Haunted house ♦ Tiha

Il fit bouger son cavalier en E5, puis pivota le plateau dans l'autre sens. Les noirs étaient en mauvaise posture. Il se renfonça dans le canapé et réfléchit à son prochain coup. Jouant sans reine, les noirs partaient avec un désavantage. Surtout lorsqu'on tenait compte du fait qu'il jouait contre un adversaire de son niveau, lui-même.

Adrian poussa un soupir et se resservit du thé. Ça allait être une longue nuit. Une heure plus tôt, le Baron Sanglant était passé voir ce qu'il faisait encore debout et déplorer que, de son temps, c'était le beau jeu plus que la victoire qui comptait dans les échecs. Puis, le spectre à la réputation intimidante s'en était allé vaquer à d'autres occupations. Cela lui convenait. La plupart des Serpentards savaient qu'il n'était pas aussi mauvais qu'il en avait l'air, mais sa présence jetait tout de même un froid tangible. Si bien qu'Adrian avait dû se réfugier sous un plaid, son pyjama de soie vert sombre, composés seulement d'un pantalon et d'une chemise légers, n'était pas des plus indiqués pour se réchauffer. Il fallait parfois sacrifier à l'élégance. Le plaid avait donc rejoint la place à ses côté, compagnon silencieux, une fois le sorcier réchauffé de sa rencontre d'Outre-Tombe.

Ses considérations esthétiques à tendance narcissique furent interrompues par un bruit de pas léger qui le fit se retourner. Sans l'éclat étrange et fascinant de ses prunelles écarlates, il aurait pu la prendre pour un fantôme elle aussi. Dans la grande fraternité des insomniaques, on ne juge pas, il lui accorda donc un sourire accueillant, accompagné d'une proposition :

Du thé ?

Si elle voulait passer son temps d'éveil dans un coin à lire, à jouer avec lui ou à discuter, elle était assez grande pour le dire. Même s'il préférait de loin les deux dernières options à la première, il s'en accommoderait. Ce n'était pas comme s'il allait avoir une soudaine poussée de fatigue.

Préférant consacrer ses efforts à des choses utiles, il réchauffa la théière et fit apparaître une nouvelle tasse accompagnée de sa soucoupe au cas où elle se montrerait intéressée. Le reste ne dépendait pas vraiment de lui.

Ce n’était qu’après coup, en l’observant un peu mieux à la lumière des flammes qu’il remarqua la chauve-souris qui l’accompagnait.  L’espace d’un instant, il se demanda si elle s’entendait bien avec  celle du directeur ou si elles étaient en compétition. Quel genre de vie sociale avaient les chauve-souris ? Il chassa rapidement ces pensées farfelues et servit une tasse de thé à la nouvelle venue.

Le Baron Sanglant est passé discuter un peu.

Une phrase toute simple qui expliquait tout. Le fait que leur salle commune soit située sous le lac n’aidait pas vraiment à lui donner un aspect chaleureux non plus, cela dit. Constatant qu’elle semblait souffrir du froid, il désigna le plaid soigneusement replié à côté de lui.

Si tu en veux, il est tout à toi.

Lui même s’était réchauffé un peu plus tôt, mais s’était rapidement senti étouffé. La chaleur excessive lui déplaisait bien plus que son contraire. Il resta un moment silencieux, tachant de se rappeler d’un détail la concernant. Lui qui se targuait de connaître tout le monde à Poudlard ne savait d’elle que l’essentiel. Ils s’étaient pourtant croisés plusieurs fois, au club de duel, par exemple. Il n’avait qu’un vague souvenir d’avoir entendu certains de ses camarades de classe se plaindre de son tempérament exigeant. Ce qui, en soi, ne voulait pas dire grand-chose. Dans les travaux de groupe, il y en avait toujours qui n’en foutaient pas une et avaient besoin d’être recadrés ou écartés. Même si elle semblait effectivement avoir cette attitude des personnes qui savaient exactement ce qu’elles voulaient et ne renonçaient pas avant de l’avoir obtenu. Une qualité qu'il ne pouvait qu'apprécier.

C’était toujours plus difficile d’engager une conversation digne de ce nom avec quelqu’un que l’on ne connaissait pour ainsi dire pas. Il lui aurait bien demandé la raison de sa présence tardive, mais ça ne le regardait pas vraiment et il se refusait à donner des airs d’interrogatoire à la conversation. Arrêtant son regard sur sa partie en cours, il désigna le jeu et demanda :

Tu joues ?

Une question qui revenait pour lui à demander si elle connaissait les règles et, éventuellement, voulait disputer une partie. Ou simplement en discuter. Briser un peu plus la glace, en somme.

Il esquissa un sourire face à son enthousiasme pour le plaid. Ce n’était pas grand-chose, vraiment. Et la réaction outrée de sa chauve-souris de compagnie avait quelque chose d’assez amusant.

Tu as un familier plutôt original.

Ce n’était pas une chose courante. En fait, entre sa pâleur et son animal de compagnie, on aurait presque pu la prendre pour un vampire de conte. Heureusement pour lui, elle était parfaitement humaine. Enfin, pour ce qu’il en savait. Tant mieux, dans un sens. Si elle avait été dotée en plus du charme surnaturel qu’on prêtait à ces créatures, il aurait eu vraiment du mal à se concentrer sur la partie.

Il n’aimait pas commencer. Jouer les noirs lui allait bien, parce qu’il aimait observer le jeu de son adversaire. Enfin, ce ne serait pas sa première fois à manipuler les pions blancs. Se décidant pour un début inspiré de l’ouverture espagnole, il déplaça le pion devant sa reine de deux cases vers l’avant. Inutile de la ménager. Si l’on devait se fier aux rumeurs, elle n’aurait pas apprécié qu’il fasse preuve de pitié à son égard.

Ravi de faire enfin ta connaissance.

Ils s’étaient suffisamment croisés pour qu’il sache son nom et probablement pour qu’elle sache le sien, mais par politesse, il se présenta à son tour.

Adrian Blake, pour te servir.

Le tout accompagné d’une parodie de courbette. Inutile de trop se prendre au sérieux, ils étaient tous deux en pyjamas. Il but une gorgée de son thé pendant qu’elle jouait à son tour, l’observant à la dérobée.

Tu viens souvent ici la nuit ?

Il avait voulu éviter l’aspect « interrogatoire » de la conversation, mais le silence seulement rythmé par le déplacement des pièces lui aurait parut bien trop froid et il tenait à combler ce manque la concernant. Ce désir d’en savoir plus à son sujet, quelle en était donc la cause ?

Il adressa un signe de tête en guise de salut à Lixo. C’était une histoire intéressante. Si elle avait affronté et vaincu sa peur comme ça, elle devait être très courageuse et déterminée.

Il tiqua lorsqu’elle lui avoua avoir entendu parler de lui. Imaginer le genre de choses qu’elle avait pu entendre sur son compte n’était pas difficile, il n’avait pas la meilleure des réputations. Surtout depuis l’histoire avec Matthew. Et, si ses parents travaillaient au ministère, elle devait être au courant de la déchéance de celui-ci. Alors qu’on le promettait à un avenir de directeur de département, le père d’Adrian s’était retrouvé condamné à des cas sans intérêt et avait vu ses possibilités d’ascension complètement gelées.

Et tu partages ma compagnie malgré tout ?

Il ne se moquait pas d’elle. Après le scandale, beaucoup de ses anciens « amis » s’étaient mis à l’éviter et il s’était fait des ennemis sans avoir rien fait pour. Ce n’était que par sa ruse, ses belles paroles et sa maîtrise de l’art du duel qu’il avait pu obtenir la paix dont il disposait actuellement.

Il déplaça l’un de ses fous sans y prêter plus d’attention que cela. Son idée de base de côté, il jouait en attitude de réponse pour accorder plus d’attention à la conversation qu’au jeu tout en restant un adversaire correct.

Je ne viens pas ici très souvent, en fait. C’est juste que...

Il s’arrêta au milieu de sa phrase. La raison de ses insomnies, il ne pouvait la dévoiler. Pas à elle, pas sans la connaître intimement. Il n’en avait même pas parlé à son meilleur ami. Et même la seule autre personne au courant ne connaissait pas les détails exacts de l’affaire.

Passons. Tu t’en sors malgré le manque de sommeil ?

Ce devait être difficile d’être efficace, avec ces insomnies régulières, non ?

Le fait qu’il soit bon en duel comptait pour ce genre de chose ? Étrange façon de voir le monde mais, puisque c’était à son avantage, il ne s’en plaignait pas. Et les rumeurs n’avaient pas prise sur elle non plus, apparemment. Il n’était pas le dernier à les considérer comme des instruments utiles dans certains cas, mais c’était aussi une bonne chose, dans un sens.

Je vois.

Que dire de plus. Elle compensait largement en bavardant pour deux, cela dit. Lui expliquant les détails de ses insomnies.

Hm.

Songeur. Il bougea l’une des pièces sur l’échiquier. Que pouvait-il répondre à cela ? Ça semblait complexe et il n’était pas vraiment qualifié pour ce genre de chose. Rien qui ne sonne complètement bateau ou n’ait sûrement été entendu un bon millier de fois par la sorcière. Lixo lui sauva la mise, cela dit. Merci la chauve-souris.

Si tu ne juges pas les gens sur leurs origines et n’écoute pas les rumeurs à leur sujet, quels sont tes critères ?

Il se laissa aller contre le dossier de son fauteuil et l’observa, les bras croisés.

Qui trouve grâce à tes yeux, Tiha Schou ?

Il était un peu taquin, sur ce coup. Même s’il était un peu curieux de connaître la réponse, aussi. C’était toujours intéressant de connaître ce genre de détails à propos d’une personne. Les choses qu’elle appréciait chez autrui en disaient long sur le genre de personne qu’elle était.

Avec ce genre de discours, il ne serait pas surpris qu’elle finisse par épouser un Poufsouffle. Et pas n’importe lequel, visiblement. Elle était plutôt exigeante. Il sourit.

Hé bien ! Elles ne doivent pas être nombreuses, les personnes qui réunissent toutes ces qualités.

En particulier dans leur maison. « Ne fais pas toi même ce que tu peux faire faire par autrui » était presque l’une des maximes de Serpentard. Un autre pion bougea sur le plateau, comme pour illustrer cela.

Mais bon… Tu peux te permettre d’être exigeante, je suppose.

Il avait beau avoir le cœur déjà pris, il savait reconnaître une jolie fille quand il en voyait une. Et ses performances au club de duel n’étaient pas dans les plus faibles. C’était une sorcière compétente qui savait ce qu’elle voulait. Pour certains, cela devait avoir son petit attrait.

Si tu pouvais avoir tout ce que tu voulais en un claquement de doigts, tu choisirais quoi ?

L’interrogatoire avait commencé, autant continuer. Puis, c’était une question amusante, qu’elle était libre de lui retourner si elle le désirait. Les conventions sociales étaient ainsi, pleines de pièges dans lesquels il ne fallait pas tomber.

Une seule, même selon ses critères à lui, c’était tout de même un peu peu. Soit, c’étaient ses impressions à elle.

Les gens se vexent pour un rien, de toute façon.

Il haussa les épaules. Tant qu’ils n’étaient pas importants pour ses projets, ça l’indifférait qu’ils se vexent de ci ou de ça.
Il l’écouta exprimer ses souhaits, pensif. Il la trouvait jolie comme ça, en ce qui le concernait. Mais il fallait admettre que ça s’accompagnait de soucis plutôt gênants au quotidien.

Pour le premier point, c’est compliqué. Quoique, un polynectar, peut-être ? Mais les autres sont plutôt réalisables. Faire le mur n’est pas aussi difficile qu’on le croit, surtout quand on commence à avoir l’âge de lancer des sorts intéressants. Et pour le reste, il y a la Salle sur Demande.

Bon, cette dernière était souvent occupée, certes. Bientôt, il y aurait un distributeur avec des tickets devant. Il ne savait pas qui avait commis l’erreur d’en parler à autant de monde au lieu de conserver le secret. Probablement un imbécile qui n’avait pas su jauger l’importance réelle que revêtait cette pièce pour les gens dotées d’un cerveau en état de marche.

En ce moment ? Qu’une chose impossible devienne possible. Je ne veux pas m’étendre, c’est un peu personnel. Un retourneur de temps qui ne soit pas limité à cinq heures, ce serait plutôt bien, aussi.

Il était un peu gourmand, mais c’était « tout ce qu’il voulait », après tout.

Elle soulevait les défauts du projet, mais apparemment, ils n’étaient pas tout à fait sur la même longueur d’onde. Il déplaça une autre de ses pièces, le jeu commençant à prendre une forme avantageuse, et répondit.

Ce serait une solution temporaire. Que tu pourrais employer à l’occasion. Je pense que, si tu cherches un peu, tu dois trouver un ou deux étudiants qui seraient d’accord en échange de quelques gallions.

Il y avait toujours des gens issus de familles pauvres qui étaient prêts à ce genre de chose pour améliorer un peu leur quotidien.

Il suffit de faire le mur de façon classique. Une désillusion et un peu de planification, peut-être emprunter une cape d’invisibilité ? Le temps d’atteindre les grilles et puis, une fois hors du domaine, tu peux aller où tu veux. Tant que tu reviens avant que ton absence ne soit remarquée...

Et, comme elle était seule dans son dortoir, c’était tout à fait envisageable. Pour un soir de week-end, par exemple. Tant qu’elle était présente en cours le lundi, personne ne s’en rendrait compte. Ça demandait un minimum de préparation, mais rien d'insurmontable.

Oui, j’ai étudié le sujet et les tentatives pour remonter trop loin dans le passé ont toujours des conséquences désastreuses.

Il poussa un soupir et se laissa aller dans son fauteuil. Il fallait vivre avec ses tragédies, pas d’autre choix à l’horizon.