diamonds in her eyes (seraphina)

C’était toujours imprévu, et quelque part spontanée ; une giclée d’angoisse infestait les veines serpentant sous sa peau, noyautant progressivement les sinuosités de sa cervelle. Soubresauts ébranlant sa silhouette, affres ficelant ses entrailles, plaintes lamentables au bord des lippes ; chaque élément s’enchevêtrait dans un ordre chaotique, ciselant une anarchie de nerfs ne confinant en rien à la Seraphina habituelle. Poupée muette devenue marionette de ses frayeurs, le moindre détail perturbateur enclenchait une saccade de trémulations. Seraphina s’astreignait à s’abimer silencieusement, au creux d’une salle déserte ou au détour d’un couloir isolé, mais aujourd’hui sa veine l’avait quitté ; un professeur dénicha la ballerine déchue, vraisemblablement au paroxysme de son anxiété.

Ainsi la voila, trônant pathétiquement entre quatre murs blancs ; la nausée ondoyant au creux de sa trachée, le palpitant enchainant les valses endiablées. Seraphina abhorrait les infirmeries, leurs rideaux immaculés, ces médicaments parfaitement agencés ; tout lui évoquait perfection, une notion que son encéphale rejetait avec fureur. Durant sa jeunesse, Seraphina aurait liquidée chaque parcelle de son âme afin de pouvoir effleurer la sainte excellence ; une arabesque prodigieusement exécutée valait mieux qu’une conscience saine. Et voila où ça l’a mené, cette croisade dérangée pour un soupçon de perfection ; encagée dans une infirmerie, emmurée dans les abysses de son esprit.

Une expiration tremblante vint lécher ses lèvres.

Ce fut le claquement d’une chaise contre le marbre lavé qui assécha le fleuve morbide de ses pensées. Ses prunelles givrés dardèrent le faciès d’Elijah, ce faciès ciselé dans la vigueur, ce faciès terriblement masculin. Embarrassée par une telle proximité, ses genoux se logèrent contre sa poitrine, bouclier instinctif en la présence du sexe opposé ; son regard n’avait jamais analysé les traits d’un homme d’aussi près, et cela exacerbait d’avantage sa soudaine timidité.

Doigts triturant une mèche safranée, dents molestant ses lippes rosées ; Seraphina écouta distraitement son prénom onduler au bord de ses lèvres. Ses pupilles cobalts dénichèrent les jointures vermeils, sensation étrangère bourgeonnant sous son poitrail l’espace d’une seconde ; ce fut terriblement infime et momentané, tant si bien qu’elle ne s’en rendit même pas compte.

On peut dire ça.

Syllabes se confondant au silence, tant elles furent prononcées avec fébrilité.

Son regard fuyant coulissa finalement vers le sien.

Tu… vas bien ? Ça ne fait pas mal ?

Tentative évidente de détourner la conversation ; Seraphina priait silencieusement pour qu’Elijah morde à l’hameçon, bien qu’elle le savait trop perspicace.  

Certains individus se complaisait dans la contemplation des yeux ; orbes nébuleuses éclipsant les rouages de l’âme. D’autres préféraient s’attarder sur les risettes ondulant les lippes ; radiation d’une sincère félicité. Chacun s’accrochait à un détail en particulier, quel que soit son pigment ou ses arabesques, un détail aimantant le regard au premier coup d’oeil. Mais le fragment d’être que Seraphina convoitait tout particulièrement ne s’imprimait guère par le regard ; c’étaient les syllabes satinées suintant au creux de ses tympans, les saccades singulières rythmant les paroles d’autrui. La première impression qu’elle ciselait de ses comparses, c’était au son de leur voix ; ce quelque chose de véritablement unique que l’on ne pouvait retranscrire par image, ni par mots, que ce soit le pinceau de Picasso ou les vers de Verlaine. On ne pouvait l’expliquer, juste l’éprouver ; poupée muette amoureuse des sonorités.

Et la voix d’Elijah, Seraphina s’en abreuvait timidement, secrètement ; un amalgame de vermeil et de framboise nuançait tendrement ses pommettes si elle venait à trop y penser. Le velouté ourlant son timbre, la chaleur exhalant des mots ; elle ne saurait dire quoi exactement, mais une pincée de quiétude fleurissait progressivement sous sa chair albâtre. Un fil fébrile d’une confiance candide.

Je te pose la question parce que je m'inquiète. Est-ce que j'ai des raisons de m'inquiéter ?

Opalescences le dévisageant curieusement, opalescences berçant une clarté nouvelle ; la pression que ses genoux exerçaient contre sa poitrine s’allégea quelque peu. Seraphina n’était guère habituée à susciter l’inquiétude chez autrui, qui plus est un inconnu ; si ce n’était que de prénom et de visage. L’absurdité de la situation engendra un éclat cristallin, un rire maladroit ronronnant au creux de sa trachée ; ce fut terriblement succinct et discret, mais suffisamment accusé pour sillonner des plis a l’orée de ses prunelles et ourler une risette espiègle sur ses lippes. Elle se reprit très vite malgré tout, composant un air stoïcien.

Tu fais souvent le psychologue des brebis égarées dans l’infirmerie ?

Mais Seraphina s’en serait voulu de paraitre effrontée, ainsi concéda t-elle de lui allouer une maigre information pour satisfaire son inquiétude.

Ce n’est pas très grave, ça m’arrive souvent. Je ne suis pas très forte pour contrôler mes émotions, et parfois ça déborde. Ça pourrait arriver à n’importe qui.

Une saveur acre bourgeonna sur sa langue au fur et à mesure que les syllabes s’écoulaient ; après tout, ce n’était qu’à moitié vrai.

Ses prunelles ambrées coulissèrent vers la fenêtre, désertant les siennes ; une pincée de soulagement bourgeonna au creux de son poitrail malgré elle, l’intensité nappant son regard mordoré l’ébranlant plus que de raison. L’origine de sa vraisemblable anxiété se dérobait à son esprit éreinté, déconcertée qu’un individu s’apparentant d’avantage à un inconnu qu’une amitié ténu pouvait éprouver une quelconque inquiétude à son égard. Seraphina ne comptait jamais sur autrui, non pas par arrogance ou une confiance exacerbée, mais simplement car les individus gravitant au creux de son espace ne lui en avait jamais donner la raison. Vipères se fardant d’une physionomie de ballerines, avarice noyautant l’encéphale des géniteurs, d’avantage préoccupés par le succès que de sa santé ; entourage perfide forgeant une indépendance solide. On ne s’occupait pas d’elle, Seraphina survivait à la force de ses propres phalanges ; discrètement et silencieusement, mais sûrement et vigoureusement.

J’imagine que c'est indiscret si je te demande quels sentiments te rendent malade au point de devoir aller à l'infirmerie ?

Entièreté de la silhouette se contractant, muscles crispés sous la pulpe crémeuse ; doigts leptosomes triturant nerveusement une mèche safranée. Nerfs douloureusement à vifs, les prunelles cobalts se vissèrent au plafond, évadant sciemment les siennes. Matière cérébrale s’agitant vivement, fleuve de pensées anarchique submergeant l’esprit ; Seraphina ne trouvait guère quoi lui répondre, syllabes fermement enracinées au creux de sa trachée, lippes framboises cimentées par l’anxiété. Souffle sillonnant péniblement ses poumons, palpitant martelant sa cage thoracique ; la langue ondula finalement une palabre.

Oui, c’est indiscret.

Aussitôt que les mots s’évaporèrent au creux de l’air, le regret inonda sa cervelle. Elle semblait, quelque part, avoir craché sur sa bienveillance et son inquiétude ; chose dont Seraphina s’en voudrait terriblement. Crâne se secouant perceptiblement, inspiration labourant bruyamment sa trachée ; ses opalescences azurées s’agrafèrent finalement aux siennes.

Je ne sais pas vraiment, à vrai dire… Je suis tout le temps anxieuse, et la moindre chose me fait paniquer. Je déteste la foule, et je ne fais plus confiance aux gens.

Éclat de mélancolie nappant la voix tremblante ; vérité maladroitement exprimée.