dis-moi pourquoi j'existerais ? daphné.

La première fois que vous l'aborderez, Daphné sera un peu distante, un peu farouche. Peut-être même méfiante, si vous l'approchez trop brutalement. Et elle ne s'en cachera pas. Sous ses airs de jeune fille timide et réservée, elle cache un tempérament qui vous brûlera les doigts si vous n'y faites pas attention. Alors oui, elle est généralement calme, elle préfère ne pas attirer l'attention, et regarder les autres de loin. Mais ça, c'est de loin. Son regard, bridé par les conventions, mais également bridé de nature, son regard fixe et froid, qui contraste avec la douceur de ses gestes et la grâce de sa posture, semble tout sauf calme, lui.

Daphné n'aime pas trop se mêler aux personnes hors de son cercle d'amis, parce qu'elle ne sait pas leur faire confiance. Elle a l'habitude d'être jugée trop vite, que ce soit sur son apparence, sur son silence, ou encore par intolérance. Pourtant, ceux qui ont appris à la connaître ont découvert quelqu'un d'attentionné, de patient, capable du meilleur comme du pire pour préserver leur bien-être ; mais également une personne passionnée, capable d'éclater de rire pour une blague stupide comme d'éclater de rage pour le même type de blague, mais sur le mauvais sujet.

Mais seulement eux.

Les autres la trouveront souvent condescendante, voire coincée. Il faut dire qu'elle ne fait pas beaucoup d'efforts lorsque quelque chose ne lui plaît pas. Mais pouvez-vous vraiment la blâmer pour cela ? Un rien l'ennuie, et tout la lasse, alors madame ne fait pas d'efforts lorsqu'elle n'est pas intéressée. C'est probablement lié à son histoire, voire à son éducation, me direz-vous : en grandissant, Daphné a toujours eu l'habitude d'avoir des facilités. Le problème, lorsqu'on est habitué à tout réussir en un claquement de doigts, c'est qu'on se détourne du reste, et des choses plus compliquées. Enfin, depuis le temps, elle a appris à gérer ses priorités, ou plus exactement : elle a appris à faire suffisamment semblant de les gérer pour que ces autres, qui ne se fient qu'à ce qu'ils voient de loin, ne se posent pas de question. D'ailleurs, si elle a des difficultés à l'écrit, cela ne se remarque pas lors des exercices oraux ou pratiques. Mais ça, je vous l'ai déjà dit : Daphné n'aime pas se faire remarquer.

Il ne suffit pourtant pas de grand chose pour voir que, sous ses notes correctes et son attitude plus ou moins respectueuse, se cachent une capacité parfois terrifiante à contourner les règles, plus exactement, à en profiter. Si le couvre-feu est à 21 :30, assurez-vous bien qu'elle sera de retour à son dortoir en temps et en heure – mais à 21:29:59. Si elle n'a pas le droit de se rendre dans tel endroit, soyez sûrs qu'elle n'y mettra pas les pieds – son chat, en revanche, c'est une autre histoire...

La plus grande force de Daphné, c'est sa capacité d'observation et d'assimilation. Il faut dire qu'elle n'a pas grand chose d'autre pour lui servir d'arme dans ce monde de dingues. Sa force physique laisse à désirer, elle n'a pas une endurance exceptionnelle, et le fait qu'elle s'ennuie vite l'empêche de se concentrer assez longtemps pour vraiment faire preuve de prouesses intellectuelles. Mais lorsqu'il s'agit d'épier, de détailler, de saisir le moindre détail d'une situation ou d'une action, elle est imbattable. C'est ce qui lui permet de trouver les failles, même infimes, du système dans lequel elle vit. C'est ce qui lui permet de retourner une situation à son avantage – c'est ce qui lui permet de protéger ses amis.

Elle vous voit – plus que ça, elle vous soupèse. Au final, elle aussi, elle vous juge, autant que vous la jugez elle. Vos maladresses, vos écarts, ces petits moments que vous croyez inaperçus, Daphné les aura probablement vu. Que ce soit un stylo qui vous glisse des mains, un cheveu coincé entre vos lèvres, une rature sur une copie, elle l'aura relevé, retenu et intégré. Peut-être est-ce là un don qu'elle a développé en même temps que son amour de la photographie ? Il faut dire que c'est un art qui demande un certain sens du détail, un certain raffinement même pour certains : deux choses dont elle est définitivement plus que capable.

Sous son apparent et traître calme, la jeune chinoise est, comme bien des adolescentes de son âge, agitées par des questions auxquelles elle ne trouve pas la réponse. Est-ce qu'elle trouvera un jour sa place dans le monde ? Est-ce qu'elle trouvera l'amour, ou est-ce qu'elle finira seule ? Est-ce qu'elle réussira ses études, même si elle a déjà raté sa sixième année une première fois ? Certaines de ces questions sont justifiées, d'autres sont simplement liées aux doutes, naturels, qui nous traversent à cet âge-là. D'autres questions, parfois plus sombres, la traversent. Est-ce qu'elle mérite de vivre ?

Mais est-ce que quiconque mérite de vivre, en soi ? Daphné ne sait pas – moi non plus, d'ailleurs. Et si vous êtes attentifs, vous vous rappellerez que lorsqu'elle ne sait pas quelque chose, elle s'en détourne. Alors plutôt que de se torturer éternellement avec des questions compliquées, Daphné les expie dans de longues tirades qu'elle poste sur un blog, anonyme, dont elle ne partage l'adresse avec personne. Il paraîtrait d'ailleurs qu'elle entre dans une rage folle si quelqu'un essaie d'y avoir accès sans son autorisation, mais les rares témoins de ces colères osent à peine aborder le sujet.

Il faut dire que lorsque cela ne concerne pas ses amis, Daphné réagit et agit exclusivement par intérêt.

Peut-être que je devrais vous prévenir tout de suite : l'histoire de Daphné n'est pas toute rose. Oh, rassurez-vous, elle n'est pas toute noire non plus. Elle n'a pas vraiment de couleur, en fait. Et si vous voulez son avis, elle n'a pas vraiment d'intérêt non plus. Mais ne l'écoutez pas, et penchez-vous avec moi sur son cas.

Daphné est née d'une mère sorcière et d'un père moldu. C'est la deuxième enfant, celle du milieu. Son grand frère, Wu, travaille au service des finances magiques. C'est un sorcier brillant qui n'a plus à faire ses preuves, malgré le fait qu'il soit connu pour être un grand blasé. Elle aura également un petit frère, de sept ans son cadet : un boulet de canon imprévisible et intenable, nommé Ming, destiné à de grandes choses lui aussi, puisqu'il est très probable qu'il devienne également un grand sorcier. Et entre les deux, nous retrouvons Bao, alias Daphné, notre protagoniste. Bien que sa famille soit particulièrement fière de leur culture, ils ont connu à leur arrivée à Londres les foudres accusatrices des préjugés, et le besoin quasi vital de s'intégrer, au risque de mettre en danger l'avenir de leur descendance.
C'est avant tout pour cette raison que Daphné se présentera par son prénom anglais et non par son prénom chinois devant vous : pour éviter les questions stupides, les prénotions imbéciles, et les erreurs de prononciations (même si, pour le coup, il faut vraiment être de mauvaise volonté pour mal prononcer « Bao »).

Elle le fait également car c'est ainsi qu'elle a été éduquée. Et il faut dire que, lorsqu'elle était encore petite, Daphné était des plus obéissantes – en plus d'être fière comme un pou. Constamment louée pour la rapidité avec laquelle elle était capable de comprendre ce qu'on lui expliquait, et pour son efficacité lorsqu'elle participait aux tâches domestiques, elle était une petite fille modèle, comme ses parents et grand-parents l'avaient toujours voulu. Et qu'aurait-elle pu demander de plus ? Les sourires fiers d'une famille honorée, voilà tout ce dont elle avait besoin.

Les sourires se fendillèrent lorsqu'il apparut que, malgré son sang métissé, Daphné n'aurait pas accès à la magie. Ce n'est pas grave, déclara sa grand-mère maternelle, au moins elle pourra quand même bénéficier d'une éducation digne de ce nom. Grâce aux nouveaux directeurs de Poudlard, Daphné ne serait pas obligée de s'inscrire dans un collège londonien : à la place, elle pourrait aller dans l'école réputée des sorciers, comme son grand frère. Vous pensez qu'elle l'en aurait remercié ? Certainement pas. Au fond d'elle, Daphné aurait aimé pouvoir s'échapper de cette destinée, et se réfugier parmi les, pardonnez mon langage mais je cite ses mots de l'époque, parmi les « gens normaux ». Il faut croire que même si elle avait grandi entourée de sorciers, à ce moment là, le « nous » s'était divisé pour devenir un « eux et moi ».

Peut-être par insécurité, peut-être parce qu'ils sentaient qu'il commençait à perdre leur pouvoir sur elle, ses parents renforcèrent leur sévérité envers elle. Désormais, elle n'avait plus le droit à l'échec, ni aux erreurs. Si elle avait été brillante jusque là, elle devait maintenant devenir éblouissante. Cette chance en or d'accéder à Poudlard, elle devait la saisir, et la transformer en diamant. Je ne vous retranscrirai pas en détail les lettres hebdomadaires qu'elle reçut lors de sa première année ; je vous dirai cependant qu'elles étaient toutes de l'ordre du « Tu as bien travaillé ? Tu as fait tes devoirs pour la semaine prochaine ? On t'a inscrit à des cours particuliers pour les prochaines vacances. PS : Wu a eu une augmentation, tu dois travailler comme lui ! ».

Ai-je vraiment besoin de souligner le caractère oppressant du perfectionnisme de ses parents ? Daphné a fini par s'en lasser – une lassitude qui aura bien du mal à la quitter, finalement. Elle a fini par leur répondre machinalement oui à tout, sans forcément suivre derrière. Ayant parfois recours à la triche, abusant des moyens mnémotechniques pour apprendre ses leçons au dernier moment, elle arrivera cependant à garder la tête hors de l'eau : mais ses notes, au grand dam de ses parents, s'élèveront de plus en plus rarement au dessus de la moyenne.

Les sourires craquellent.
Mais Daphné n'en a plus rien à faire.
Qu'est-ce qu'ils en savent, de sa vie, de toute façon ? Rien, absolument rien. A partir de ses quinze ans, elle a commencé à s'éclipser de la maison lors des vacances scolaires, soi-disant pour aller travailler à la bibliothèque. Si ses parents avaient pris le temps d'y réfléchir, s'ils avaient suffisamment prêté attention à ses actions, peut-être auraient-ils pu empêcher la suite de cette histoire.

Bref, vous vous en doutez bien : non, Daphné n'allait absolument pas à la bibliothèque. Enfin au début, si. Et puis elle a rencontré Phil. Phil, ce beau brun aux yeux verts, aux cheveux bouclés, couvert de tâches de rousseur. Phil, avec sa voix douce et son regard tendre, ses compliments qui tapent pile là où il faut, et ses petites attentions qui ne tarderont pas à faire chavirer son cœur jeune et faible. Phil, qui lui a fait découvrir des recoins de Londres dont elle ne soupçonnait même pas l'existence, qui lui a appris à savourer la beauté d'un instant, et à la capturer pour pouvoir l'apprécier pour l'éternité.

Ses parents l'auraient détesté. Après tout, ils lui répétaient depuis qu'elle était petite : « les études d'abord, les garçons après ! ».
Mais Daphné ne les écoutait plus.

Phil était son tout, son monde, son univers. Elle pouvait tout lui dire, tout lui montrer, et il réagissait toujours exactement comme il le fallait, et tout se passait comme il le fallait. Enfin, ça, c'était jusqu'à leur premier désaccord.

Daphné devait rentrer, parce qu'elle avait dit qu'elle rentrerait avant dix-huit heures à la maison. Mais Phil ne voulait pas la lâcher, ni de ses mains, ni de ses lèvres. Elle lui expliqua à plusieurs reprises qu'elle n'avait pas le choix, que s'ils se rendaient compte de quelque chose, ils ne pourraient plus se revoir. Phil n'écoutait pas, il semblait même ne pas l'entendre. Éventuellement, elle finit par le repousser plus fermement : au fond, elle avait toujours peur de ses parents.

Alors Phil s'énerva. Il était un peu plus âgé qu'elle, et il avait des besoins, et il fallait qu'elle comprenne que ça faisait un bon moment qu'il se retenait, et qu'il ne pourrait plus tenir très longtemps comme ça. Elle ne comprenait pas, elle voulait simplement rentrer chez elle. Elle pourrait faire un effort, après tout il devenait un homme. Elle ne comprenait toujours pas. Il lui dit qu'ils verraient ça la prochaine fois.

Je ne détaillerai pas la fois d'après, mais vous comprendrez mon besoin de faire une ellipse.

Quelques semaines plus tard, à l'approche de la rentrée, Daphné tomba malade. Ou plutôt, c'est le mensonge qu'elle raconta à tout le monde. Mais sa grand-mère ne tarda pas à voir à travers ses nausées, ses faiblesses, ses sauts d'humeur et ses pulsions hyperphages. Il ne lui fallut que très peu de temps avant de remettre en place toutes les pièces du puzzle, et d'en arriver à la terrible conclusion : Daphné leur avait menti. Daphné les avait déshonoré. Daphné était salie.

Une famille différente aurait réagi différemment, bien sûr, tout comme des circonstances différentes auraient probablement influencé leur réaction – peut-être qu'il aurait suffi qu'elle leur présente son copain désormais ex, peut-être qu'il aurait suffi qu'elle leur en parle avant qu'ils s'en aperçoivent. Mais Daphné avait pris trop de distance avec eux, et cette distance les retournait maintenant contre elle. Si elle n'avait pas été maîtresse des événements qui l'avaient mené jusque là, cette distance était bien de sa responsabilité.

Depuis, Daphné ne rentre plus chez ses parents pour les vacances.
Elle ne parle plus à ses frères.
Elle passe l'été chez une de ses tantes sorcières, trop loin du reste de la famille pour se sentir impliquée dans tout ça.
Elle ne reçoit plus de lettres.
Elle n'a jamais revu Phil.

Entre ce triste événement et l'arrivée, redoutée mais prévisible, des premiers sentiments de crise existentielle si caractéristiques des adolescents, elle a eu du mal à retrouver sa place à Poudlard. Pour être honnête, elle a eu du mal à retrouver sa place dans ce monde en général. Pendant un an, elle a cessé de faire même le minimum requis, peut-être pour mieux ruminer ses idées noires, peut-être pour mieux retrouver la force de voir la vie en rose. Dans tous les cas, c'est ce qui l'a menée à redoubler. Si ses parents en ont entendu parler, ils n'auront même pas manifesté leur déception.

Mais qu'importe : c'est elle et elle seule qui s'est tirée de cette mauvaise passe. Elle, et la nouvelle famille qu'elle s'est créée toute seule, dans cette école qui était devenue sa nouvelle maison, qu'elle l'aime ou non. Elle, au milieu de tous ces ignorants, qui la jugent sans imaginer la moitié de ce qu'elle a traversé pour continuer à marcher parmi eux. Elle, au milieu de tous ces autres, qui ne la comprennent pas et ne la comprendront sûrement jamais.

Ce n'est pas grave.

Un jour, ils verront en ses photos l'essence de sa pensée. Un jour, ils entendront les murmures qu'elle voudrait hurler. Elle n'est pas encore prête à se dévoiler, à faire confiance aveuglément de nouveau, à voir les autres sans les juger comme elle se sent jugée.

Mais un jour, ils la verront voler de ses propres ailes. Et ce jour là, elle sera au-dessus de tout le monde, intouchable, invincible, forte et puissante, comme elle l'a toujours rêvé.

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salut les pipous, moi c'est batard. j'ai été vicieusement appâtée par eskababelle...... et comme je suis faible et que vous êtes beaux, ça a terriblement bien marché ヽ༼◉ل͜◉༽ﾉ du coup me voici me voilou.