evil bitches want my mention - PV DAPHNE

Voila que tel est pris qui croyait prendre.

Harper dont elle a déjà entrevu les caprices terribles, a fait tomber son masque et elle l’observe sous ce jour nouveau. Le gendre idéal a troqué son sourire policé pour le rictus d’un assassin et son romantisme pour une brutalité implacable. C’est drôle. Il semble se réjouir de son propre vice et Daphné rit car tout cela est bien insensé.

Elle décide de jouer encore plus longtemps tandis qu’elle se redresse doucement en refermant sa propre chemise avant de faire tomber son visage entre ses deux mains. Elle mime ce qui ressemble à un gros sanglot mais c’est surtout d’un amusement feint qu’elle s’agite. Quel pied ! C’est encore mieux que ce qu’elle n’a imaginé. C’est comme trouver de l’or et Daphné s’amuse, s’amuse autant qu’elle peut de tout cela qui est franchement absurde et de ce scénario parfait qui semble avoir été écrit pour elle.

Si elle avait eu un coeur, Harper l’aurait poignardé.

Fort heureusement, ou malheureusement, elle n’en a pas.

Daphné se demande bien à quoi ressemble le malheur de toutes les âmes qu’Harper fait tomber dans le panneau. Les larmes, les cris, la colère, les menaces. Toute une palette de réaction dont elle ne connaît pas la couleur véritable et elle en est chagrinée.

Au bout de quelques secondes, Daphné trouve ce petit numéro de mauvais goût et ses épaules retombent. Elle écarte doucement les doigts de ses yeux et révèle sa propre moue. Ses lèvres légèrement moqueuses et son regard de poupée éteinte.

Il n’a pas l’air d’être habitué aux déconvenues et elle se réjouirait presque de l'imaginer avec une mine déconfite.

Daphné laisse ses mains tomber sur le lit. Elle agrippe avec force les draps blancs.

- Voyons Harper, on commence à peine à s’amuser.

C’est vrai. Il y a quelque chose de terriblement fascinant sous la peau d’Harper. Il y a quelque chose de sombre qui doit grouiller dans ses veines et lorsqu’elle imagine y trouver un monstre Daphné frétille, en se demandant ce qu’il a dans le ventre et pourquoi il remue si méchamment. Dans une histoire, l’antagoniste est toujours le personnage le plus intéressant. Et Daphné prie, prie pour qu’Harper ne soit pas décevant et se révèle à la hauteur de ses attentes. Les grands méchants sont tellement rares ! Elle rit intérieurement de sa propre absurdité à elle. Le monde est si fade que les seules nuances qui semblent vraiment détonner sont toutes noires de suie.

- C’est des soucis avec ta mère qui font que tu te comportes ainsi ?

La tentation de jouer avec son égo est bien trop grande, parce qu’elle veut voir s’il est humain en espérant que ce soit bien le cas. Il n’y aurait rien de drôle à tomber sur quelqu’un de tout aussi insensible qu’elle. Daphné espère un être qui chavire et qui dans sa chute à décider d’emporter le monde avec lui.

Il ne faut surtout pas qu’il lui ressemble. Elle est déjà si creuse !

- Pourquoi si pressée ? tu as d’autres filles comme moi à mener en bateau ?

Et elle sourit.

Si l’on devait faire de la vie de Daphné un récit, il serait d’une platitude navrante parce qu’elle n’a pas le coeur d’une héroïne heureuse ou tragique. Il n’y aurait pas de fil conducteur, ou de fil rouge à suivre, si ce n’est un intérêt scolaire pour la médicomagie, parce qu’il faut bien faire quelque chose de son existence et Daphné a décidé de la consacrer entièrement à cette science. Mais entre quelques lignes fastidieuses et ennuyantes à lire, elle s’autorise, comme aujourd’hui, à ouvrir des parenthèses, pour découvrir d’autre personnages plus intéressants qu’elle, davantage à l’aise dans le rôle de spectatrice qu’actrice. Elle n’a rien de central tandis qu’Harper Monroe, a tout de l’acteur principal ; un garçon lumineux qui en fait se révèle sombre et orageux. C’est un peu surfait, un peu cliché et déjà vu et revu, mais si divertissant qu’une montagne de film existe pour en témoigner.

Elle l’écoute. Lui, son visage ténébreux et ses phrases acérées. Il a le tempérament d’un enfant gâté et c’est ceux-la, les plus attendrissant, ceux dont elle s’entiche le plus car ils sont si aveugles ! Comment ne pas les prendre en pitié ! Ils ont perception si unique du monde, beaucoup plus intrigante que sa vision en elle, trop ancrée dans la réalité et le pragmatisme pour qu’il y ait de même fantaisies. Elle est contente d’en trouver chez Harper et elle espère en voir l’intégralité.

Daphné sourit toujours avec la même finesse, plisse les yeux tandis qu’un rire doux l’agite alors qu’il se trompe sur toute la ligne. Elle lui répond avec une voix douce et où l’on trouve un peu de condescendance. Elle le tance comme un enfant.


- Non tu te trompes Harper. Enfin réfléchis, qu’est-ce que j’y gagnerai ?

Il lui ordonne de partir une nouvelle fois. Daphné répond toujours par un sourire doux. Il est impoli, grossier, brutal. Elle s’y attendait et ne compte pas partir. Pas à présent qu’elle est certaine d’avoir trouvé un spécimen intéressant à observer.

Elle veut continuer ce jeu un peu malsain, voir jusqu’où elle peut le pousser avant qu’il n’explose, voir d’où lui vient toute cette rancoeur soudaine et visiblement intense. A qui tout ce dédain s’adresse ? A elle en particulier, où à l’espèce féminine dans son entièreté. Elle décide de le provoquer d’avantage, parce que cela a beau être ridicule, ça la divertit.

Et avant de retourner à ce monde où règne la plupart du temps, un tas d’abruti fade et décérébré dont elle méprise avec douceur la bêtise, elle espère pouvoir s’animer vaguement en compagnie d’Harper.

Daphné se laisse tomber en arrière sur le lit et ses cheveux blonds s’étalent sur les draps blancs.


- Fais-moi partir si tu y tiens tant.

Sans ses bonnes manières et ses grands discours à l'eau de rose, Harper n'est qu'un enfant-roi, dont la seule richesse est celle d'une beauté incroyable. Elle se doute déjà que les garçons de son genre, trop habitué à obtenir tout ce qu'ils veulent, sombrent très vite dans la colère. Et elle a raison ! Elle rit quand la houle s'empare des traits d'Harper Monroe, elle rit quand dans un instant fugace et presque invisible pour l'observateur distrait, ses doigts s'ébrouent dans le vide, à la recherche d'un objet qu'elle sait trouver.

À l'abri du regard d'Harper, elle glisse sa main de l'autre côté du lit, attrape ce qu'il convoite et compte le dissimuler encore quelques secondes. Il s'approche bientôt d'elle en engloutissant la distance qui les sépare à l'aide de quelques enjambées voraces. Il lui attrape brusquement l'autre poignet et commence à tirer. Le petit prince est aussi féroce qu'une bête sauvage et elle rirait presque, mais on ne la touche pas ainsi. D'un mouvement vif, elle ramène son autre bras et pointe deux baguettes sur Harper. Elle en appuie le bout contre son torse et lui force à lâcher sa main. Puis Daphné se lève à son tour, fière comme une gamine de ce petit effet théâtral et de cette joute dans laquelle elle a pris le dessus. Bien qu'elle ne compte pas profiter de cet avantage, car après tout, elle ne souhaite pas totalement se l'aliéner voyons ! Ce serait bien trop simple. Oh non. Elle a des grands projets pour un vilain de cet acabit. Elle souhaite simplement voir de quoi il est fait, quelle matière sombre remue dans le fond de ses entrailles, lorsqu'il est acculé. C'est juste de l'observation. À quoi ressemble Harper Monroe lorsqu'il est vulnérable ? Voilà qui amuse Daphné.

- C'est ta baguette que tu cherchais ?

Elle reste muette pour charger l'instant d'un danger volatile. Tout avec Daphné n'est qu'écran de fumée, distractions illusoires et faux-semblant. Cette fois n'est pas différente et elle souhaite qu'Harper la prenne au sérieux pour mieux le prendre à contre-pieds ensuite. Qui a dit qu'il était aux hommes de mener la danse ? C'est presque navrant de se rendre compte à quel point ils tombent tous facilement dans le panneau. Et elle serait tentée d'être irritée par cet Harper qui ne sait pas bien lire les situations. Mais c'est pour ça qu'il est si prometteur. Il est si aveugle qu'il renversera tout sur son passage. Après tout, elle ne lui demande pas d'être intelligent. Seulement divertissant. Par pitié ! Qu’il lui livre une tragédie belle à en vomir !

- Je l'ai trouvée.

Daphné étire finement ses lèvres dans un sourire qui se veut doucereux.

Elle approche dangereusement son visage du sien, mime un baiser avant de se reculer et feindre le début d’un rire.


- Allez fais moi partir, Harper.

Il y a quelque chose de diablement amusant, à voir le fier Harper Monroe perdre de sa superbe et trébucher parce que chez lui la fougue l’emporte sur l’adresse. Il y a quelque chose de navrant aussi, de constater que lui comme les autres, ne sait pas faire preuve de discernement, c’est un peu pathétique. Mais Harper est trop intriguant pour être dédaignée et Daphné n’a jamais vécu, d’espérances. C’est une prénotion que l’être humain est tristement bête. Ils le sont tous et elle y compris. Ils sont seulement trop rares à se rendre compte de cette condition mais tant mieux après tout. Toujours bienheureux les simples d’esprit.

Il s’enferme dans une placidité indifférente, Daphné est certaine qu’il s’agit d’une façade, d’un refuge temporaire le temps de se remettre sur pattes pour mieux danser ensuite. Et elle ne se trompe pas car un instant plus tard, voilà la douceur qui infuse tous les traits de son visage et l’espace se tord avec en son centre, la chaleur surnaturelle d’Harper Monroe.

Daphné qui ne s’ébat de presque rien est soudainement abrutie et quel bonheur, enfin ! De succomber complètement à une passion terrestre, de sentir le calme dans sa boite crânienne quand finalement ses neurones cessent de vrombir. Il y a le calme, il y a la beauté. Le monde cesse d’être gris alors que le charme opère. Puis quelques secondes plus tard il redevient fade.

Daphné constate que ses mains son vide. Son coeur l’est aussi mais sa tête est pleine. Alors son sourire s’étiole jusqu’à devenir une moue absente. Les belles choses ne sont jamais faites pour durer mais elle aurait bien aimé quelques secondes de plus, hors d’elle-même, hors de son ennui.

Mais la revoilà sur terre et tant pis ! C’est aussis son lot d’être incapable de s’apitoyer et Daphné reprend ses airs de garces. Harper est définitivement ce à quoi elle s’attendait et elle est ravie, ravie que la vie lui ait offert une distraction future pour continuer à tromper l’ennui et s’ebattre de ses futilités.

Elle fait mine d’être déçue.

- Tu n’es pas bien drôle Harper. Je comptais te faire patauger quelques secondes avant de te la rendre.

Elle s’éloigne et s’assoit sur le lit. Ses jambes se croisent puis elle cesse de le regarder pour jeter un oeil par la fenêtre et le ciel qui est d’une couleur fade.

A présent elle est lasse de jouer et son masque tombe et elle n’arbore plus aucune ombre. Son visage redevient ce cimetière d’émotions mortes-nées.

- Il n’y a rien qui existe et que je désire vraiment. Ma vie est chiante à en crever parfois alors si tu pouvais venir me raconter la tienne de temps en temps.

Elle se relève tout d’un coup et se dirige vers la porte en effleurant Harper mais sans plus l’observer, ne serait-ce qu’une micro-seconde. Elle ne fixe que la porte qu’elle atteint et elle se glisse dans l’encadrement entrouvert.

Daphné s’arrête et se tourne.


- Je pourrais même te filer un coup de main de temps en temps, qui sait.

Il faut maintenant qu’Harper morde à l’appât et son coup sera complètement réussi. Elle pourra se faufiler dans l’ombre d’un héros d’une tragédie qui n’existe pas et qu’il écrira à coups de larmes et de gros sanglots.

Elle l’aime déjà cet enfant terrible qui a fait de l’amour un moyen d'extérioriser sa violence.