Great minds think alike | Edwyn

Petite amie ? Wow, ça sonnait bizarrement. Et pourtant. Pourtant... Oui, ça lui plaisait plutôt bien comme idée, en vrai. Enfin, ne nous emballons pas non plus. Rien n'était joué.

Tu vas un peu vite en besogne, elle ne m'a pas encore dit "oui".

Il ne lui avait pas encore posé la question, aussi. Il y songeait depuis un moment, mais l'occasion n'était jamais propice, l'ambiance pas adaptée, etc. En somme, il se cherchait un peu des excuses et s'était posé comme limite le soir du bal. Il lui avouerait tout ce soir là s'il n'y parvenait pas avant.

J'hésite à laisser tomber l'occultisme. Le ministère refuse toujours de m'accorder un retourneur de temps. Et mes projets d'artisanat magique s'accumulent...

Pour être honnête, toute personne qui connaissait un peu Edwyn aurait probablement été terrifiée à l'idée de le voir avec l'un de ces objets entre les mains. Peut-être qu'il devait monter une expédition pour en voler un ? Ou compter sur l'Edwyn du futur pour lui envoyer des trucs utiles ?

Ce serait sympa de pouvoir créer son propre cursus. Ça m'éviterait d'avoir à sécher la botanique aussi souvent.

Il poussa un soupir. On pouvait toujours rêver. Et, à propos de rêve, il serait temps de revenir au sujet.

Tente le coup si tu veux. Il y a sûrement d'autres méthodes, sinon. Les moldus ont un exercice de volonté éminemment complexe qu'ils appellent 'Sudoku', à ce qu'on dit. Cela implique des chiffres et d'avoir une grande maîtrise de soi pour ne pas mettre le feu à ces pages d'incantations qui ressemblent à des prédictions arithmantiques.

Bertram s'y connaissait probablement mieux en trucs moldus que lui, il saurait sûrement de quoi il s'agissait.
Il haussa les épaules à la dernière réflexion de son camarade.

On s'en fout de qui arrive en premier, c'est pas une course. L'essentiel, c'est d'y arriver.

Mon camarade avait vraiment l’air d’apprécier cette fille mystère. Et si elle avait une once de jugeotte, cette demoiselle l’avait sûrement remarqué. Par conséquent, sa réponse positive à son invitation au bal devait aussi être intéressée. A moins que ses raisons soient purement d’ordre...pragmatique. Mais Edwyn l’aurait forcément perçu, non ? Même si je ne le qualifierait certainement pas de grand romantique, je doute que mon colocataire puisse éprouver des sentiments envers ce genre de personne.

Et la nouvelle tombe soudainement. Edwyn, laisser tomber l’occultisme ? Laisser tomber quoi que ce soit ?!! Ca me paraissait étrange. Par contre je devais me retenir de pouffer de rire pour la suite. Comme si le ministère allait fournir un retourneur de temps à n’importe quel gamin à peine majeur. D’autant plus un gamin qui les méprisait ouvertement. Le gouvernement n’arme jamais les rebelles après tout. Mais blague à part, j’étais sincèrement secoué d’apprendre qu’il comptait abandonner une de ses licences.

Vraiment ? ...tu es sûr ?

Mais Edwyn ne semblait pas plaisanter. Le temps lui manquait, ça et son affection pour le professeur d’occultisme devait jouer.  Mais ça serait tellement étrange de ne pas le voir en classe. Quelque part, sans sa tignasse rousse, j’étais un peu perdu.

Hmm...si jamais tu décidais de laisser tomber, je pourrais toujours te prêter mes notes. Et on pourrait pratiquer ce que j’ai vu en classe. L’important pour toi ce sont les connaissances, non ? A moins que tu ne te destines à travailler pour le ministère...

Quelque part j’y gagnerai à repratiquer ce que j’avais déjà vu. Et les débouchés indépendants de la filière de défense /occultismes étaient soit très rare soit….carrément douteux et puis, Edwyn devrait s’occuper de l’entreprise familiale, non ? Je souris faiblement lorsqu’il mentionne le cours de botanique. Je partageais le même ennui pour la matière, même si je ne l’exprimais pas aussi bruyamment. Mon regard se perd un peu en songeant aux implications d’un cursus à la carte.

Oui ça serait pas mal...mais je suis sûr que tu finirais quand même par prendre trop de cours.

Le Bertram Godfrey qu’il connaît, lui, ne prendrait rien d’original. Mais j’aurai clairement été tenté par prendre des cours de médicomagie, ça peut toujours être utile sur le terrain. Mais en voyant le dilemme d’Edwyn, qui se consacrait presque uniquement à ses licences, je n’étais sans doute pas capable de gérer deux cursus. Ou alors pas comme je le souhaitais - c’est à dire avec excellence.

La description thérapeutique du sudoku par le rouquin m’arrache un sourire. Sudoku, mots croisés...c’était le genre de trucs que mes grands-parents faisaient pour passer le temps à la plage. Je me souviens d’ailleurs que grand-père m’avait expliqué tout ça avec grand enthousiasme - comme tout ce qu’il trouvait fascinant chez les moldus. J’éclate d’un léger rire. C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ?

Ahaha, bien sûr. J’emprunterai ceux de ma grand-mère.

J’hoche docilement la tête à sa remarque. C’est vrai que pour des serdaigles, dans le dortoir on évite de se concurrencer inutilement. Certes, entrer en compétition peut parfois être utile...mais aussi stérile. Edwyn le comprenait. D’un ton plus sérieux et plus modeste, j’acquiesce :

Tu as raison.

Et puis dans cette atmosphère calme et studieuse je réalise que ça ne sert à rien de courir. Dans deux ans je perdrais probablement tout le monde de vue. Béring se lancera dans le sport. Edwyn partira vers de folles aventures. Virgil travaillera sur sa robotique dans un petit laboratoire. Et moi où serais-je ? Est-ce que mes rêves allaient se réaliser ? Tous les quatre, est-ce que nos chemins allaient se croiser ? Ou est-ce qu’on allait simplement s’oublier, rester un souvenir dans nos mémoires ?

Je m’allonge un instant et je m’installe, les bras derrière ma tête.

Hey Edwyn...tu te vois où dans 10 ans ?

Ou plutôt qui est-ce que tu veux être ?

Il haussa les épaules, comme si tout ça n'avait pas une si grande importance et expliqua :

L'occultisme occupe un temps précieux.

Les sortilèges, les baguettes... Il y songeait déjà depuis quelque temps, mais tout cela commençait presque à lui paraître obsolète. Il perfectionnait chaque jour un peu plus ses créations. Le moment viendrait où sa baguette ne servirait plus que pour des choses triviales. Paradoxal pour l'héritier des Ollivander, non ?

Je passe du temps à apprendre de nouvelle chose sans jamais en avoir pour les exploiter. C'est ce que je veux faire, maintenant.

C'était simple, au fond. La théorie, c'était chouette, mais il désirait passer à la pratique. Et la proposition de Bertram ne risquait pas de le faire changer d'avis, bien au contraire.

Ta proposition ne fait que me conforter dans cette décision. J'accepte volontiers. Merci.

Étrange que la mention du sudoku semble autant l'amuser. Si sa grand-mère pratiquait régulièrement ces exercices, elle devait être dotée de nerfs d'aciers. Peut-être était-ce auprès d'elle qu'il devait apprendre l'occlumancie et pas d'Andersen ? Il garda cela pour lui, toutefois. Apprendre avec sa famille, ce n'était pas toujours facile.

La dernière question de son camarade le laissa silencieux quelques instants. Au fond, c'était un peu l'interroger sur ses rêves et ses espoirs. Il n'y avait donc pas besoin d'être trop terre à terre.

Dans une jolie maison de campagne, marié à une charmante sorcière et avec un ou deux enfants. Peut-être un gros chien et un chat aussi paresseux que ronchon. Et à la tête de l'entreprise internationale que sera devenue notre petite affaire familiale.

A quoi bon tolérer les ersatz, ils étaient les meilleurs, qu'ils prennent possession du commerce et de la conception de baguettes à l'échelle du monde entier. Cela dit, c'était la partie sur la charmante sorcière qui le laissait le plus rêveur. Dix ans, c'était très loin et beaucoup de choses pouvaient encore changer, mais... C'était à elle qu'il avait directement pensé en mentionnant cette partie. Devenait-il trop épris pour son bien ? En tout cas, une chose était certaine, cet avenir n'arriverait jamais s'il ne se bougeait pas un peu pour l'obtenir.

Et toi ? Des projets d’espionnage magique, d'intrigues et de complots au cœur des archives secrètes du pays ?

Il n'y avait pas de mal à exagérer un peu. Tout ça n'était que des projets.

Les justifications logiques ne tardent pas à venir. Je comprends, oui, mais j’ai encore d’énormes difficultés à me faire à l’idée.Je sentais la fin de cette ère tomber comme le couperet d’une guillotine. Je hoche vaguement la tête.

Ouais, je comprends. T’as besoin de faire quelque chose de concret.

Moi aussi je le ressentais. Les études étaient longues et fortement théoriques. Même si Poudlard avait été mon foyer pendant 8 ans, l’oiseau commençait à éprouver le besoin d’étendre ses ailes et s’échapper de ce cloître étouffant. De enfin faire quelque chose. D’agir. Et dans le cas d’Edwyn, de créer et de construire. Je lui adresse un de mes sourires hypocrites alors qu’il accepte ma proposition. Pourquoi est-ce que je lui avais dit ça ? J’aurai dû le convaincre de continuer. Ou pas. Je ne sais pas. L’héritier des Ollivander sait ce qu’il veut, je ne pensais même pas être capable de retarder sa décision. De toute façon, c’était un service qu’il saurait me rendre en cas de besoin, j’en étais sûr. Se rendre indispensable était primordial quand on voulait avoir une quelconque influence sur quelqu’un. Mais moi, je n’ai jamais été indispensable à qui que ce soit.

Mon colocataire commence alors à  me peindre un joli et ennuyeux tableau de sa future vie idéale. Je ne peux pas m’empêcher de noter qu’il commence par sa situation familiale. Avec ce genre de question, on commence toujours par répondre par ordre de priorité. J’imagine que la fille mystère devait lui rester dans le coin de la tête. Le Edwyn que je connaissais aurait, en temps normal, commencé par aborder sa situation professionnelle. Je le regarde et me pose la question. Est-ce qu’il commençait seulement à changer ou bien je ne l’avais pas remarqué plus tôt ? En tout cas, je garde cette réflexion pour moi.

Tiens...je pensais que tu serais parti faire le tour du monde. Tu sais, bourlinguer dans la jungle amazonienne ou quelque chose comme ça.

Avec tous ces voyages et son avidité de connaissance, je l’imaginais plutôt comme un aventurier : machette, coup de soleil et piqûres de moustiques constamment parti en quête de stimulis. Abandonner la corruption de la civilisation et vivre avec les natifs. Je ne connaissais pas grand-chose aux obligations que son statut lui demandait mais jusqu’à présent il avait été capable de partir à l’aventure pourquoi ça changerait. Peut-être qu’il était prêt à jouer au papa et à la maman pour les beaux yeux d’une charmante sorcière. Apparemment c’était le cas.

J’éclate d’un rire poli alors qu’il se prête au jeu de deviner mon avenir.

Peut-être. Si je parviens à entrer dans le département des mystères, sinon j’imagine que c’est le travail d’Auror qui m’attend...et beaucoup de paperasserie.

Je pousse un léger soupir. Je serais profondément déçu si c’était le cas. Je travaillais déjà sur quelques plans mais je ne pouvais pas les dévoiler à mon camarade. Je devais conserver cette image d’enfant de choeur.

Mais j’aimerai beaucoup me marier, avoir une jolie maison près de la mer et des enfants aussi.

Je lui souris. Ce n’est pas vrai. Je ne veux pas me marier. Des enfants...peut-être. Mais il y a tant de choses que je veux accomplir avant ça. Ce n’est que secondaire.

Il laissa échapper un rire à la remarque de Bertram. Bien sûr celui-ci avait peut-être du mal à comprendre l'attrait d'une famille complète et de la simplicité de cette vie pour lui. Il passait son temps en aventures et expériences plus intéressantes les unes que les autres, mais la vie de famille, c'était aussi un truc qu'il n'avait jamais fait et, n'ayant pas connu sa propre mère très longtemps, il attachait de l'importance au fait d'être là pour ses futurs enfants.

Je n'ai que deux mots à dire : Pierre. Philosophale.

Quand on envisage son avenir comme pouvant s'étaler sur des siècles, qu'étaient une paire de décennies consacrées à élever ses enfants ? Une goutte dans l'océan. Pour lui, c'était une certitude qu'il parviendrait à la créer avant dix ans. L'alternative était trop horrible et pessimiste pour qu'il accepte de l'envisager. Elle signifierait un échec majeur, sa défaite face à la manière dont le monde fonctionnait. Intolérable !

Chassant ces pensées défaitistes qui n'avaient pas de permis de séjour dans l'état souverain d'Edwyn, il ajouta avec malice :

Puis, tu serais surpris de voir comme une cabane de jardin toute simple se change en atelier complet avec les bons sortilèges.

Les désirs de Bertram étaient peu surprenant. Il ne cachait pas son ambition concernant un avenir de langue-de-plomb. S'il n'avait pas eu d'aussi mauvaises relations avec le ministère ou un mépris souverain pour ses représentants, Ned aurait peut-être eu ce genre de perspectives lui aussi.

Pourquoi cette carrière, au fait ? T'as un bon niveau, tu pourrais faire à peu près tout ce que tu veux. Qu'est-ce qui te plait là-dedans ?

Était-ce pour les secrets qu'il contenait ? Un but ou juste une étape ? Bertram était plutôt discret sur ce qu'il désirait vraiment. Le genre de personne qui donne raison au proverbe "il faut se méfier de l'eau qui dort". Enfin, tant que le grand Cthulhu ne se dissimulait pas dans ses profondeurs, Edwyn n'était pas inquiet outre mesure.

Les  pensées de mon camarade sont connues pour rebondir aussi vite et loin que des balles magiques donc j’ai un peu de mal à suivre. Je lui lance donc un regard curieux . La pierre philosophale carrément ? Avant de masquer un sourire. C’était absolument ridicule. Il n’était pas sérieux n’est-ce pas ? Non seulement elle était pratiquement impossible à produire mais en plus vivre des années supplémentaires ? Et si ses enfants refusaient ? Les voir vieillir et mourir ? Quelle idée morbide….

Retourneur de temps, pierre philosophale, Edwyn semblait vraiment déterminé à contourner la temps et la mort. Et si perdait des années à sa recherche pour échouer ? Il ne pourrait jamais récupérer ce temps perdu. Moi,je préférais me focaliser sur des objectifs plus atteignables. Mais c’était sa vie, son choix et je savais que ce n’était même pas la peine d’essayer d’argumenter. Alors je lui dis simplement ce que je pense, en essayant de ne pas paraître sarcastique :

Et bien...Bonne chance avec ça.

Son autre réflexion ne provoque pas de grande surprises. Mon grand-père possédait un abri de jardin et un bureau tout à fait fonctionnel et protégé pour l’usage de la magie en milieu moldu. C’était d’ailleurs le point de chute du portoloin que ma mère avait réussi à obtenir.

Oh je sais. Tu devrais voir celui de mon grand-père ! Il a même quelques étages.

Je me souviens qu’il avait l’habitude de m’y emmener lorsque j’étais enfant. Je m’amusais beaucoup avec le matériel d’alchimie et de potions. Le temps qu’on pouvait y passer…Et au beau milieu de ces doux souvenirs, une question soudaine sur mon choix de carrière. Ce n’était un secret pour personne que j’avais les yeux braqués sur le département des mystères. En tout cas pas depuis mon choix d’option en début d’année. Ce qu’ils ignoraient, en revanche, c’est que ma mère s’attendait aussi à ce que je m’oriente vers quelque chose d’aussi ennuyeux que commerce ou droit magique.

Tout ce que je veux...pas vraiment mais….merci !      

Edwyn n’était pas du genre à dispenser de compliments à la légère, donc j’étais vraiment flatté. Qui sait ? Peut-être que si ma future carrière allait échouer, j’aurai une chance de trouver de l’emploi chez Ollivander corp. Dommage que je n’ai pas de compétences en artisanat.

Mes yeux se braquent vers le plafond alors que j’analyse mes propres motivations. Je ne m’étais jamais posé la question du pourquoi, trop occupé sur le comment. Mes regard s’attarde sur le plafond alors que je sonde mes pensées et fais le tri.

Je ne sais pas trop, ça m’a toujours intrigué...Et puis j’imagine...    

J’hésite un instant.

...qu’il y a une certaine satisfaction à tirer de savoir ce que les autres ignorent ? L’opportunité de faire quelque chose d’important sans que les autres sachent ? Je ne sais pas.

C’était exactement ça. Tout ça. Mais qu’est ce que mon camarade pourrait en penser ? Je devais avoir l’air indécis. Et puis surtout changer le sujet de la conversation - je n’étais pas habitué au fait d’être le centre d’attention.

Et toi, tu n’as jamais pensé faire autre chose que de suivre l’héritage familial ?

Ca avait forcément dû lui traverser l’esprit quelques fois.

Il n’avait pas l’air d’être très convaincu par l’histoire de la pierre. Soit, c’était naturel. Peu de gens lui accordaient beaucoup de crédit lorsqu’il mentionnait son désir de réitérer l’exploit de Flamel. Même si, dans les faits, c’était une possibilité tout à fait réaliste. Flamel était parvenu à créer sa pierre à une époque où la plupart des accessoires et techniques modernes n’étaient même pas du domaine du rêve. En exploitant les ressources du vingt-et-unième siècle, c’était déjà beaucoup plus simple d’y parvenir. Puis, si un autre avait pu le faire, pourquoi pas lui ? Il valait bien n’importe quel sorcier médiéval.

Apparemment, Bertram avait du mal à croire à ses propres capacités également. Tant de scepticisme chez une personne si jeune, c’était presque désolant.
Savoir ce que d’autres ignoraient, il pouvait comprendre. Le savoir exerçait un attrait puissant sur de nombreux membres de leur maison. Néanmoins, il avait du mal à voir l’intérêt de faire des choses importantes sans que personne ne soit au courant. La satisfaction personnelle ? Peut-être était-ce parce qu’il appréciait l’idée de rester dans les livres d’histoire qu'il peinait à comprendre ?

Il haussa les épaules à la dernière question.

N’est-ce pas ce que je fais déjà ?

Il n’était pas fana des baguettes et s’investissait bien plus dans d’autres domaines. Il fallait que quelqu’un reprenne la boutique, mais il prévoyait d’y consacrer le minimum de temps et de rendre la chose autogérée au maximum dans le futur. Il avait mieux à faire de ses journées, clairement.

Ça reste une source de revenus pratique dans un premier temps. Rien de plus. Si Andy était capable de s’en occuper, je lui laisserais la boutique sans hésiter.

Mais Andy était une cracmolle et ne savait pas concevoir de baguettes. Elle aurait pu les vendre sans trop de peine, mais la partie qui demandait le plus de temps et d’investissement n’était pas à sa portée.

Disons que c’est une chose à faire en plus de ce qui m’intéresse. Pas une chose à laquelle je veux consacrer ma vie. Puis, mon père n’est ni mort, ni à la retraite. C’est encore sa boutique.

Aussi longtemps que son paternel voudrait continuer à la gérer, Edwyn lui en serait reconnaissant. Sa famille était peut-être à l’abri du besoin grâce à ce commerce, mais ça restait un beau gâchis de ses talents que d’y consacrer sa vie comme ses ancêtres avant lui.

On me traitera sûrement de fils indigne, mais, à mes yeux, les baguettes sont vouées à disparaître dans les décennies à venir.

Les rêves de grandeur de Ned prenaient toujours plus d’ampleur. Et même si c”était souvent la source de plaisanteries à ses dépends, quelque part, c’était plus pour nous rassurer. Edwyn Ollivander refusait toute médiocrité de sa part et ça forçait le respect. En plus, avec sa chance insolente, il était peut-être bien réussir à réaliser ses projets les plus fous. Il émettait cette aura de savant fou et doué qui fascinait ou exaspérait. Mais après tout ce temps, j’étais convaincu d’une chose : la conquête du monde n’aurait probablement aucune valeur à ses yeux. Seul Ned savait ce qu’il voulait vraiment - et il s’agissait probablement de rebondir d’un projet à l’autre jusqu’à atteindre une forme de perfection qui finirait par le contenter.

Ou une petite maison, près de la mer avec un chien, sa femme et ses deux enfants rouquins.

En tout cas, mon camarade estimait qu’il s’éloignait déjà du business des baguettes magiques. Mais quelque part, je me flattais d’avoir raison. Si Andy était capable de s’en occuper, je lui laisserais la boutique sans hésiter. Le rouquin était un esprit libre, le voir enfermé entre 4 murs à fabriquer, réparer et vendre des baguettes ressemblait à du gâchis.

Et même s’il avait raison en affirmant que le business ne lui appartenait pas encore, c’était bien ce qui se dressait sur sa route, inévitablement. Même si mon camarade avait quelques prédictions à faire sur l’avenir du monde magique anglais.

Tu penses ? Qu’est-ce qu’on aurait à la place, alors ?

La magie avec les doigts - ça serait tellement cool. Mais jamais les sorciers anglais ne s’adapteraient à un système étranger, il faudrait quelque chose d’unique. Nous, les anglais et notre esprit de contradiction. Ou peut-être quelque chose qui pouvait combiner magie et technologie… Après tout les baguettes avaient bien servis durant leurs décennies - il était naturel que leur temps passe et qu’elles soient remplacées.

Je m’empare de ma baguette pour la regarder. Un jour, on verrait naître une génération de sorciers et de sorcières qui ne connaîtraient pas les baguettes magiques. Quand je l’examine, je m’aperçois que ça reste un bel objet, conçu pour être plus que fonctionnel. Est-ce que la baguette fait le sorcier ? Quelque part, elles étaient un reflet de nous même. La mienne, tantôt docile, tantôt capricieuse…parfois je la maudissais. Mais l’idée de devoir la jeter à la poubelle...m’était impossible. A force on s’y attache.

Je la retiens contre moi. Je me souviens du jour où nous sommes allés l’acheter. L’idée qu’une seule baguette nous soit destinée...ça m’a donné l’impression d’être spécial. Et cette sensation...

Honnêtement je ne suis pas sûr de pouvoir me débarrasser de ma baguette...Tu le pourrais, toi ?

Peut-être qu’Edwyn avait une opinion différente. A force d’en voir passer à la pelle, il devait les trouver moins spéciales.

Le commentaire sur l'obsolescence future des baguettes semble toucher Bertram. Rien d'étonnant, c'est le genre de chose qui affecterait la plupart des sorciers. Lui-même, avant de progresser plus avant dans la création magique, n'aurait probablement pas pu imaginer un avenir sans baguette.

Tu sais qu'une baguette repose essentiellement sur trois choses : le cœur magique qui lui donne l'étincelle d'énergie, le bois qui oriente celle-ci et le savoir-faire de l'artisan qui permet l'alchimie des deux premières pour obtenir un tout fonctionnel.

C'était la base de la théorie des baguettes, après tout. Pratiquement tous les sorciers savaient cela ou s'en doutaient.

Si le cœur n'est pas une chose qu'on peut facilement changer, les autres aspects peuvent être modifiés. A la place du bois, on pourrait employer des métaux, par exemple.

L'alchimie s'était un peu attardée sur le sujet, mais en tant que focus, ils pouvaient certainement être une alternative aux essences de bois employées traditionnellement et créer des variances similaires. Voire ouvrir des possibilités intéressantes avec les alliages. Le métal se façonnait et réparait plus facilement aussi et offrait souvent une plus grande solidité que le bois.

Mais c'est dans la forme qu'on peut imaginer le plus de changement. On pourrait employer toutes sortes de figures géométriques tridimensionnelles et ça pourrait affecter la magie qu'on tire de l'objet également.

Il fouilla dans sa vieille besace à la recherche d'une de ses sphères les plus basiques pour une démonstration d'une dernière possibilité. Il la lança en l'air où elle resta en suspension un moment, puis se mit à orbiter lentement autour de lui.

On pourrait se libérer les mains, aussi.

Edwyn était visiblement très emballé par ses idées sur le sujet. Qu'attendre d'autre d'un inventeur qui connaissait les baguettes mieux que sa poche et cherchait sans cesse à étendre les horizons de la magie ? Ceci dit, il consentit enfin à répondre à la question plus personnelle de son camarade.

Tout ça risque de prendre du temps et il faut que les sorciers s'y intéressent. Je pense que les baguettes ont encore du temps devant elles. Et je conserverai sûrement la mienne, même après. Ça me fera un souvenir. Puis, on ne sait jamais, en cas de pépin, c'est toujours bien d'avoir un atout.

Les méthodes qui ont fait leurs preuves, ce n'est jamais vraiment à jeter.

Comment se séparer de nos baguettes bien aimées ? En tout cas, si Ned abordait le sujet, c’est qu’il avait déjà une petite idée derrière la tête. Et étant donné qu’il s’agissait de l’héritier de l’empire des baguettes, j’étais curieux d’avoir une preview de ce que l’avenir nous réservait. Après un bref rappel -inutile - des éléments basiques d’une baguette, il aborde enfin les variations.

Du métal à la place du bois ? Certaine baguette employait parfois des métaux plus fragiles et autres que du bois. Mais une baguette en métal ? Certes, elle serait plus résistante mais on pouvait abandonner la souplesse et l’aisance. Tenir un métal froid pour exécuter des sorts, ça pouvait fonctionner ? Je l’écoute attentivement, bien qu’un peu circonspect. Il évoque ensuite un jeu sur la forme et une possibilité d’affecter la magie. Voilà qui fait rêver

Ca serait...une vraie révolution.

Une nouvelle forme de magie, de lancer des sorts. Une terra incognita. On devrait tout réapprendre...et si on risquait de perdre d’anciens sorts, ça serait forcément compensé par de nouveaux effets. Mais si c’était le chemin que devait prendre le monde magique, Edwyn se heurterait à de nombreux obstacles. Les sorciers anglais n’ont jamais été réputés pour leurs idées progressistes et l’acceptation de la nouveauté. Le Ministère et toute la communauté freinerait des quatre fers. Et pourrais-je les blâmer ? Même si je trouvais ça terriblement excitant, c’était aussi incroyablement effrayant. Un vrai basculement des pouvoirs. Imaginez de grands sorciers réduits à apprendre le B.A BA sur un nouveau catalyseur ?

Il sort un prototype. Une sphère flotte autour de lui et orbite. Donc ça serait ça, la magie de demain...Cela me rappelait la représentation de certains sorciers dans les jeux vidéos, armés de sphères colorées qui lévitaient au dessus de leurs doigts. J’ai toujours trouvé fascinant la façon dont les moldus représentent la magie. Mon regard suit un instant la sphère qui gravite autour de mon camarade avant de le regarder avec un léger sourire.

C’est déjà un début de prototype ?

Et qu’est-ce qui se produirait si je l’interrompais dans sa course ? L’idée me tente mais ça serait mal vu. Et je ne voudrais pas abîmer un de ses projets. Je  m’assieds au bord de mon lit pour me pencher un peu vers la nouvelle lune d’Edwyn. Et ma curiosité parle d’elle-même :

Mais comment ça fonctionnerait sans contact direct ? Et puis pour viser… ?

La magie en contactless, c’était loin d’être courant. Il fallait un contact avec la baguette pour qu’elle fonctionne. Ca serait du jamais vu. Je me redresse avant que de nouvelles idées fusent dans ma tête.

Et si la magie devient un peu différente selon l’outil, il serait judicieux d’avoir plusieurs catalyseurs. Une sorte d’arsenal. Ca serait un peu compliqué mais bien maîtrisé..ça pourrait être vraiment utile.

Après tout rien n’empêcherait la coexistence de deux systèmes différents, non ?

Une révolution ? Oui, c'était un peu le but. La magie avait stagné assez longtemps. Elle avait besoin de nouvelles perspectives, de nouveaux horizons et également d'une démarche bien plus cadrée. Les scientifiques moldus l'avaient compris, eux.

Ça ? Non, c'est juste une preuve que le concept est réalisable, mais c'est plus proche d'une amulette qu'autre chose. Regarde.

D'une commande mentale, il ordonna à la sphère de se déplacer plus près du plafond et lança :

Lumos !

Immédiatement, la sphère braqua son "œil" vers le plafond et l'éclaira de sa lumière magique. L'enfance de l'art. Il ajouta un Nox informulé pour l'arrêter et la sphère revint orbiter autour de lui.

Malheureusement, cette sphère n'est pas faite pour le grand public et serait difficile à produire en masse. Elle fonctionne en exploitant une forme de magie sympathique.

Et c'est là que la conversation devenait un peu tordue, en général. Les méthodes exploitant la magie sympathique le plus efficacement étaient une tradition haïtienne rendue populaire par de nombreuses œuvres de fiction et la magie du sang caractéristique de la magie noire.

Il y a une petite part de moi dans cette sphère. Renforcée par les enchantements et runes qui la composent, elle est comme un membre supplémentaire, en quelque sorte.

Il pouvait sans souci en parler à Bertram qui ne disposait pas des compétences d'artisan nécessaire à la copie d'un tel projet. D'ailleurs, bien peu pourraient parvenir au même résultat que lui. Il y avait dans cette sphère sa marque personnelle, un mélange d'inspiration magiques des quatre coins du monde combinés à sa maîtrise des runes et de l'alchimie ainsi qu'à des principes magiques déduis de l'étude de la magie noire. C'était son chef d’œuvre.

On pourrait, mais l'idéal serait de n'en avoir qu'une ou deux. Au-delà, ça devient trop encombrant.

Actuellement, les sphères étaient les plus polyvalentes. Ses quelques tests et des extrapolations théoriques indiquaient plusieurs points qui écartaient les autres formes en dehors d'usages spécialisés. Les tétraèdres et les pyramides étaient plutôt bons pour l'offensive et les sorts très primaires, mais peu fiables. Quant à ce qui se rapprochait du cube, c'est un outil essentiellement défensif. Mais il n'avait pas vraiment eu l'occasion de tester toutes les combinaisons de formes et métaux. Cela pouvait être lié au sorcier également.

Un mélange de surprise, de ravissement et de curiosité s’empare de moi alors que je témoigne que la sphère fonctionne. Une véritable merveille qui m’arrache et sourire et l’expression émerveillée d’un gamin qui arrive à Disneyland pour la première fois de sa vie

C’est complètement dingue.

J’étais en train de me dire que j’étais un des premiers témoins d’un nouveau catalyseur, de la naissance d’une nouvelle magie et d’un nouveau monde magique, quand Edwyn m’informe des limites de sa trouvaille.  Difficile à produire en masse. Mince alors.  Anticipant ma question, il entreprend de m’expliquer rapidement en quoi cela consiste. Une part de lui ? Pendant quelques secondes, mon instinct s’inquiète. Quel genre de part ? Le terme “horcruxe” surgit dans mon esprit alarmé, trop prompt à sauter sur les termes occultes. Il ne s’agissait probablement pas de ça. Et même si c’était le cas, le risque en valait la chandelle.

En d’autres termes c’est encore plus personnel qu’une baguette. Et complètement inutilisable par quelqu’un d’autre.

Une baguette volée pouvait toujours fonctionner. Mal, certes, mais elle restait utilisable. Si la sphère d’Edwyn fonctionnait à partir du sorcier, non seulement cela réduirait considérablement l’exploitation de créatures magiques, mais ça pourrait faire naître une magie différente. Une magie individuelle, propre à chacun, dans une forme potentiellement plus brute.
Un millier de questions venaient rebondissaient dans mon crâne. Et même si j’avais du mal à quitter la sphère des yeux, mon regard se repose sur son créateur.

C’est donc ça que tu préparais, tout seul, dans la salle sur demande !

Je m’étais souvent demandé ce qu’il pouvait bien faire là-bas à part étudier. J’avais ma réponse. Travailler sur l’innovation magique du siècle.

Ca pourrait vraiment tout changer, c’est….absolument fascinant. Je comprends mieux pourquoi tu souhaites laisser tomber l’occultisme.

Son mouvement hypnotique autour de son créateur finit par avoir raison de moi. Le rouquin était plutôt du genre réservé, le fait qu’il me montre son prototype ( ou son amulette, peu importe), ça devait vouloir dire quelque chose. Mais j’étais trop curieux pour ne pas lui demander, même poliment :

...Et j’imagine que ça serait présomptueux de ma part  de te demander de m’en fabriquer une ?

Je m’apprêtais déjà à être déçu, mais je devais poser la question.

Complètement dingue ? Bien sûr que ça l’était. Pourquoi ne le serait-ce pas ? C’était sa création, après tout. Et il était de notoriété publique qu’Edwyn était un peu décalqué.

C’est une bonne et une mauvaise chose.

Les Yeux d’ARGOS étaient difficiles à concevoir, demandaient un savoir très particulier et prenaient du temps. Même si, à force, il commençait à bien tenir le rythme, c’étaient des œuvres uniques.

Ouais, en gros. Mais c’est encore loin d’être parfaitement au point.

Perfectionniste, mais aussi visionnaire. Il avait un objectif clair en tête et la version actuelle de son projet était bien loin d’atteindre ce qu’il en attendait. C’était déjà un outil utilisable et il avait corrigé de nombreuses failles sur les modèles les plus récents, mais il restait encore tant à améliorer que ce projet ne serait probablement pas terminé avant longtemps. Quant à l’idée de le partager, non, ce n’était pas envisageable.

Repose-moi la question dans une cinquantaine d’années.

Il ne plaisantait pas. Avant cette période, il ne semblait pas envisageable qu’il puisse en concevoir un pour autrui, pour tout un tas de raisons. Et puis, l’idée lui déplaisait un peu. C’était son bébé, pour l’instant et il tenait à le conserver comme sa propriété exclusive. Quand il aurait fini, peut-être.

Pour l’instant, ce projet n’est ni au point, ni assez fiable pour que j’accepte de laisser quiconque y toucher. Tant qu’on ne connaîtra pas tous les risques potentiels, ça ne me semble pas très intelligent de risquer la vie ou la santé d’autrui.

Et sa réputation en tant qu’artisan au passage. Et, plus la chose se répandrait, plus il risquait qu’elle tombe entre de mauvaises mains ou soit copiée. Il connaissait bien le principe. On révélait un secret à une personne en qui l’on avait confiance. Celle-ci en parlait avec une personne qu’elle jugeait digne de confiance, etc. Et bientôt, toute l’école était au courant. Les choses importantes ou dangereuses, il valait mieux les conserver près de soi.

Pas parfaitement au point, sûrement connaissant le caractère perfectionniste de mon camarade. Mais fonctionnel, ça l’était et cela signifiait que le projet ne pouvait pas être si loin d’aboutir. En s’appelant Ollivander, il risquait mal de manquer de fonds aussi.  S’il se dédiait à sa recherche il y avait des chances que ce soit fini avant 50 ans. Mais Edwyn avait raison d’être prudent et surtout d’éviter d’étaler son invention devant tout le monde. En tout cas il pouvait compter sur moi pour ne pas oublier son projet, bien au contraire. Avec un léger rire, je lui promets donc :

Dans une cinquantaine d’années ? Sans problème, le rendez-vous est pris !

Enfin d’ici là il aura peut-être développé un tas d’autres d’inventions, héritières de ces gadgets un peu ratés qui traînaient dans son dortoir. Au moins Edwyn avait la volonté et les moyens de changer le monde sorcier en construisant quelque chose de nouveau. Quelque part c’était louable comme façon d’être dissident. De plus il n’avait pas l’intention de commercialiser quoi que ce soit tant que son prototype ne serait pas approuvé par le centre de sécurité - c’était tout à son honneur.

En tout cas...je l’attendrai au tournant.
Je l’attendrai tout court, certain que le futur du monde sorcier sera en partie sculpté de sa main.

Mais pour l’instant, le reste de la journée était fait pour se perdre en conversations un peu triviales, en lectures dans le calme ponctuées de commentaires et de questions occasionnelles. Certaines bribes de ces conversations s'approfondiront dans le futur, d’autres prendront la poussière dans un coin de notre mémoire.

Mais en attendant j’avais aquaponey - enfin quidditch, quoi..