Tu m'as inscrit à quoi ?! | ft. Argus

C’était une belle journée. Un samedi, pour être exact. Ce que ça voulait dire ? Que j’étais en mesure d’éviter tout le monde et d’aller me cacher dans une salle de classe vide, pour étudier. Et oui, c’est ça la vie d’un élève en bi-licence. Accessoirement, c’est aussi la vie d’un jeune homme qui s’est disputé avec quelqu’un de cher à son cœur il y a très exactement une semaine et qui a décidé, depuis, de noyer tous ses sentiments dans l’étude et d’éviter la bibliothèque juste au cas, pour ne pas le recroiser. J’ignore si je serais prêt à endurer son regard, si j’en serais capable. Je sais même pas s’il m’en veut encore ou pas. Mais qu’importe, là j’ai des trucs plus importants à faire, comme étudier les runes par exemple.

Tout ça, c’est sans compter sur l’intervention de mon ami d’enfance, Argus, qui m’envoie deux messages. Allez, un peu de bonne volonté. Je vais les lire, juste au cas. Si c’est rien de sérieux alors je peux continuer de l’ignorer et faire semblant de les avoir manqués, parce que j’étudiais. Et si c’est important alors je réagirai de la façon appropriée. Voyons voir ça… Ha. Le speed dating. C’était aujourd’hui ? Cool. Attends, quoi ?! Il m’a inscrit à quoi ? Non. Non non non. Je suis là le nez plongé dans mes parchemins pour pas penser à Bertram et lui, ce canard débile, m’a inscrit au speed dating ?! C’est pas possible. Je peux pas me couper du monde une seule journée ? Juste ça ? Que l’on respecte mes besoins d’introverti, par Merlin ! Je vais lui donner une chance de se rattraper, de dire que c’est qu’une erreur et… non. Ce n’en est pas une. Argus sait tout à fait ce qu’il fait et ne semble guère comprendre le message. Je vais devoir y aller. Merde. Comment ça va être interprété ça ? Enfin, faudrait encore que Bertram recommence à me parler, c’est pas certain du tout. Tss. J’envoie un dernier message et range mes effets scolaires presque rageusement. En plus je vais perdre du temps d’étude pour laisser des étrangers me jauger comme une pièce de viande. Journée de merde.

J’avale la distance me séparant du dortoir en quelques minutes à peine, à croire que j’ai une bête dangereuse à mes trousses. Je vais devoir lui faire connaître le fond de ma pensée, parce que ça va pas le faire. Hors de question. Je peux pas participer à ce truc parce que… Parce qu’il y a qu’un con comme moi pour être fidèle envers quelqu’un sans même savoir si ses sentiments étaient sincères ou s’il compte me parler à nouveau un jour. Non, disons simplement que je suis fidèle à mes propres sentiments, fidèle à moi-même, voilà. C’est mieux. Et c’est pas aujourd’hui qu’on va me changer. J’entre dans la chambre en coup de vent, lance pratiquement mon sac sur mon lit et m’empresse de me tourner vers Argus pour tirer cette affaire au clair.

« Alors, comment on se désinscrit de ce truc ? Il se passe quoi si j’y vais simplement pas ? »

La première chose qui m’accueille à mon arrivée, c’est la musique. De la très bonne musique. Ça me calmerait presque, en tout cas ça me donne envie de laisser tomber tout le reste pour en profiter un peu, mais là tout de suite j’ai d’autres priorités. Argus, ce petit salaud, et il a l’air tellement détendu alors qu’il termine je sais pas quoi sur son téléphone avant de finalement répondre à ma question. Ah, c’était hier. Super. C’est pour ça qu’il a attendu ce matin pour me mettre au courant ? Et le pire c’est que je vois bien qu’il retient le coin de ses lèvres, pour pas me rire au visage.

« Un jour je vais avoir envie de canard à l’orange tu vas rien comprendre. »

Je l’ai dit à haute voix ? Ouais. Et je lui lance même un coussin, pas trop violemment quand même. Je suis seul avec Argus et de la bonne musique, en plus d’être un brin énervé, je suppose que c’est une bonne formule, bizarrement, pour que je me sente comme chez moi. Je vais m’asseoir au bord de mon propre lit, l’air découragé.

« À quoi t’as pensé ? Je peux pas aller à ce truc. »

Nonchalant, Gus a récupéré le coussin pour mieux se réinstaller, indifférent à mon air malcommode. Faut dire qu’il a l’habitude et qu’il sait très bien que je suis inoffensif, pour lui en tout cas. Le canard fini par admettre qu’il aurait dû me prévenir… mais que j’aurais dit non. Ouais, évidemment t’as cru quoi ? Je soupire, me passe une main dans les cheveux. J’en reviens pas. Je vais faire quoi ? Je peux quand même pas y aller pour de vrai. Pourquoi pas ?

« Parce qu’il pourrait croire… Parce que ça pourrait… ! Je peux pas. »

Il pourrait croire que je m’intéresse plus à lui, que je suis passé à autre chose. Ça pourrait le blesser de savoir que je suis allé à une soirée speed-dating. Si c’était sincère, ce dont j’ai aucune idée. Ça fait quoi… on est le 9, c’est arrivé le nouvel an. Janvier ça a quoi, 31 jours ? Ça fait donc un total de 40 jours depuis le baiser. Le seul et l’unique. Et depuis ? On ne se parle pratiquement plus, pas en dehors des cours en tout cas. Il est toujours avec son copain et la dernière fois que l’on s’est vus, ça a plutôt mal fini. Bien sûr, Bertram avait essayé de me communiquer autre chose, de m’écrire, mais je n’avais pas pu savoir quoi. Le Serdaigle avait préféré prendre la fuite, me laisser là sans me partager le fond de sa pensée, parce que bien sûr qu’il allait le faire. Et maintenant quoi ? Je vais refuser d’aller à cet événement parce que… ?

J’expire douloureusement, la tête basse, la main toujours dans les cheveux. J’ai pas de bonne raison, si ce n’est que quand je repense à tout ça, j’en souffre encore. Qu’au fin fond de mon âme, j’espère encore, même si je ne sais plus trop pourquoi. Quels signes est-ce qu’il m’a donnés qui justifient que je continue à croiser les doigts ? Logiquement, rationnellement, aucun. Je suis juste borné, entêté. Je peine à accepter la défaite. J’aurais tant aimé que les choses se passent autrement. Je me sens lourd, sans parler que mon cœur vient de me tomber dans les talons. J’ai même pas d’arguments, rien en dehors du fait que je suis borné comme pas deux.

« Je peux pas y aller. »

Au fond y’a peut-être rien de mal à rester tout seul, à être dans son coin, quitte à devoir endurer quelques blagues de puceau. Ça me semblait bien plus simple, en tout cas, que de me demander si mes sentiments étaient partagés et si, là où on en était, ça comptait. Parce que même si c’était le cas, ça changeait quoi ? Ça voudrait simplement dire que, même en éprouvant de l’affection pour moi, il avait préféré quelqu’un d’autre. N’était-ce pas encore pire ? Qu’est-ce que j’avais pas que l’autre avait ? Ou alors c’était bien le problème. Qu’est-ce que j’avais que l’heureux élu n’avait pas ? J’étais un semi-vampire, déjà. J’en revenais à ça. À douter de moi. À me demander si un semi-vampire était capable d’amour, capable d’avoir une influence positive, capable de bâtir au lieu de simplement se nourrir à même les autres tel un parasite. Si je me fiais à la situation actuelle en tout cas, le constat n’avait rien d’optimisme. Que ce soit une vérité ou non, à partir du moment où l’on m’estimait incapable de m’impliquer dans une relation de ce genre alors… Tu te rappelles de ce que je t’ai dit l’autre jour ? C’est vrai, Gus est là aussi. Je réfléchis trop. Qu’est-ce qu’il a dit l’autre jour ? Je suis tellement loin dans ma tête que c’est difficile, je sais même pas s’il a dit autre chose avant que j’ai tout bonnement ignoré. Je prends un risque.

« T’en dis beaucoup des trucs. »

C’est lancé avec un sourire faible, mais un sourire tout de même. Heureusement ça n’a pas l’air d’une mauvaise réponse puisqu’il reprend la parole, qu’il clarifie comme si mon hésitation était légitime. Quand je te disais de laisser aller. Je repense à la porte qui se referme derrière Bertram, à ce moment douloureux où je m’étais forcé à le laisser partir. Mon sourire a disparu. Pas à moi de lui courir après hein ? Quelque part il a raison, c’est moi le plus accessible des deux. Ça ferait beaucoup plus de sens que ce soit lui qui vienne à moi. Sauf que c’est une excuse faible, minable. Y’a pas de raisons de rester assis en se tournant les pouces quand on aime quelqu’un. Pas de raisons d’arrêter de faire des efforts ou de pointer du doigt en disant lequel des deux devrait en faire le plus. Sauf que c’est pas vraiment la situation, n’est-ce pas ? C’est mon argument qui repose sur du sable, parce qu’au final j’en sais trop peu sur ce que pense vraiment Bertram. Je n’en ai que des bribes, des conclusions que j’ai dû tirer moi-même à cause du silence radio.

Gus a raison, évidemment. Il me connait bien et il a plus d’expérience que moi avec ces histoires. L’admettre, toutefois, c’est autrement plus difficile. Fierté ? Entêtement ? Déni ? Pourquoi pas un peu de tout ça. Les coudes appuyés contre les cuisses, la mine basse, mon regard se perd dans mes pensées. Je dois affronter la réalité. Admettre les faits. Si Bertram voulait être avec moi, je le saurais. S’il était sincère, si je figurais où que ce soit dans ses priorités, je le saurais. Je lâche un grand soupir, en espérant que ça fasse disparaître la tension dans mon abdomen. Que ça fasse disparaître cette sensation désagréable sous les yeux, celle qui précède les larmes. Un peu de fierté par Merlin. J’ai l’habitude de garder mes problèmes pour moi, ça devrait pas être beaucoup plus difficile cette fois-ci, n’est-ce pas ? Parce que tu te fais du mal. Vaut mieux moi que lui.

« T’as raison. C’est pas dans ma nature. »

Allez Ethan, il faut y mettre un peu du tiens. T’es en train d’inquiéter ton meilleur ami là, est-ce que c’est vraiment mieux ? T’en as pas assez de ça ? Ça devrait être l’inverse. C’est toi qui t’occupe des gens, pas l’inverse. C’est tout ce que t’as pour prouver que tu peux faire quelque chose de bien, prendre soin des autres. Colles-toi un sourire aux lèvres et fais semblant s’il le faut, mais il n’a pas à se torturer l’esprit avec les trucs qui te font du mal à toi.

« Mais c’est peut-être la meilleure chose à faire. »

Je n’arrive pas à croire que j’ai réussi à dire ça sans avoir la voix qui craque. Je m’éclairci la gorge, me redresse pour m’asseoir plus droit. J’ignore si ça va passer avec Gus. Il me connait bien, je m’attends à ce qu’il me trouve aussi facile à lire que le dos d’une boite de céréales, mais avec un peu de chance peut-être que mes mots suffiront à le convaincre que je vais bien m’en tirer et qu’il n’a pas à se faire de mauvais sang pour moi.

« C’est quoi le plan ? Ça se passe comment un speed-dating ? »

Je sais pas s’il a réalisé que je n’y crois qu’à moitié, mais ça semble avoir suffit. Une série de rencontres assez courtes ? C’est à la fois un soulagement et une source de désespoir. Au moins j’aurai pas besoin de faire trop longtemps semblant de m’intéresser à des gens, mais du coup je vais devoir en voir plus. Si j’arrive à en ressortir en me souvenant du prénom de plus de deux personnes ce sera un exploit. Débile de penser qu’on va trouver l’âme sœur comme ça hein ? Forcément puisque ça n’existe pas, les âmes sœurs. C’est un concept auquel je ne crois pas du tout. Dans ma vision des choses, il est nécessaire d’apprendre à aimer parfaitement une personne imparfaite pour que ce soit de l’amour et, par conséquent, croire qu’il y avait un individu idéal pour soit, facile à aimer sans jamais s’accompagner de frustrations à surmonter, revenait à prendre the easy way out. Continuant sur sa lancée, Gus mentionne aussi que, si j’ai un bon feeling, je peux demander un numéro. Mouais. Ça revient à donner son numéro à de purs inconnus. Je sais pas, peut-être que c’est moi l’anomalie dans tout ça, mais ça ne me semble tout simplement pas normal de s’échanger des numéros avec la compréhension implicite que deux inconnus cherchent l’amour chez l’autre sans même se connaître. Ça me dépasse, c’est tout. C’est le genre d’engagement que je pourrais jamais prendre envers quelqu’un.

« Je vais faire ce que je peux du côté des anecdotes, mais je pense pas ramener de numéros. »

Déjà parce que personne ne voudrait le numéro d’un semi-vampire qui faisait la gueule et parce que, inversement, je comptais pas en demander. J’irais, je me prêterais à l’exercice, je raconterais mes histoires d’horreur en fin de journée et on en parle plus.

La bonne blague. C'est pas parce que vous serez assis l'un en face de l'autre que y'aura forcément... une tension sexuelle. Je serais même prêt à aller jusqu’à te jurer qu’il n’y en aura pas. Non, attends, je devrais parier, histoire de me faire quelques gallions faciles. Quant à rencontrer des gens avec qui je voudrai être pote c’est déjà plus réaliste, mais les probabilités que ça se produise sont atrocement minces. Ceci étant dit, la manière qu’à mon camarade de prononcer la dernière partie a le mérite de m’arracher un sourire en coin, non sans un brin d’amertume.

« Même toi t’y croirais pas si je revenais en te disant que j’ai rencontré quelqu’un d’intéressant. »

C’est pas le but, n’est-ce pas. Il veut juste me faire sortir, me faire réaliser qu’il y a des tonnes d’autres poissons dans l’océan réduit qu’est Poudlard. Ou quelque chose comme ça, je suppose. De son côté visiblement plus enthousiaste que moi, Gus a déjà commencé à fouiller dans sa garde-robe, ce qui l’incite à me demander si je vais y aller comme ça. Je baisse les yeux vers ce que je porte, ne sachant pas trop si ça convient ou pas, et passe une main contre ma nuque. Est-ce que c’est vraiment important ? On sait tous les deux très bien que je vais pas chercher à charmer qui que ce soit.

« Je vais probablement y aller avec un jean et un t-shirt, qu’est-ce que ça change ? Tu l’as dis toi-même, j’y vais pas pour rencontrer mon âme sœur. »

Vu que ça existe pas et que c’est des histoires de bonne femme pour vendre des remèdes ou des je sais pas quoi pour trouver son âme sœur justement. Mauvaise foi ? Moi ? Jamais. Toujours est-il que les préoccupations vestimentaires finissent par arracher un j’aimerais bien que Bertram soit là à mon bro de pratiquement toujours. Ah, les mots magiques. Le prénom qui me fait pousser un soupir dépité, qui accentue l'impression de tristesse qui accompagne naturellement mes yeux à sa simple mention. Ma seule consolation, c’est de ne pas réaliser que l’on m’épie. De ne pas savoir que je viens de me vendre et en beauté.

« À qui le dis-tu. »

Et, parce qu’il faut croire que j’étais pas encore assez transparent, j’adopte soudainement un air confus, relevant les yeux vers Gus.

« Attends, tu n’es quand même pas désespéré au point de demander des conseils vestimentaires à Bertram ? »

Sous-entendu : quand j’ai donné ma première réponse, je ne le disais pas en pensant à des problèmes vestimentaires, contrairement au sous-entendu initial. Et moi, probablement un peu con et n’ayant pas remarqué les immenses signaux de fumée que je viens de lui envoyer, je me contente d’imaginer mon meilleur ami débarquer au speed-dating avec un pull et un nœud papillon. Pas sûr que ce serait vraiment mieux que son look de salon funéraire. Pas sur lui en tout cas.

Mouais mouais, pas parce que je drague pas ce soir que je dois pas y aller comme un sac ? Ça, c’est parce que tu penses pas comme un semi-vampire. C’est fou ce que certaines filles sont prêtes à pardonner dès lors qu’elles sont au courant que t’as des dents pointues. Il faut prendre ses précautions, c’est très important de passer inaperçu et de décevoir leurs à priori sur ce que devrait être un semi-vampire. Mais bon, j’ai pas envie de me lancer dans ces explications-là donc autant me plier à ta requête et essayer de te faire plaisir. Si je fais preuve d’assez de bonne foi, peut-être que tu ne t’inquiéteras plus pour moi. Et puis il y avait eu le nom de Bertram, le soupir et ma surprise à l’idée que, de tous ceux que tu aurais pu consulter, le nom du Serdaigle soit celui que tu ais évoqué. La réponse qui suit est… je sais pas. Elle me semble morne. Mouais, pour une blague elle a pas l’air de te faire rire. J’acquiesce néanmoins et me détourne en serrant les dents.

Tu ne laisses cependant pas la chance au silence de s’installer puisque c’est à moi que tu demandes conseil à présent. Je sais pas trop si je suis une source fiable pour ce genre de choses, mais je peux bien essayer de donner un coup de main. Je comprends bien ta problématique, celle de ne pas vouloir être éclipsé par la Serdaigle, mais le fait est que je suis du genre à t’encourager à y aller au naturel ne serait-ce qu’un peu.

« Montre-moi ce que tu as comme hauts ? T’as pas un truc qui afficherait bien un des trucs que t’aimes ? Ça pourrait t’aider à lancer les conversations et faire comprendre rapidement quel genre de personne t’es. »

Et dire qu’à la base c’est moi qui voulais pas y aller.