Wyatt Lloyd Lindberg - Me, myself and I [Fiche Terminée]

Tout est possible quand on tend vers la perfection. Deux principes s'offrent alors à nous : Le faire savoir et être le seul à en profiter.
La plupart me considéreraient comme imbu, présomptueux. Je laisse cela aux jaloux, aux envieux. Ne pas avoir d'autres modèles que soi-même, ne compter que sur ses propres capacités et essayer encore et encore jusqu'à y parvenir. Quel autre credo pourrait être plus parlant ?
Malheureusement, la société actuelle vit dans le connecté et il faut sauver les apparences. J'y tiens malgré moi énormément. Les "qu'en dira-t-on" me titille l'ego plus qu'il ne le devrait, en tout cas bien plus que je ne le laisse transparaître. Il faut sourire, être bienséant pour asseoir ensuite une emprise sur autrui. À quoi bon être irréprochable quand son seul auditoire est les quatre murs d'une pièce vide ?...
Aussi je mets un point d'honneur à soigner mon allure : mes habits sont toujours impeccablement repassés, je me lave deux fois par jour, discrètement parfumé en toute circonstance, mes cheveux mi-longs coiffés sans passer pour autant pour un coincé du cul. Mon sourire était étudié pour plaire, parlant peu mais parlant bien. Il m'arrivait d'être de mauvaise humeur comme tout à chacun et je faisais rapidement comprendre qu'il valait mieux à la personne de voir ailleurs s'il y était.

Je n'ai jamais pris la peine de m'intéresser en profondeur à quelqu'un. Savoir le principal, quelques secrets en prime avaient ses avantages : aller à l'essentiel pour ne pas paraître asocial et continuer de son côté ce qui avait un réel intérêt.
Je ne veux pas tomber dans les clichés pompeux du type mystérieux à la double personnalité, mais sur cette pièce en argent qui ne me quitte jamais, les inscriptions sur la tranche me rappellent qui je suis et ce que je vaux : ad augusta per angusta : La gloire ne s'acquiert pas avec facilité ou plus communément la fin justifie les moyens.
S'il fallait en passer par la magie quelle que soit sa couleur ou par l'humiliation d'une personne qui barrerait ma route, j'ose espérer que ce dernier n'attendrait pas de moi une quelconque mansuétude, il risquerait d'être grandement déçu.

À la lueur vacillante des bougies magiques qui entourent mon bureau d'études, d'innombrables parchemins jonchent ce bois usé par tant d'étudiants avant moi. Je m'interroge parfois sur la folie de suivre deux licences à la fois mais irrémédiablement la conclusion est toujours la même : ne pas faire comme ces autres moutons, faire mieux car je vaux mieux qu'eux. Quand mes camarades font mumuse à s'envoyer des textos sur la dernière musique à la mode, je me penche sur les effets secondaires d'un philtre de confusion ou encore le lien entre le psyché d'un maître en métamorphose et l'apparence qu'il a choisie.
Fort heureusement, je ne suis pas catégorisé dans ces boutonneux intellectuels sans amis reclus dans un coin d'une bibliothèque poussiéreuse. Premièrement parce que je déteste la poussière mais surtout parce mes crédits familiaux illimités et ma bouille d'ange m'ouvrent certaines portes sociales bien utiles.
Je suis la fierté de la famille, l'aîné à qui tout réussit aussi ai-je peu d'entraves aux libertés que je m'accorde. Il y a le Lloyd bien sous tous rapports, et le Lloyd qui à l'abri des regards s'intéresse à ce qui n'est pas censé intéresser un élève fut-il de dernière année.
Seule ombre au tableau, mon bâtard de frère. Même s'il agit effectivement comme un abruti fini la plupart du temps, je faisais référence surtout au sens premier du mot, à l'erreur familiale dont il est l'incarnation. Je me contiens souvent de lui cracher tout ce que je pense de lui car il me sert de mètre étalon : me retrouver inférieur à lui me serait insupportable.
Pour autant, con fini qu'il est, il porte le même nom de famille que le mien et ce qui le touche va forcément m'éclabousser. Les apparences, toujours les apparences, aussi lui sauver les fesses si la situation l'exigeait passerait avant tout le reste. Le prix à payer en retour sera à la hauteur de l'aide apportée.

Je soupire, me reprochant d'errer dans des pensées improductives. Ces devoirs ne vont pas se finir tout seuls après tout.
J'entends au bout du couloir un jeune couple riant avant qu'il ne croise mon champ de vision. Ils se tiennent la main, un regard complice l'un vers l'autre, avant de remarquer ma présence. La contenance qu'ils tentent de prendre est d'une mièvrerie à gerber mais je leur souris d'un air compréhensif et légèrement amusé, celui qui les incite à s'amuser tant que les responsabilités ne leur courbent pas l'échine.
Une fois la porte refermée derrière eux, je me surprends à voir la plume que je tenais brisée en deux sous la pression de phalanges blanchies d'un poing serré. Aurai-je gâché ma propre jeunesse ?
Je n'ai personne avec qui en parler. Même si je connaissais quelqu'un, le ferais-je seulement ? Se confier revient à donner des munitions à un potentiel concurrent, un potentiel ennemi.

La solitude me pèse plus que cette tonne de travail mais je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Élias - enfin Floyd comme il préfère être appelé - a beau jeter le peu de potentiel qu'il a par la fenêtre, ne vit-il pas plus que je ne vivrai jamais ma vie ?