simon says // hennessy (flashback, été 2028)

Tu devais servir de chaperon et la situation est un brin risible. Non, vraiment. Quand Désastre numéro un est avec Désastre numéro trois, numéro deux n'étant pas de la partie cette fois, c'est une recette pour l'apocalypse. Pourtant, tes parents ont décidé de te confier la garde de Sephora pour sa "première" sortie en ville, tu te demandes si c'est pas une tactique ou un test quelconque, pour voir si t'es suffisamment mature ou quelque chose du genre.

Et donc, vous voilà en ville, à crapahuter dans les rues avec un semblant de retenue, pour toi, alors que ta soeur zigzague entre les passants, allant jusqu'à se scotcher le nez contre une vitrine. En t'approchant à ton tour de la boutique, tu rigoles en observant sa trouvaille au-dessus de son épaule. «Cute. Elles me font penser à Doudou.» Puis y'a des tympans qui explosent à son exclamation, tu grimaces tout en te frottant l'oreille gauche d'une main. «Oui Seph, mais fait attenti—» T'as même pas le temps de te retourner qu'elle détale déjà, traversant la voie pour se ruer vers l'animalerie. Tu goûtes à ta propre médecine Hennessy, ce que tes géniteurs ont eu à subir quand tu as toi-même eu droit à ta première escapade hors du domaine familial.

Avec un peu plus d'attention, tu traverses à ton tour la rue pour la rejoindre, évitant le regard inquisiteur des passants, acquiesçant quand elle te demande si vous pouvez entrer. Tu la suis sans rien dire, un ricanement t'échappant parfois à ses expressions ravies. Laissant ton regard vagabonder, tu t'arrêtes un instant pour observer les chiots, un «awwwh» beaucoup trop attendri quittant tes lèvres alors que tu passes un doigt entre les barreaux pour le glisser contre le museau du plus aventureux. T'en récoltes un index plein de bave et un jappement aigu beaucoup trop content et tu crois que tu viens de mourir un peu à l'intérieur. T'es tiré de ton moment gaga par ta cadette qui attrape ta manche et t'entraîne jusqu'à une petite cage avec un lapin. C'est là que ça dégénère. Il est mignon, son museau qui s'agite alors qu'il dort et ouais, tu dois concéder qu'il est beaucoup trop chou.

«Seph, pas trop fort tu vas le réveill—» Trop tard, la boule de poil blanche a déjà ouvert les yeux et regarde frénétiquement à droite et à gauche pour voir si elle est en danger. «Tu sais ce que les parents ont dit, pas de dépenses inu... Tout en parlant, tu relèves les yeux et tombe sur les colliers pour animaux, plus précisément ceux qui sont particulièrement horribles et kitsch. ...tiles.» Tu dis rien pendant quelques secondes, pesant le pour et le contre. Elle a déjà un Yolland. Et toi t'as Adidas et Nike. Ce serait pas juste de refuser. «... Si tu penses être capable d'en prendre soin et de ne pas lui causer une crise cardiaque en hurlant, c'est tellement nerveux un lapin, j'vois pas pourquoi ils refuseraient ?» Le domaine familial ressemble déjà à une ménagerie, qu'est-ce qu'un pauvre lapin changerait.

Tu te maudis intérieurement d'avoir levé les yeux. Parce que bien entendu, elle allait suivre ton regard et tomber sur l'objet de ta convoitise — aussi débile soit-il. Mais le collier doré à paillettes dégueulasses et celui avec des emojis immondes te tapent dans l'oeil vu leur laideur. T'imagines déjà ton chat avec son nouvel attirail outrageusement shiny. «...Peut-être que je veux les acheter, oui.» T'as pas bougé quand elle s'est approchée pour mieux voir l'étalage, toujours posté près de la cage du lapin. Puis elle revient, adopte une posture rigide et te promet de bien faire attention à son futur animal de compagnie. Incapable de t'empêcher de sourire, ou de l'imiter, tu te tiens aussi droit qu'un piquet. «Et bien mademoiselle, je ne vois aucune raison de refuser dans ce cas.» T'hausses ensuite les sourcil, médite quelques secondes puis éclate ensuite de rire, aussi bruyant sinon plus qu'elle ne l'a été précédemment. «Très joli nom. Il a le seal of approval du Morgan original.» Tu sais pertinemment que tu n'arriverais pas à la faire changer d'avis et puis bon, il est mignon le rongeur, tu peux bien lui laisser ton second prénom sans faire d'histoire.

La suite se déroule plutôt bien — une fois tes colliers en main, tu t'es empressé de l'aider à porter ce dont elle avait besoin à la caisse pour payer vos achats et ressortir, bien plus chargés que prévu. «Bon, mai—» Tu te fais couper par son exclamation, sursautant (le lapin aussi) plus violemment que prévu alors que tes tympans sont de nouveau malmenés. «Seph...» Tu soupires, pas spécialement agacé mais un poil désapprobateur. «J'allais dire qu'on devrait poser ça à la maison. Histoire d'avoir les mains libres pour continuer ? J'ai entendu dire qu'il y avait un nouveau karaoke, si ça t'intéresses ?» La dernière fois que vous vous étiez retrouvés devant un micro remontait à quelques années, mais ça avait été mémorable. L'expérience serait probablement tout aussi spectaculaire. Ou horrible. Probablement les deux à la fois.  «Alors mademoiselle Tudor, qu'est-ce que vous en pensez ?»

Cette fois-ci, t'es préparé et tu ne sursautes pas. Tu ne peux pas en dire autant pour Morgan et quand elle s'empresse de s'excuser, tu secoues la tête en souriant. «Parce que tu semblais vraiment déterminée à voir l'animalerie et puis regarde, t'as maintenant un lapin.» La suite te fait rire, de ceux qui s'échappent par le nez et qui sont particulièrement disgracieux. «J'suis pas suffisamment horrible pour te parler d'un truc pour ne pas le faire ensuite, bien sûr qu'on va y aller.» Tu lui adresses un clin d'oeil amusé, levant ensuite tes bras chargés pour lui permettre de t'enlacer et tu te penches pour poser le menton sur le haut de sa tête.

Puis quand elle commence à débiter ses mots à une vitesse phénoménale, tu ne cherches pas à l'interrompre. Encore moins quand elle dit que vous allez mettre des heures à rentrer chez vous. T'es majeur, tu peux transplaner, mais tu ne dis rien. Observant simplement la réalisation se tracer peu à peu un chemin sur son expression et de nouveau, tu ricanes. «J'suis pas non plus sadique au point de nous faire marcher jusqu'à la maison, encore moins quand on a tout ça à transporter.»

Toutefois, quand elle mentionne le transplanage à voix haute, tu t'empresses de lui faire signe de se taire. Vous n'étiez pas dans un village sorcier après tout, et vu les quelques regards que certains passants vous lancent, vous avez visiblement juste l'air d'être des gamins un peu trop excités — ils ne sont pas loin de la vérité. Tu te dégages temporairement de son étreinte pour l'entraîner à ta suite dans une petite allée vide de monde, ne transplanant au domaine familial qu'une fois sûr que personne ne risque de vous voir.

Quand vous apparaissez de nouveau chez vous, c'est sous le regard interrogateur d'un domestique. Il ne devait pas s'attendre à vous voir revenir de si tôt et tu désignes rapidement vos achats d'un signe de la tête. «On vient juste déposer ça et on repart.» T'as presque envie de disparaître six pieds sous terre quand son regard tombe sur le lapin dans sa cage, l'air penaud d'un gamin pris sur le fait collé au visage. «C'est possible de ne pas le dire à Mère avant notre retour ?»

Un haussement de sourcil et un soupir plus tard, il acquiesce. «Si vous le désirez.» Et toi, tu hoches vivement la tête, mille et uns merci franchissant déjà tes lèvres alors que tu entraînes Sephora vers vos chambres respectives. «Assure-toi juste qu'il ait de quoi manger et boire, ça devrait être bon pour quelques heures. Et... Et puis bon, on se fera oblitérer plus tard, y'a plein de choses que je dois te montrer avant notre mort certaine.»

Tu déposes rapidement les sacs contenant les la nourriture et les divers objets pour décorer la cage dans la chambre de ta cadette, filant ensuite vers la tienne pour récupérer un sac à dos. T'y ranges une veste au cas où le temps se gâterait, ton porte-monnaie et une bouteille. Quand Sephora se glisse dans la pièce, se dirigeant avec assurance vers ton armoire, t'hausses un sourcil. Et quand elle se faufile derrière celle-ci, en tirant un bocal plein de bonbons, tu soupires, agitant la main d'un air amusé. «Je ne savais pas que j'avais un raton comme soeur. T'en as beaucoup des "caches" comme ça ?»

À la mention de ton aîné, tu hoches la tête. Et puis, ils ont leur lutte confiseries versus broccoli — tu penches toi-même vers les légumes, mais pour le bien-être de votre relation, tu évites de le dire tout haut. Une fois sûr de n'avoir rien oublié, tu te laisses traîner sans protester vers le hall principal. Nestor est toujours là, vous observant d'un air dubitatif et, encore une fois, y'a un air penaud qui se taille une place sur ton visage. Encore plus quand elle l'apostrophe pour lui indiquer votre retour.

«S'il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas à me joindre. Et merci encore !» Tu te redresses, un peu plus droit avant d'étirer le bras, le poing tendu vers lui. Le majordome te regarde toi, puis ta main, avant de soupirer et de t'imiter — c'est le fist bump le moins enthousiaste de l'humanité, mais tu l'acceptes quand même. «Yaaaay.»

Une fois Sephora accrochée à ta personne, tu transplanes, vous faisant réapparaître dans une ruelle aux abords du quartier où se trouve votre destination. Tu poses doucement une main sur l'épaule de ta soeur. «Ça va ?» Comme c'est pas tout le monde qui est habitué à ce genre de transport, tu préfères attendre un peu avant de te mettre en marche. Ce n'est que lorsque tu es assuré qu'elle ne risque pas de gerber sur tes baskets que tu l'entraînes à ta suite, vers le karaoké.

Ça ne prend que quelques minutes, à bifurquer d'une rue passante à une autre, pour atteindre les escaliers y menant. Une fois sur place, tu t'occupes de payer vos entrées, attrapant le menu qui vous est offert au cas où vous auriez un petit creux. Quand, finalement, vous êtes seuls dans la pièce qui vous est réservée, tu lances ton sac sur l'un des sièges, te retournant vers elle en te frottant les mains avec anticipation. «Je te laisse l'immense honneur de choisir la première chanson, ne me désappointe pas petite soeur. J'ai de grands espoirs placés en toi.» Tu dis ça comme si le sort de l'humanité dépendant de son choix — il n'y a que vos oreilles qui sont à la merci de vos horribles performances.

T'attends patiemment que Sephora décide du premier carnage, les fesses posées sur l'un des sièges en face du téléviseur et les mains jointes sur tes genoux. Elle fouille, ne semble pas trop savoir ce qu'elle veut et quand, finalement, elle se retourne vers toi, c'est pour t'intimer de ne pas juger. Secouant la tête à la négative, y'a une de tes paumes qui se pose sur ton coeur, l'autre levée en l'air. «Je te promets que je ne vais pas juger ton choix.» Puis, tu risques de choisir un truc aussi horrible, tu serais donc très mal placé pour le faire.

Elle s'affaire à trouver ce qu'elle cherche, te lançant un micro — que t'attrapes au vol, lorsqu'elle sélectionne la chanson et tu esquisses un sourire. Tu reconnais le titre, et le début des paroles que ta soeur chante avec d'un ton presque cérémonieux. Par contre, dès qu'elle hurle la suite, y'a tes tympans qui vrillent et les hauts-parleurs qui grésillent. Et il t'en faut peur pour te laisser prendre au jeu. Tu te relèves, un pied maintenant sur la table et le micro à tes lèvres. «ABSORBENT AND YELLOW AND POROUS IS HE, SPONGEBOB SQUAREPANTS!»

Le reste de la chanson se déroule de manière tout aussi catastrophique, vous criez plus que vous ne chantiez, les appareils électroniques au bord de la mort avec le supplice que vous êtes en train de leur infliger, mais franchement ? T'es en train de t'amuser et t'en as un peu rien à foutre.

Ta gorge est aussi sèche que le désert du Sahara quand tu imites le rire du capitaine, mais c'était worth it. Votre performance était aussi terrible que les précédentes. Récupérant ta bouteille d'eau dans ton sac, tu fais défiler les titres pour trouver un truc.«Y'a quelque chose que tu veux éviter ?» Tu croasses plus que tu ne parles, mais bon. «Ça te va du Disney ?»

Tu ricanes à la mention des chansons de Noël et lèves les mains en signe d'abdication. Même si franchement, tu n'hésiterais pas à ressortir du Mariah Carey peu importe le temps de l'année, un classique pareil, c'est indémodable. Surtout pour emmerder tes camarades de chambre alors qu'on est clairement pas en décembre. «C'est bon, pas de chansons des fêtes.»

Au moins, Disney la motive et elle se jette sur l'écran pour en choisir une autre et tu tires ton téléphone de ta poche pour regarder tes messages le temps qu'elle se décide. Ça ne prend que quelques instants, car déjà elle te propose du Roi Lion. «Toujours partant pour faire honneur à ma maison.» Si par honneur, tu entends massacrer une chanson culte d'un film représentant Hamlet avec des animaux parlants dont le héros est un lion parce que tu hurles plus que ne chante, alors oui, tu comptes faire honneur à la gloire de Gryffondor.

C'est limite si tu lances pas ton portable à l'autre bout de la pièce quand le début commence, et t'es clairement déterminé à act toutes les scène, mimiques incluses. Si t'as toujours un soft spot pour Simba, tu commences à feel Zazu sur un niveau spirituel, si bien que tu adoptes le rôle du calao à bec rouge sans la moindre once d'hésitation.

Perché sur le canapé, tu pointes dramatiquement ton index en direction de ta soeur, un air faussement sérieux sur le visage. «If this is where the monarchy is headed, count me out !» T'illustres les paroles en levant la main, mimant de jeter quelque chose par-dessus ton épaule, avant de croiser les bras. «Out of service, out of Africa — I wouldn't hang about... ah!» Au moment où l'oiseau, posé sur le tronc flottant sur la rivière tombe dans la chute, tu te laisses choir sur le sofa. «This child is getting wildly out of wing.» Marmonnant la suite de la chanson avec la même consternation que tu devines vu son expression agacée qui défile sur l'écran, tu ne peux t'empêcher de sourire.