pull moche // bertram

Halloween était passé aussi vite que l’on cligne des yeux et désormais, tout Poudlard se retrouvait dans ce marasme gris et froid des jours d’attentes avant les vacances et célébrations de Noël. On commençait tout juste à s’habituer à la nouvelle routine. Cours, clubs, entraînements de quidditch...Il faut que la victoire de ce début d’année avait redonné des couleurs à tous les serdaigles désespérés depuis l’année dernière. Et notre héro avait un nom : Aslan Icare Kaur. C’était facile de passer à côté de lui sans le remarquer - il me surpassait de loin en anonymat . Avant cette victoire on aurait pu simplement le définir comme une absence totale de charisme - un fantôme. Et pourtant… De ses faibles doigts il nous avait arraché la victoire...et un baiser au capitaine de l’équipe adverse. Son acte de bravoure avait animé les couloirs pendant des semaines, avant de retomber lentement dans l’oubli dans l’absence de développement. Ruben et Aslan ne formaient un couple. Enfin, ça je l’avais prédit : Ruben, bisexuel ?  Ca me paraissait impossible.

Et donc, mon camarade retombait doucement dans l’anonymat. Mais pas uniquement. Il suffisait de lui accorder un peu d’attention pour le remarquer. Sa pâleur, son regard perdu et un peu triste. D’accord, Aslan avait rarement l’air d’exploser de joie mais c’était différent. Petit à petit, ces faibles sourires qu’il avait gagné s’effaçaient. Non, Aslan n’était pas quelqu’un de joyeux par nature - mais quelque chose était en train de se produire.

Après un entraînement intensif, tout le monde se dirige vers les vestiaires. Tout le monde sauf notre attrapeur vedette. Sur le moment je ne m’en préoccupe pas. Je rentre dans le vestiaire. Je prends mon temps. Je me lave presque après tout le monde - par habitude. Mes stratégies ne me servent plus vraiment à grand chose j’imagine...Me laver après tout le monde pour éviter de les regarder. Une fois mes chaussettes passées et mes chaussures lacées, tout le monde s’en va. Et j’en profite pour me glisser dans le vestiaire opposé et laisser une petite surprise à nos adversaires lors de leur prochain entraînement. C’est si bête vraiment. Des bouillon de cubes de poulet planqué dans les têtes de douches - ils vont sentir bon à la sortie niark niark. Et de l’autre côté des murs, j’entends l’eau qui coule. Ca doit être le blond qui se douche. Parfait, personne ne m’a vu ou ne soupçonne… On ne pourra pas me pointer du doigts lorsque les poufsouffle viendront se plaindre.

C’est avec un sourire parfaitement innocent que je reviens dans mon vestiaire pour retrouver Aslan au sol. Sa serviette masque sa nudité mais révèle sa peau d’ordinaire si pâle, rougie par l’eau brûlante. Mon sourire s’efface pour prendre une expression de surprise. Est-ce qu’il est tombé ? Une sensation d’effroi me glace le sang. Je me souviens de l’odeur dans l’horloge, les tâches sur mes chaussures. Je m’étais promis de ne plus jamais détourner le regard.

Aslan...il est si fragile, si transparent. En un claquement de doigt il pourrait disparaître, s’effacer. Sans bruit. Disparaître, emporté par le vent comme les semences d’un pissenlit, en un souffle. Et qui le remarquerait ?
Moi, je le remarquerai.
Mais le connaissant, il faut éviter l’approche directe. Je feins donc un léger sourire et un ton chaleureux pour lui dire :

Oh toi aussi tu aimes être tranquille pour prendre des douches à 50 degrés, hein ? Ca fait du bien, ça détend les muscles mais ça peut étourdir un peu.

Je m’approche pour m’asseoir sur le banc, le plus près de là où il se trouve pour me pencher vers lui, la pointe de mes cheveux ondulant, encore humides.

Est-ce que tu t’es fait mal ?

Une question en apparence si innocente. Est-ce que tu t’es fait mal en tombant sur le carrelage, Aslan ? Est-ce que as essayé de te faire du mal dans les douches ? De faire gonfler tes veines pour mieux les trouver, comme Soleil ? Mais non, ça ne sent pas le sang. Ca sent l’humidité, le savon et encore un peu la transpiration qui demeure dans l’air. Mon regard le fixe, clément avant d’ajouter d’une voix douce :

Ca ne va pas fort aujourd’hui, n’est-ce pas ?

.

Il essaie pendant quelques secondes, vainement, de laisser son visage se refermer, recomposer le masque, mais tout vole en éclat à chaque sanglot, chaque reniflement pathétique. Sa voix le trahit quand il parle, tremblant un peu, sa gorge serrée. J’hoche vaguement la tête à sa remarque avant qu’il ne se laisse aller à pleurer. Je baisse les yeux. Ce n’est jamais bien joli quelqu’un qui pleure, ce n’est jamais digne et surtout ce n’est pas quelque chose qu’on devrait observer avec curiosité. Je ne sais pas quoi lui dire pour le réconforter. Une main sur l’épaule serait bien mal avisée, tout contact physique vraiment, vu son état de nudité vulnérable.

Il est là à fleur de peau, les sillons qui partent de ses yeux rougis, ses poumons qui suffoquent. Et moi je ne sais pas vraiment quoi lui dire. Je mordille mes lèvres.

Tu peux m’en parler si tu veux..

Au lieu de garder tes sanglots pour toi. Tu ne peux pas continuer de pleurer en secret, d’attendre que tout le monde quitte les douches pour le faire.

Lentement et péniblement, il se dévoiler. Les mots sont parfois un peu maladroits mais ça doit l’aider. Parvenir à étiqueter des mots sur des sentiments, des sensations...ça aide à prendre du recul. Je l’écoute en silence, peut-être que ce dont il a besoin, c’est surtout de quelqu’un capable d’écouter. Et son expérience, je la connais en partie. Pas avec autant d’intensité...mais je peux comprendre.

Ca a dû être éprouvant de devenir soudainement le centre d’attention. Passer d’un extrême à l’autre. De l’inconnu à l’objet de tous les regards tout le temps…. Mais ne t’en fais pas, la célébrité ça s’évanouit vite tu sais, une nouvelle en remplace vite une autre.

Je lui adresse un faible sourire :

Mais au final, ça ne change pas grand-chose. Tu es toujours le même, Aslan. Les autres n’ont pas changé non plus.

Je m’étire un peu et j’expire, il retrouve son calme et moi aussi. Je m’installe sur le banc, tourné face à lui le genou plié. Je connaissais mal Aslan, mais ce que je savais c’est qu’il était sensible. Facilement effrayé. Comme moi. Donc je lui ai donné le conseil que je m’aurai donné à sa place :

C’est parfaitement normal que ça te demande un temps d’adaptation. Et au final tu y gagnes un peu. Et puis… quand tu as besoin d’être tranquille, d’être invisible...il y a toujours des stratégies pour se retrouver seul. Etre quelqu’un d’autre. Ou faire en sorte qu’on ne préfère pas te regarder.

Un sourire mesquin étire mes lèvres

Comme paraître ennuyeux et porter des pulls kitschs par exemple. Rien de tel pour qu’on détourne le regard ! Maintenant que j’y pense tu voulais juste pleurer dans les douches et je t’ai interrompu, hein ? Busted.  

J’éclate d’un léger rire avant de reprendre d’un ton plus sérieux  :

Moi, quand je me sens mal, je me répète que ça n’a pas d’importance. De toute façon tout est temporaire.  

Tout se dissipe. Tout disparaît. Je suis insignifiant. Il y a un certain réconfort là dedans.

Je ne sais pas si ça l’aide, mais ça m’aide moi. Prendre du recul, réaliser que rien n’a d’importance, ni ma vie, ni tout ce qui nous entoure, que nous sommes que de la poussière qui vivotent le temps d’un clin d’oeil. Ca remet tout en perspective quand on souffre - c’est logique. En tout cas mes paroles semblent atteindre l’attrapeur qui esquisse un léger sourire.

Oh vraiment ?

Et une soudaine réalisation :

C’est drôle mais ceux qui les détestent n’arrivent pas à se taire et ceux qui les aiment bien… ils ne le disent jamais ?

Est-ce que c’est plus facile d’exprimer la haine que l’amour ? Certainement. Dire je déteste c’est se mettre en position de force et de jugement. Dire “ j’aime” c’est se montrer vulnérable. Et Aslan, lui, n’avait pas peur de se montrer dans cet état. Quelque part c’était une forme de courage - d’oser être soi même, faible, plutôt que d’être quelqu’un d’autre. D’ailleurs il n’hésite pas à s’affronter. “ Je suis content que tu sois là” ça fait plaisir à entendre, une petite étincelle de chaleur naît dans ma poitrine à chaque fois que je me sens utile. A défaut de pouvoir lui dire que la prochaine fois on pourra pleurer ensemble, j’ose tapoter faiblement son épaule, les lèvres serrées et le regard attendri. Mes doigts demeurent un peu, marque de soutien, avant de se reposer sur mes genoux avec nonchalance.

Tu vois ? Il y aura toujours quelque chose de nouveau et de dramatique pour éclipser la mode précédente. Chacun son heure de gloire.

Une succession sans fin de drama. Oh boy. Je pensais que la minute de mentorat psychologique était terminée, lorsqu’il me retourne la question.  J’ai pas l’habitude qu’on me la pose avec tant de sérieux. D’habitude c’est juste “ salut, ça va ?” plus une salutation qu’une question - à laquelle on répond toujours “bien” d’ailleurs.

Oh, je vais bien, ne t’inquiètes pas. Je vais toujours bien.

Mensonge évidemment - mais un que je vends bien. C’est sans doute pour ça qu’Aslan m’accorde tant sa confiance. Bertram le docile, le doux, le gentil, le studieux, le stable, le sérieux, le terriblement ennuyeux mais aussi terriblement constant. Sa formulation m’arrache un petit sourire. Pourquoi je ne suis pas parti ? Heureusement que mon esprit aiguisé à l’habitude de développer des excuses et des mensonges plus vite qu’on peut dire “ quidditch”. Je me penche légèrement en arrière, un peu embarrassé.

Oh c’est juste que parfois j’aime bien être...un peu seul,tu vois. Ce n’est pas que je n’aime pas la compagnie des autres mais vu qu’on est toujours les uns sur les autres...J’ai parfois besoin d’espace et de solitude pour réfléchir.  

Mon regard s’attarde, rêveur, sur les murs. Ce n’était pas vraiment un mensonge. Parfois c’était le cas, j’avais besoin de respirer en dehors de toute l’animation, me retrouver dans ma bulle, enlever le masque. Mais ici ce n’était pas le cas, j’avais juste besoin de jouer un mauvais tour bien mérité à quelqu’un. J’étais presque sûr que si je lui avait révélé, le blond n’aurait pas réfléchi plus loin que ça. Il n’aurait probablement rien dit. Mais je ne pouvais le risquer. Désolé Aslan. Je lui adresse un sourire sucré :

Tu vois ce que je veux dire, non ?  

Mon regard se pose alors sur Aslan et sa carrure frêle. Une autre stratégie se met en place, celle de la distraction

Hey, si tu aimes tant mes pulls...je crois bien qu’il y en a un trop petit pour moi qui pourrait t’aller. Un bleu foncé avec un hérisson dessus - je n’ai pas le coeur de le jeter mais ça te dirait de le récupérer ?

Je ne suis pas surpris qu’Aslan soit d’accord avec moi. D’abord parce que j’ai raison et je le sais, ensuite, parce qu’il n’a jamais été du genre contrariant. J’allège un peu l’atmosphère avec une remarque sincère.- ou plutôt je me permets de râler :

Ouais ! Et je dis pas comme ça peut être difficile de se trouver un petit coin de calme tout seul, ça fourmille de partout ici.

A croire qu’on aurait bien besoin d’une purge. Mais soit. Je rassure Aslan avec un sourire :

Bien sûr ! Ca me ferait plaisir de le donner à quelqu’un qui saurait l’apprécier….Enfin si tu le veux vraiment, je ne vais pas te forcer non plus.

Non, ce n’était pas mon genre. Tout faire pour le tenter par contre….

Crois-moi tu auras l’air ringard ET adorable. Ca sera parfait. .

Un petit coup de pouce à l’estime ça ne devait pas faire de mal au blondinet. Enfin, c’était sûr qu’il n’allait pas séduire Ruben Damon avec un accoutrement pareil mais au moins ça aurait l’avantage de le rendre invisible pendant quelques instants - du moins de faire en sorte qu’on évite de le regarder. Et c’est presque mignon sa façon de s’ôter de l’équation pour remettre le spotlight sur moi. C’est qu’il est plus perspicace qu’il n’y paraît, quelque part, peut-être inconsciencemment, Aslan avait réalisé mes stratégies de fuite. La façon dont je fais parler les autres en donnant le minimum sur moi. Je prends, j’aide et je donne pas. Je feins la surprise :

Vraiment ?  Ah. Je ne l’avais jamais remarqué. On devrait parler plus souvent alors.

De nouveau un sourire poli se dessine sur mes lèvres. Est-il vraiment inquiet ? Il se pourrait bien. Il a beau être perspicace, l’attrapeur reste naïf. Sa question suivante me fait hausser les sourcils. Quelqu’un dans ma vie ? Avant qu’il ne clarifie son propos. Mon sourire se fige un peu. J’avais des “amis”, des amis qui ne me connaissaient pas vraiment. Des amis à qui je ne donnais presque rien à mon sujet parce que j’avais trop peur. Mais c’était comme ça que ça fonctionnait - ils avaient l’habitude.

Bien sûr ! J’ai Béring et Soleil...on est plutôt proches. Et puis j’ai d’autres amis aussi. Ethan et Beckett, on s’entend bien.  

Je lui donne un petit coup d’épaule.

Mais ne t’en fais pas pour moi.  

Et évidemment….

Tu veux aller qu’on aille se boire un chocolat chaud ? Ca me remonte toujours le moral. Et puis si tu veux on pourra parler. Tu me pourras me dire ce que ça fait de rouler une pelle à Ruben Damon. Il embrasse bien ou c’est genre ….une ventouse ?

Avec le temps et la superposition de sujets triviaux, Aslan s’ouvre un peu, il se met à sourire. C’est comme une vieille ampoule qui s’allume, ça me met un peu de temps avant d’émettre de la lumière. Et voilà qu’il me surprend avec une information que j’ignorais. Il faut dire que Beckett avait une définition pas très conventionnelle de ce qui était important et de ce qui méritait d’être raconté. Et puis...il avait ses secrets.

Oh vraiment ? Ca lui ressemble bien...Et elle tient toujours debout cette cabane ?

En d’autres termes : est-ce qu’elle pouvait toujours servir ? Je voyais mal Aslan bricoleur et Beckett bien que street smart ne m’avait jamais paru vraiment bricoleur non plus. Mais quand il s’agissait de faire des conneries...sa motivation ne connaissait pas de limites. En tout cas ma proposition pour un chocolat chaud est acceuillir avec un certain enthousiasme ( ce qui est rare chez le jeune homme). Un peu de chaleur et de sucré devrait terminer de le remettre sur pieds. Je rassemble mes affaires, méfait accompli en toute impunité et je quitte les vestiaires avec Aslan, qui pour le coup me sert de meilleur alibi du monde. Quelqu’un a trafiqué les douches ? Quelle surprise ? J’étais avec Aslan et on n’a rien vu pourtant ! Hinhinhin.

Il ne fait pas particulièrement beau dehors. Je suis loin d’être un expert en baiser mais ça s’annonce rien de bon. Pas de romance entre Aslan et Ruben donc.

Hm. Dommage du coup. Mais t'as eu un courage de gryffondor. Ca se passera mieux la prochaine fois.

Est-ce que Ruben embrasserait bien ? J’en ai pas la moindre idée mais si je devais deviner je dirai que ça doit être correct. Et Aslan alors ? Ben j’en sais rien du tout non plus vu qu’il nous a surpris avec ce roulage de galoche. Si on m’avait demandé mon avis avant, je pense qu’il aurait juste posé un petit smack timide sur quelqu’un avant de rougir comme une tomate et de s’enfuir. Aslan me tend la main, il a l’air plus détendu. Je lui adresse un sourire.

Je passe par la cuisine et je te rejoins là bas, ça te va ?

Ah ben oui il fallait le chercher ce chocolat chaud. Et sur le chemin jusqu’au château, je me demande ce qui va pas chez moi. Même lorsque j’ai des bonnes intentions, j’ai l’impression d’être incapable de connecter avec quelqu’un. En tout cas vraiment.