coussins du divan sur lequel tu étais. « Je souris…je tente d’avancer, de m’encombrer de positif, d’être loyal à ceux que j’aime et… » La cloche. Le vert de ses pupilles disparut sous ses paupières. « Je dois malheureusement rencontrer un autre élève pour aujourd’hui dans une autre partie du château. » Tu ne bronchas pas un mot et ramassas ce qui t’appartenait avant de te retrouver dans le cadre de sa porte. Elle t’interpela. Merde. « Ambroise, fais-moi une faveur pour cette semaine. Au lieu de vouloir être loyal envers d’autres, tente d’être loyal avec ce que tu es toi. »

Face à cette glace qui miroitait tes traits, tu frappas un point – puis deux.
Puis trois.

Ton autre main dissipait les larmes sur ton visage avant qu’elle ne se glisse sur ta blessure. La joue gauche, une plaie fraîchement ouverte, sanglant légèrement jusqu’à ta pomme d’Adam. Tes sanglots frôlaient la colère et ton esprit le désespoir.

Ils te détestaient d’être ainsi, ils te détestaient au simple fait de te voir respirer – exister. Et pourtant s’ils savaient comment tu consentais à cette idée. Ils croyaient que tout t’était dû, que les soucis n’encombraient pas ton existence, elle se parsemait plutôt d’un chemin préétabli dans un champ de fleurs. Et bordel. Bordel que tu aurais voulu les confronter, rire devant leur haine déconstruite. Tu aurais aimé leur dire à quel point tu croulais sous les espoirs de ta mère, à être tout ce que ton père avait délaissé d’être – à en devenir – homme de parole, homme positif, homme à tout faire et préparé à toutes attentes. C’est qu’elle est exigeante, mais c’est qu’elle t’aime. À lui dire ce qui ravage tes eaux calmes, elle ferait tout pour enfermer cette douleur et cette tristesse qui s’imbibe pour la converser elle-même, pour l’éloigner loin de toi. Mais tu le sais et tu sais que la misère du monde lui a déjà été décernée comme passé. Quand même bien que mal, elle tente de t’en écarter.
Puis au final tu t’abstiens d’un rictus et serres les crocs pour fixer ceux qui te croient intouchable, voire inatteignable – et tu leur souris. Tu consolides cette pointe d’humour qui estompe ton désaccord.
L’air naïf, l’air gaffeur, l’air à tout plaire.

Tu t’aventures dans l’inconnu et l’incertitude de ce que tu parades – prétends- être. Tu t’abandonnes sous une pluie de discours falsifiés et ne vis réellement que dans l’ombre. Où les regards n’y sont plus, où la présence de ta mère s’efface et où il ne reste que toi pour blâmer ton existence. Replier contre tes genoux, assied dans la pénombre de tes quatre murs, tu murmures pour te rassurer. Tu murmures que l’angoisse n’est pas pour toi, que tes peurs de ne pas être à la hauteur sont irrationnelles, que la panique n’existera que si toi seul la créer.

Au bord du gouffre, tes mains capturent faiblement le bord de la falaise. Tous te font dos. Tu hurles et personne ne se retourne. La voilà. Dans toute son horreur, elle pile sur chaque doigt sans pourtant te laisser tomber. Elle continue – et continue.

Condamné dans l’angoisse de ton existence.