De la difficulté des examens • Jiun Jie Cross

« Alors tu as réussi l'exam – Oh punaise c'est quoi cette tête ? »
« Mgnh ? »

Dorothea observa sa collègue Poufsouffle avec un regard presque horrifié. Lisbeth se gratta négligemment le crâne en guise de réponse. Sa chevelure n'était plus qu'un amas de boucles indiscipliné, une véritable crinière où aurait pu se loger une famille de Botrucs sans que personne n'en soupçonne l'existence. Le visage de la Poufsouffle accusait le teint fade des journées difficiles et des nuits harassantes. Se plaquant le front contre le mur le plus proche, Lisbeth expira un :

« 'Taaaain c'est enfin fini. »
« Allons ce n'étaient que des examens. » voulut la rassurer sa comparse Serdaigle.
« Tout le monde n'est pas comme toi à adorer passer des heures à bûcher sur des devoirs, Do'. J'en peux plus. Il me faut de l'air frais et un soda. »
« Tu sais le jus de citrouille... »
« Do' je sais que les sorciers adorent les tubercules mais je suis à tendance Moldue. Faut pas oublier. »

Lisbeth se retira du mur presque à regret, les moulures lui laissant une empreinte sur la joue que Dorothy ne releva pas, craignant de toucher un point sensible. Elle savait combien la Poufsouffle pouvait se montrer grincheuse, presque oursonne, lorsqu'elle n'était pas au top de ses capacités. Et elle semblait ne pas être la seule à avoir été zombifiée par les examens de fin d'année. Plus d'un étudiant traînait la patte, voire se laisser tomber contre une portion du couloir, tous grognant et pestant sur les questions trop difficiles, la torture infligée par le corps professoral.

Corps professoral qui sembla avoir été invoqué sous les traits de Jiun Jie Cross, enseignante en étude des Moldus. Dorothea tapota légèrement le bras de son amie pour l'interpeller. La Serdaigle, bien éduquée à l'extrême, aurait préféré se jeter dans les escaliers plutôt que faire face à un enseignant dans un état déplorable.

« Mgn quoi ? » grogna Lisbeth tout en tentant de renvoyer en arrière ses cheveux – un combat perdue d'avance.
« Mrs Cross est là. »
« Oh. Parfait ! » Le regard de Lisbeth se fit moins terne, gagnant en vivacité. Son corps se redressa d'un rien sous son uniforme. « J'ai justement des questions à lui poser au sujet de l'examen. »
« Je crois pas que ce soit le moment... »

Mais Lisbeth ne l'écoutait déjà plus, trottinant en direction de l'enseignante. Sa main s'agita pour interpeller davantage sa cible, même si la vision d'une étudiante échevelée devait être déjà un signe des plus évidents.

« Mrs Cross, vous avez l'air en forme ! Dites j'ai passé votre examen et vous avez pas lésiné sur la difficulté. Même moi j'ai eu du mal sur certaines questions. Surtout sur la troisième. J'ai pris la réponse b vu que c'était un QCM mais j'ai eu un doute. Vous êtes sûre qu'il n'y avait pas une faute de frappe ? »

Allez rassurez-moi, madame semblait crier Lisbeth de tout son corps, tendue comme la corde d'un violon, attendant l'archet qui la ferait vibrer.

Mrs Cross était une bonne enseignante : dure mais juste à l'image d'une mère dont la discipline était le credo, le mot d'ordre régissant son existence. Au premier abord la Poufsouffle s'était fait la réflexion que la professeure serait une de ces créatures aux relents de naphtaline profitant du cours pour glisser son avis sur la supériorité des sorciers sur les Moldus. La suite des événements avait fait chuter la première impression tel un château de cartes. Les examens de Mrs Cross étaient rudes mais son enseignement les préparait à ce niveau de difficulté... et avait permis de démontrer à Lisbeth que, même en vivant au sein d'un foyer semi-Moldu, elle était loin de tout connaître sur eux.

Si elle avait bien appris quelque chose auprès de Mrs Cross c'était l'humilité.

« En effet, très bonne remarque, j’irais m’excuser auprès des élèves. Mais la réponse était bien la b, puisqu’elle évoque l’évolution des besoins des moldus. »
« Oh vraiment ? »

Lisbeth en avait les cils qui battaient comme des ailes de papillons, les yeux arrondis. Elle s'était attendue à ce que son enseignante lui répliqua l'inverse, voire lui demande, avec un soupçon de plaisanterie, si elle ne cherchait pas à grappiller des points. Victorieuse, la Poufsouffle se retourna vers sa condisciple Serdaigle.

« Tu vois je t'avais dit que... Ah elle a déjà filé. »

Effectivement là où se trouvait Dorothea quelques instants plus tôt ne résidait plus que le vide. Elle avait u profiter de l'interaction pour filer à la bibliothèque : elle y avait son alcôve préférée, un rebord de fenêtre où elle pouvait lire et étudier à satiété. Une moue boudeuse se forma sur le visage de Lisbeth : la petite Cracmol avait su, avec habilité (feinte ou non), éviter son claironnement d'étudiante fière d'avoir déjoué une coquille à un test.

« Outre cela, comment allez-vous ? »
« Oh bah... » Lisbeth refit face à l'enseignante, croisant les mains dans le dos. « Je vous avoue que je suis pas de première fraîcheur. » Je rêve d'un bain moussant mais, hélas, je ne suis pas préfète. « Et je suis bien contente que les examens soient terminés. Je sais bien qu'on y a droit tous les ans, mais chaque année j'ai l'impression que c'est pire qu'avant. »

Puis cette année, pour celle, sonnait celle des ASPIC : leur réussite lui permettrait de faire un pas de plus vers son rêve d'allier la magie et la technologie. Pour sûr que si elle les loupait, elle ragerait de devoir repasser les mêmes examens l'an prochain. Elle verrait cela comme un échec.

« J'espère pouvoir me lancer dans la licence de technologie magique l'an prochain. Il faut d'ailleurs que je réfléchisse à mon projet de mémoire. La conversion de technologie Moldue à la magie c'est dans mes cordes mais j'ai bien trop d'idées ! »

Et les remarques de Lloyd sur le sujet, en plus de l'enrichir, avaient fait naître une flopée de questions. Ses vacances estivales allaient être emplies d'expérimentations. Ses parents allaient devoir, une nouvelle fois, abandonner leur garage à leur progéniture.

« Si vous vouliez transformer un objet Moldu en objet magique, vous choisiriez quoi vous ? Oh ce n'est pas pour que vous fassiez le boulot à ma place ! » s'empressa-t-elle de préciser en levant les mains, paumes en avant. « Juste... Voyez-ça comme un sondage d'opinion. »

S'informer de l'attente de la population pourrait bien la seconder dans ses démarches.

« Mais pour sûr je dirais un objet du quotidien, quelque chose qui me simplifie la vie. Un bon mélange entre moldu et magique. »
« Mh. »

Lisbeth plissa la bouche, ravalant sa lèvre inférieure. Son cerveau carburait tentant de grappiller les maigres indices que lui laissait l'enseignante. Loin de lui servir la solution sur un plateau d'argent, la professeure la poussait à réfléchir, à trouver l'idée par elle-même. La technologie magique n'avait beau en être qu'à ses balbutiements, le monde n'en était guère démuni. Le plus complexe restait de trouver un pendant magique là où la technologie Moldue galopait, tel un étalon fougueux, brassant des concepts proches de la science-fiction. Il n'y avait qu'à voir les drones pulluler en masse, oiseaux mécaniques jouant aussi bien les espions que les livreurs, concurrençant les balais volants.

« Et vous donc ? Je suis bien curieuse de savoir ce que vous avez en tête parfois. Surtout quand il s’agit d’innover. »
« J'ai trop d'idées, Madame. » avoua Lisbeth, le sourire étirant les commissures de ses lèvres, creusant des rides d'expression. Ses mains s'agitèrent, brassant l'air comme des oiseaux qu'on venait de relâcher de leurs cages. « Avant je voulais créer de nouveaux moyens de locomotions, genre un hoverboard, mais j'ai discuté avec un préfet. » Sa voix se fit plus douce, presque mélancolique tandis que son esprit repassait l’événement en son for intérieur : sa rencontre et ses échanges avec Lloyd. « Au final il faut que j'y réfléchisse, j'ai visé trop haut pour un début. »

Et à vouloir voler trop haut, trop vite, elle s'y brûlerait les ailes. Lisbeth ne voulait pas chuter, se retrouver écrasée par ses ambitions. Elle était une Poufsouffle, pas une Serpentard. De la pointe de son soulier, elle dessina un cercle sur le carrelage. Elle n'avait pas même conscience des étudiants attroupés aux abords du couloir, de la douleur dans ses poignets, de la sueur maculant sa nuque. Tout son être était plongé dans l'échange qu'elle partageait avec Miss Cross.

Dans sa volonté de bâtir un avenir où sorciers, Cracmols et Moldus marcheraient, main dans la main.

« J'avais pensé à un traducteur magique pour qu'on puisse tous se comprendre quel que soit notre langue. » Fini les quiproquos, les conflits nés d'une incompréhension. « On pourrait parler chacun dans notre langue mais chacun se comprendrait. Le souci c'est que si j'y arriverais, ça fonctionnerait qu'à l'oral. Pas à l'écrit. Et je sais même pas si c'est possible. »

Même si rendre l'impossible possible était fichtrement exaltant comme concept. Mais ce serait plus tard. Lisbeth devait grimper une marche après l'autre pour ne pas se briser le cou.

« Le mieux... » Le must, le nec plus ultra. « … ce serait de transformer la magie en une énergie capable de remplacer l'électricité, les énergies fossiles. On y serait tous gagnants. Vous imaginez des voitures qui ne polluent plus ? Des transports en communs se déplaçant sans produire de fumée ? Ce serait... » Un rire. « magique. »

Miss Cross n'était pas femme à mépriser ses élèves et leurs rêves aussi grandiloquents que potentiellement bringuebalants. Pour cela Lisbeth lui en sut grès, écoutant patiemment chacun de ses conseils, les faisant siens, les ancrant dans son esprit. Oh pour sûr elle allait dissimuler ses plus grands projets pour éviter d'être raillée ou, pis, que ceux-ci soient copiés et que quelqu'un d'autre n'arriva au bout avant elle. Elle ne voulait pas être de ces inventeurs coiffés aux poteaux par des rivaux ayant eu, comme seul privilège, d'avoir déposé un crédit sur leur création avant elle.

« Je ferais attention madame. »

Commencer petit, une marche après l'autre. Elle y arriverait. Ce n'était pas sorcier. Lisbeth sourit à elle-même, amusée par son propre trait d'esprit.

« Si ça vous dérange pas, Miss, je voudrais vous montrer mes avancées. Promis pas tous les jours. » Ce serait du harcèlement. « Mais quand j'aurais quelque chose de concret. »

La Poufsouffle se voyait déjà brandir une lampe-torche, l'actionner sous le nez de son enseignante pour mieux dévoiler l'absence totale de piles. Lisbeth savait qu'elle allait, encore une fois, devoir courir après la Salle sur Demande pour pouvoir œuvrer en toute quiétude sans subir les reproches de ses pairs, ni subir des regards trop curieux sur ce qu'elle détiendrait entre les mains. Hors de question de se faire voler ses idées.

« Je vais travailler d'arrache-pied. Merci pour vos conseils, franchement. Je pense que j'y vois plus clair maintenant. »

Pendant quelques instants, Lisbeth hésita à serrer la main à son enseignante en guise de salutation avant de se rappeler qu'en terre britannique et, surtout, à Poudlard, les personnes plus âgées n'appréciaient guère trop la familiarité. Surtout entre élèves et enseignants. La main de Lisbeth vint fourrager dans sa tignasse indisciplinée tandis qu'elle reculait de quelques pas, amorçant la fin de l'échange.

« Je vais vous laisser du coup. Vous devez avoir plein de copies à corriger. » L'élève n'osait pas imaginer les piles qui attendaient chaque professeur en cette période fébrile d'examens. « Bon courage madame et au plaisir de vous revoir ! »

Tournant les talons, Lisbeth dévala les marches menant au dortoir de sa maison. Au diable le repos du guerrier. Une douche prompte l'attendait pour mieux se ruer dans une salle désaffectée afin de griffonner toutes les idées qui tourbillonnaient dans sa tête. Miss Cross avait su répandre de l'engrais sur ce terrain fertile qu'était son imagination.