High || Ellia

Souffle du vent effronté alors que le ciel nocturne est déjà assombri et que les premières étoiles commencent à percer la voûte céleste. Les doigts tapent un rythme aléatoire alors que tu attends là, ne sentant qu'à peine la morsure du froid sur ta chair peu couverte. Tu n'as toujours pas récupéré ta veste aux couleurs rouges et or, et l'envie d'en obtenir une autre t'était passée après les évènements récents s'étant écoulés au sein du château. Tu n'avais pas réellement eu l'opportunité de parler à Age, ni à Nebula, et tes pensées les plus honnêtes tournaient autour d'elles, là où ton humanité s'effondrait dans un gouffre peu glorieux aux résonnances morbides de drogues indécentes, et de luxure débordante. Tes yeux sont frottés d'un geste las, fatigue enveloppant tes traits illusoirement angéliques, et tu contemples la forêt en contre-bas, maître et dominateur éphémère d'un monde posé à tes pieds. Contrôle qui t'avait tant longtemps échappé revenant à tes paumes frigorifiées, et tu repenses à toutes ces pensées envahissantes, toutes ces images volées, toute cette étendue de possibilité de manipulation que tu n'avais jamais exploitée. Peut-être l'heure était venue de cesser de se croire ange, et de se laisser déchoir.
Les pas résonnent derrière toi, mais tu ne te retournes pas, statue immobile face à un paysage nocturne, cape fouettant et déchirant l'espace comme un cri de détresse d'une bête blessée. Les lèvres pourtant se distordent en un vague sourire, alors qu'Ellia approche, alors que tu te remémores la première fois que vous vous étiez heurtés l'un à l'autre, dans un océan de détresse affective qui vous avait tous les deux embaumés d'un voile d'inconscience et d'insolence.
J'aurais presque cru que tu me poserais un lapin.
Vulgarisation verbale adéquate à l'interlocuteur affronté, regard finalement déviant pour se heurter à la douceur des traits féminins, pour s'ancrer dans ses yeux à elle, comme si c'était important de la regarder ainsi, comme si cela lui importait.

La voix est morne et familière, alors qu'elle détonne dans le silence, alors qu'elle déchire le voile nocturne de sa lame acérée. Tes yeux suivent ses mouvements comme un prédateur noctambule, répondant d'un sourire au sien, car elle n'aurait jamais dû venir, comme lors des nuits que vous aviez passées ensemble, comme lors des fêtes où tu n'aurais jamais dû la retrouver. Les paroles résonnent de nouveau, et tu secoues la tête car elle sait bien que tu n'as jamais ni cigarette ni feu sur toi, obsédé par cette idée stupide de l'incendie qui dévore les chairs et la matière sans se soucier de la douleur. Mais ses yeux sont happés par le ciel brillant au-dessus de vos têtes et tu ne peux qu'acquiescer à ses paroles admiratives, lucide de la beauté de la nuit, douloureusement conscient de l'irréalité de la lumière étoilée, lointain souvenir de boules de feu peut-être depuis longtemps attisées.
Sa déception se dessine d'une grimace alors qu'elle saisit enfin qu'elle ne pourra pas inspirer la fumée meurtrière ce soir, consciente qu'il faut désormais qu'elle passe aux choses honnêtes, que l'interlude a déjà trop duré. Son visage enfin tourné vers toi, elle marmonne sans préavis à quel point tu n'as pas l'air bien. Le rire t'échappe alors que tu secoues la tête, amusé et étonné par cette remarque soudaine pourtant conscient de cette vérité désagréable à entendre et pourtant inévitable.
Ça change pas de d'habitude.
Mais la surprise perdure alors qu'elle te propose de discuter, de t'élancer, de parler. Vider le cœur et l'esprit, tout simplement - et pourtant cela te paraît irréalisable, proposition détonnant trop face à vos rencontres habituelles. Alors tu t'accroches aux mots, aux paroles qui sonnent inconnues aux lippes que tu as déjà pu embrasser, que tu as mordillées et dévorées avec acharnement à des moments bien différents.
Tu m'aimes bien ? C'est nouveau ça.
Bassin qui se tourne vers le vide, yeux qui contemplent de nouveau le monde étendu à tes pieds, à vos pieds. Bonbon mentholé retiré de la poche, glissé entre les lèvres, un autre proposé sur la paume ouverte à celle qui t'avoisine dans la domination d'un univers constellé d'imperfections ahurissantes.
Tu es celle qui m'a donné rendez-vous ici. Si je voulais parler à un psy, j'aurais consulté, Ellia.
J'aurais peut-être dû.
Voix éraflée et plus rude qu'habituellement, tu ne veux paraître insultant, mais la douceur n'est pas ce qui te caractérise dernièrement. La nuque est griffée de tes doigts, pincée comme pour revenir à la réalité, alors que tu tentes d'analyser la situation, de comprendre les implications. Finalement, la lassitude t'atteint, lourdeur du cœur et de l'âme impossible à ignorer ni à soudoyer.
Pourquoi sommes-nous là ?

Confirmation de ses paroles qui te glace le sang, comment peut-on seulement croire que tu es quelqu'un à apprécier, quelqu'un à qui se confier ? Tes mains se serrent en poings alors que le bonbon délicat se fissure entre tes dents, éclats laissant s'écouler une douce liqueur sucrée qui pourtant n'apaise aucunement ton âme.
Cadeau récupéré et glissé entre ses lèvres, tu la contemples quelques instants, saisi par sa beauté étrange, particulière. Son épiderme reflétant la lumière étoilée, elle semble être les constellations elles-mêmes, leur personnalisation subtile et élégante, au regard voilé de regrets. Tant de choses que tu aimerais savoir, tant de détails que tu aimerais connaître, et pourtant tes pensées n'effleurent les siennes que lorsqu'elle les pense trop intensément, lorsque cela lui échappe comme un cri muet, un détruis-moi saccadé et brouillé de plaisir, alors que vos corps se heurtent régulièrement dans une danse épanouie.
Rire éclatant, carillons bouillonnants qui s'éteignent trop rapidement, tu souris légèrement face à cet éclat soudain, si détaché de votre réalité, si fragile sous le couvert de la nuit. Mais le sérieux revient alors que son ton change, alors qu'elle ignore pourquoi c'était toi et pas un autre, et quelque part tu as l'impression d'avoir été son dernier choix, le pire, celui qu'elle aurait dû éviter de faire, celui qui est le plus regrettable de tous. Elle t'assène soudain, sans que tu ne comprennes pourquoi, que tu aurais pu être quelqu'un de bien. Mais elle se trompe. Tu as été quelqu'un de bien, tu étais un fils aimé, un fils aimant, un bon gamin qui aidait son prochain, qui vivait une vie banale et douce - mais un gamin curieux qui a décidé de tout laisser derrière lui pour un infernal voyage dans le pire de ses cauchemars. Et tu sais qu'elle a raison quand elle dit que tu fais du mal, que tu lui fais du mal, comme tu en fais à tant d'autres - Arya, Regret, Nebula aussi, au final - mais tu te sens incapable d'arrêter, détraqueur se nourrissant sur la détresse d'autrui, sur les carcasses déchues pour tenter de combler le vide laissé par ton cœur desséché.
Tu te tournes brusquement vers elle, ta main agrippant sa mâchoire vivement, et vos lèvres se rapprochent, s'effleurent presque, alors que l'autre paume caresse ses cheveux, yeux scrutant son visage de près, attentivement, comme en recherche d'une dernière once d'espoir dans ses traits clairs.
Tu ne devrais pas te laisser leurrer, Ellia. Tu devrais me fuir et tu le sais.
Car je ne suis qu'un poison pour toi. Pensée trop forte, trop intense, qu'elle pourrait entendre si elle le voulait, comme elle avait déjà entendu tes murmures dans votre tumultueux passé. Baiser chaste déposé sur ses lèvres, les pupilles se ferment, le front s'appose au sien, soupir fatigué s'échappant d'entre les lippes alors que la main effleure le cou, longe l'épaule, caresse le bras et finit par retrouver sa comparse, les doigts s'entrelaçant délicatement.
Tu n'as pas idée de ma monstruosité.
Confidence au bord des lippes, tu ne peux céder, la peur refroidissant ton épiderme exposé, pieds reculant jusqu'à côtoyer le vide, main se défaisant de la sienne dans une réaction craintive. Qu'es-tu donc entrain de faire, naïvement, comme si tu pouvais seulement espérer être sauvé ?
Tu devrais cesser tout contact avec moi.
Ce serait le mieux pour elle, ce serait le mieux pour vous deux, sauvetage de deux âmes en destruction mutuelle si puissante qu'elle annihile tous les interdits.

Folie, seule explication plausible de son comportement soudain. Tu es perdu, dévasté par ses réactions, la seule fois où tu voulais agir bien, la seule fois où tu as voulu sauver quelqu'un, tout vole en éclat. Elle saute dans la gueule du loup comme une narcomane en quête de sensations fortes, comme une prisonnière de ses propres désirs se jetant du haut de sa tour d'ivoire juste pour sentir le vent la porter. Mais la plupart du temps tout se solde par une chute, crâne éclaté sur un sol de pierres brunes, entachées par le sang de ceux qui ont agi de la même manière, croyant que la surface approchant leur chair attirée par la gravité pouvait se nommer liberté.
Tu n'es pas conne.
Regard amer posé sur elle, car elle ne l'est pas, pas comme elle l'entend, pas comme elle le croit. Tu la sais éclairée, intelligente, douce et gentille, mais la stupidité qu'elle croit la caractériser n'est qu'un entêtement naïf à se perdre dans des eaux troubles en sensations, en hallucinations. Et elle s'approche alors que tu ne peux plus t'éloigner, acculé contre les ramparts, alors que ses yeux semblent fait pour saisir les tiens, alors que détourner le regard te semble au-delà de tes capacités, humaines ou pas. Ses paroles au départ moqueuses deviennent dures, elle n'est pas à manipuler, on ne lui donne pas d'ordres, et tu le sais, mais les conseils sont bons à entendre aussi. Tu t'apprêtes à le lui dire quand ses pensées te happent de plein fouet, esprit s'ouvrant au tien une nouvelle fois.
Ses lippes s'emparent des tiennes, volant ton souffle et ta répartie, et tu veux bien croire qu'il y a une part de poison addictif dans sa bouche délicieuse, dans la façon dont son corps se heurte au tien, dans la façon dont vos chairs cherchent leur comparse, avidement.
Mains qui se baladent et lèvres qui ne s'éloignent pas, tu sens ses doigts dans tes cheveux, dans ton cou, enjôleurs, comme elle, et tes propres paumes s'animent, l'attirent, comme si elle était trop loin, son bassin accolé au tien alors que tes griffes glissent sur son dos arqué.
Tu es ma damnation.
Et ses pensées défilent, encore, demandes hurlées directement dans ton encéphale, alors qu'elle est adossée aux pierres rudes un instant plus tôt présentes dans ton dos, et tu ne peux y résister, à son appel muet, promis offert en retour, contract signé par le sang des lippes que tu viens d'ouvrir de tes dents, avide et assoiffé comme à chaque fois qu'elle te tentait ainsi.
Amertume de devoir se reculer, les mains se posent sur ses épaules pour la reculer, voix rauque et essoufflée, alors qu'il te semble que vous vous perdez de nouveau dans ce labyrinthe sans issue qui ne peut vous permettre rien de plus qu'une destruction, rien de plus que l'annihilement de vos fondations.
Qu'est-ce qu'on fait Ellia ?
Les lèvres retrouvent les siennes de nouveau, attrait impossible à éviter, à repousser, alors que tu ne peux arrêter de l'embrasser, mains se glissant sous sa cape, sous sa chemise pour caresser ses hanches ainsi dévoilées.
Sommes-nous fous ?