[FB] The power of fluffy boys shines within you ► ft. Argus

Septembre 2020, dortoir de Poufsouffle.

Ma troisième semaine passée à Poudlard et, comme à chaque matin, je fixais le plafond en attendant patiemment que se termine la nuit. Ce n'était pas vraiment ma faute, j'avais simplement le sommeil trop léger, les oreilles trop fines. Suffisait qu'un camarade de chambre ronfle un peu pour que j'aie des problèmes à fermer l'oeil. Au moins, me lever aussi tôt avait ses avantages. Je pouvais me faufiler jusqu'à la douche sur la pointe des pieds et profiter de l'eau chaude avant que d'autres élèves n'arrivent. Puis, j'enfilais ma tenue de sorcier et, depuis la rentrée, je devais monter au deuxième étage pour aller à l'infirmerie, pour chercher à boire. Me voilà donc frais sorti de la douche, tout fier devant le miroir embué, portant ma grande cape de sorcier, avec de longues et amples manches, par dessus l'uniforme. C'était si confortable. J'avais l'impression de pouvoir passer la journée emmitouflé dans une chaude couverture, un petit cocon de douceur rassurant.

Avant de quitter le dortoir, je vérifiais simplement que ma baguette était à sa place et... oui. Je tournai donc les talons, satisfait de la quiétude du petit matin. Puis j'avais quitté la salle commune et réalisé, un peu sur le tard, que je ne portais pas ma cravate. Sans doute l'avais-je oublié dans la chambre ! Revenant sur mes pas, c'est le plus silencieusement possible que j'entrai dans la pièce, me dirigeant vers mon lit. Peut-être était-elle tombée en dessous ? Je m'accroupis, posant les mains au sol pour mieux mener mes recherches, en vain. Ne nous laissons pas abattre ! Peut-être était elle dans un de mes livres ? Je détestais la porter alors, en soirée, il m'arrivait de m'en servir comme signet, après l'avoir enlevée.

Ah ! N'était-ce pas justement un bout de tissu noir et jaune qui dépassait de mon livre d'enchantements ? Un à un, je déplaçai mes gros livres de ma table de chevet vers le lit, que j'avais bien sûr fait dès le réveil. Après avoir déplacé trois ou quatre briques, je récupérais enfin l'objet convoité, la passant à mon col avec une certaine réticence. Peut-être qu'ils ne se rendraient compte de rien si je la nouais lassement ? Le résultat ne faisait pas très propre et ça ne me plaisait pas trop, mais c'était quand même mieux que la sensation d'étouffer. Aller, valait mieux me dépêcher d'aller à l'infirmerie si je voulais pouvoir vagabonder dans les couloirs sans croiser une marre d'élèves plus vieux et intimidants. Sans doute trop pressé, je remis les ouvrages sur ma table de chevet, un peu pèle-mêle, et m'apprêtai à partir. Et là, derrière moi, le drame.

PAN ! PATAPAN !!

Je fermai les yeux, enfouissant la tête dans mes épaules, tout mon corps tendu comme la corde d'un arc. Oh non. Ils étaient tombé. L'équilibre était trop précaire, je n'avais pas fait assez attention et le vacarme qui en avait résulté était, à mes oreilles sensibles, un boucan monstre. Figé sur place, je retenais mon souffle avec anticipation, n'osant même pas aller replacer mes livres. Je ne pouvais que répéter, murmurer, un mantra qui ressemblait à une prière.

« Dites moi que j'ai réveillé personne... Dites moi que j'ai réveillé personne... »

Et j’ai réveillé quelqu’un ! Merde ! Euhm, je veux dire… Pas cool ! Je me tournai lentement vers le lit où était l’élève que j’avais dérangé. Argus, je crois. Enfin, je pense. Déglutissant, je restai silencieux, ne sachant pas trop quoi lui répondre. Surtout que bon, sa question n’en était pas vraiment une. Enfin, si, mais elle n’était pas vraiment claire quoi. Bref. Je le vois allonger le bras, attraper quelque chose sur sa table de chevet et je devine qu’il regarde l’heure. Est-ce qu’il va se fâcher ? C’est vrai qu’il est très tôt et je suis bien placé pour savoir que c’pas sympa de se faire réveiller. Enfin, moi je ne me fâche jamais quand ça arrive, mais… Ouais. Bref. Finalement il se contente de s’asseoir et il n’a pas l’air foncièrement énervé. Au lieu de ça, le garçon me demande où je vais, soulignant l’heure au passage. Je ne sais pas trop comment lui répondre, puisque c’est un peu gênant. Je ne suis pas ici depuis longtemps, mais j’ai commencé à comprendre que j’étais un peu tout seul dans ma situation. Que j’étais pas aussi normal que je pensais que je l’étais. Et, maintenant, je dois essayer d’expliquer ça à quelqu’un d’autre, déjà que j’ai du mal à intégrer tout ça moi-même. Nerveux, je passe une main dans mes cheveux. Ma maman faisait ça avant, pour m’encourager à parler ou me taquiner. Un geste affectueux, maternel et plein d’amour. Maintenant qu’elle ne pouvait plus être avec moi, ce qui aurait été bizarre à l’école j’en conviens, je trouvais un peu de réconfort à le faire moi-même.

« Je vais… chercher mon petit-déjeuner. Désolé pour le vacarme. »

Je ne sais pas si ça va suffire. J’ai l’impression que je devrais me justifier plus que ça. Ce serait bien qu’il fasse « ok » et qu’il se recouche, j’avoue. Mais en même temps… Je sais pas, ce serait bien d’avoir un ami. Il n’a pas l’air méchant, même que je l’ai déjà aidé l’autre jour alors peut-être bien qu’il s’en souvient ? Peut-être que ça lui dérangera moins que les autres si je lui dis ? Non, ça m’intimide trop, j’ai trop peur de sa réaction. Mais il ne s’est pas recouché et, maintenant, j’ai l’impression d’être forcé de continuer, de quand même devoir me justifier. Même si ce n’est qu’en partie.

« Je me lève tôt parce que je dois aller au deuxième. Je préfère prendre de l’avance. Désolé encore, de t’avoir réveillé. Je ferai plus attention la prochaine fois. »

Et ne reste pas planté là, Ethan ! Tes livres sont au sol, tu devrais peut-être les ramasser. C’est donc tout tendu que je m’empresse de récupérer les ouvrages et d’en nettoyer sommairement la couverture. Cette fois, c’est de manière très délibérée que je les replace, un à un. Je m’assure que la pile soit solide, qu’ils soient tous placés du même côté et qu’ils soient dans l’ordre. Du plus grand au plus petit. Fier de moi, je me gratifie d’un sourire. Ça devrait aller maintenant !

Au moins il ne semblait pas trop vexé d’avoir été réveillé. C’était un soulagement. On allait devoir passer beaucoup de temps ensemble, vu qu’on partageait la même chambre, et du coup j’avais pas nécessairement envie de me le mettre à dos. Surtout pour une maladresse comme ça. Je devais vraiment apprendre à être plus silencieux. Puis, j’avais bien sûr pris soin de mes livres et, quand mon regard bleu-gris était retourné sur l’autre garçon, j’avais eu une surprise. Argus s’est rapproché, avait continué de me porter attention et, après, il m’avait même demandé si j’avais besoin d’être accompagné à l’infirmerie. Je mentirais si je disais que ça ne me faisait pas plaisir, mais en même temps… T’es pas bien ?

« Ouais, j’pense qu’on peut dire ça. »

Je suis pas bien. Je suis pas comme les autres. C’était pas un problème avant. Ou, plutôt, j’ai jamais su que s’en était un avant. Puis il y a eu le train, où je m’étais assis avec d’autres enfants et que, tout content, je leur avais dit que j’étais à moitié-vampire. Je pensais qu’ils trouveraient ça cool, qu’ils seraient impressionnés, qu’ils auraient tout plein de questions. Mais il y a eu un silence, ils savaient pas trop comment réagir. L’une d’entre elle avait semblé curieuse, c’est vrai. Puis les autres s’étaient exclamés que les vampires ça mordait les gens. Qu’ils étaient dangereux et méchants. Et, finalement, j’ai fait le reste de mon premier trajet dans le Poudlard Express tout seul. Le front contre la vitre, le menton troublé de soubresauts et le regard humide. Alors, quand Argus m’a demandé si j’étais pas bien, c’est avec un sourire amer que j’avais donné ma réponse. Autant dire que je fus surpris de le voir quitter son lit et se préparer à me suivre avant même que je n’ai pu formuler de réponse. Je me résignai donc en le suivant du regard, comme incertain.

« Si tu veux… »

Mais qu’est-ce que… ? Je le regardais enfiler son surpyjama avec des questions plein les yeux. Et il oserait sortir du dortoir avec ça sur le dos ? Woah. Et dire que moi je m’inquiétais pour ma cravate mal nouée. Lui il était carrément à un autre niveau ! J’aurais aimé avoir ce niveau de courage. J’étais si fasciné par l’habit que je m’étais rapproché, passant le bout des doigts contre sa manche avec fascination.

« C’est tellement doux ! »

M’exclamais-je à voix basse. C’est un peu sur le tard que je réalisai que je n’avais pas demandé la permission, de un, et qu’en plus si je ne faisais pas attention, je risquais de réveiller les autres dormeurs. Me mordant l’intérieur de la joue, ce qui bien sûr n’était pas sans son petit lot de douleur, je récupérai ma main, la gêne me rattrapant finalement.

« Désolé… On y va ? Les plus vieux vont bientôt commencer à se lever. »

Il m'explique que c'est du pilou et je m'empresse d'acquiescer. C'est pas que j'en ai jamais vu, simplement j'en ai jamais vraiment eu. Pourquoi ? Je pense que sa prochaine question le souligne bien. J'ai pas froid moi ? Je fais « non » de la tête, levant le bras pour lui montrer la robe de sorcier de l'école, par-dessus mon uniforme.

« Avec ça j'ai pas froid. Puis j'ai rarement froid. »

J'y avais jamais pensé avant, mais du coup je sais pas trop si je suis juste plus résistant ou si, je sais pas, ça me dérange moins. Peut-être que, ça aussi, ça a rapport au truc qui fait que je dois aller à l'infirmerie tous les matins. Ça me rendait curieux, ça me donnait envie de comparer avec lui plein de petits trucs inutiles, comme je l'avais fait au fil des ans avec ma mère. Par exemple, j'avais souvent dit qu'elle était en train de devenir sourde, parce qu'elle entendait moins bien que moi. Ce à quoi elle m'avait répondu que c'était plutôt moi, qui entendait trop bien. Et lui, Argus, est-ce qu'il entendait aussi bien ? Ou est-ce qu'il devenait sourd tout jeune ? Ce serait un peu bizarre à poser, comme question. Là, tout de suite, on parlait des plus vieux. Ils attendront leur... ?

« Euhm... Ouais... T'as raison. »

Ce serait trop compliqué de lui expliquer, surtout que l'on sort du dortoir pour se diriger vers les escaliers et que j'ai pas nécessairement envie que d'autres gens écoutent mes explications. Ceci dit, ce n'est pas une raison pour nous murer dans un silence total. Mon camarade de chambre, qui a au passage l'air vraiment inquiet, me pose des questions pour alimenter la conversation. Ça me fait bizarre de voir quelqu'un d'autre que ma mère s'inquiéter pour moi, mais ça me rassure aussi. Argus a l'air gentil et ça me met en confiance.

« Il y a beaucoup de bruit dans le château, beaucoup de gens aussi. Je suis pas vraiment habitué à tout ça c'est très... différent de la maison. Et pour Poufsouffle... Je crois que j'aurais voulu être un Gryffondor. Comme ça j'aurais pu être courageux et... protéger les gens importants. Ma mère m'a écrit que je devrais être fier, parce qu'il y a des gens bien chez Poufsouffle, mais... ouais. »

En même temps tu demandes à un petit garçon la maison dans laquelle il veut aller, bien sûr que j'aurais préféré Gryffondor. La même maison que ma mère. La maison des gens intrépides et forts, capables de protéger leur maman, assez forts pour qu'on compte sur eux. Ce que je suis encore trop jeune pour comprendre, c'est que c'est précisément à cause de ça que je ne suis pas chez les rouges.

« Et toi ? T'en penses quoi ? Puis tu aurais voulu quelle maison ? Tu connais d'autres gens dans l'école ? »

Ou est-ce que toi aussi tu es tout seul ?

Argus semble lui aussi avoir entendu parler de la réputation des Gryffondors et ça me soulage. Il sait ce que je veux dire, j’ai pas dit n’importe quoi ! En même temps je ne vois pas trop pourquoi j’aurais pu dire n’importe quoi… Mais j’ai tellement envie de me faire un ami. De dire les bonnes choses. Espérons que j’arrive à maintenir ce sans faute. Même que lui aussi trouve qu’il y a trop de monde ! Ça me fait esquisser un sourire un peu rassuré. À la prochaine réponse, toutefois, j’avoue éprouver un étrange mélange d’admiration et de jalousie. Pas beaucoup de monde ? Mais il a trois cousins ! Mon regard s’illumine, à la fois impressionné et un peu envieux. Je me demande ce que ça doit faire, connaître des gens plus vieux qui sont de ta famille, mais qui ne sont pas tes parents. Surtout qu’ils sont dans d’autres maisons, ça me rend curieux ça. Comment sont les autres salles communes ? Les gens sont-ils vraiment si différents que ça dans les autres maisons ?

Je suis tellement loin dans mes réflexions que je suis surpris, lorsqu’il reprend la parole pour me parler de ses impressions au sujet du choix des maisons. Héréditaire hein ? Ça me rend curieux, même si je suis sceptique d’emblée. Ses exemples me donnent d’ailleurs raison puisque sa mère n’a même pas fréquenté l’école et que son père était chez Serdaigle alors qu’Argus, lui, est chez les blaireaux. Et moi bah, on le sait déjà. Quant à son rire pas très naturel, je ne dis rien, ne sachant pas trop comment l’interpréter. J’ai pas envie de dire n’importe quoi, j’ai pas envie de perdre mon opportunité de me faire un ami. Est-ce que je connais des gens ? Mmh…

« Je pense pas ? »

Est-ce que j’ai des cousins ou des cousines qui sont à Poudlard ? Du côté de mon père c’est mort, sans doute plus littéralement que ce à quoi j’ai envie de penser. Du côté de ma mère je n’en ai strictement aucune idée. Je sais même pas si j’en ai, des cousins. Je sais que j’ai des oncles et des tantes parce que maman en a déjà parlé, mais je ne les ai jamais rencontrés. Tout comme je n’ai jamais rencontré mes grands-parents.

« Par contre ma mère était à Poudlard aussi. C’était une Gryffondor alors, pour ton histoire d’hérédité je sais pas trop. Et mon père bah, c’était pas un sorcier donc je suppose qu’on ne le saura jamais. »

J’aurais pu juste laisser ça là. Lui laisser croire que mon père était un moldu ou un cracmol ou quoi que ce soit du genre. Mais en même temps… j’étais curieux. Je me demandais comment Argus réagirait. Puis je serais bien forcé de lui dire. Nous approchions du deuxième étage et, quand il me verrait en ressortir avec une belle grosse poche de sang, ce serait un peu tard pour trouver une parade. Je déglutis et, du coin de l’œil, me prépare à observer sa réaction. S’il-te-plait prend pas la fuite, s’il-te-plait me trouve pas bizarre.

« Mon père c’était un vampire. »

Je retiens mon souffle, j’attends sa réaction. Est-ce qu’il va faire comme les gens du train ? Est-ce qu’il va décider de retourner au dortoir et me laisser faire le reste du chemin tout seul ? Ses yeux se sont agrandis, il a l’air surprit, mais il n’a pas l’air d’avoir peur pour autant. Au lieu de ça, il me demande si c’est la raison pour laquelle je dois aller rencontrer l’infirmier le matin, ce à quoi j’acquiesce. Une « condition spéciale », c’est une façon de le dire.

« Je ne peux pas manger les mêmes choses. Et j’ai souvent mal à la tête. Je crois que c’est parce que j’ai les oreilles plus sensibles que les autres, et le nez aussi. »

Y aurait-il un peu de fierté dans ma façon de partager ces dernières informations ? Allons, n’importe quel petit garçon qui est capable de faire quelque chose mieux que les autres en serait fier, forcément. Toujours est-il qu’Argus me demande si c’est à cause de ma mère que je suis sorcier, ce à quoi j’opine. C’est elle la sorcière dans la famille, c’est d’elle que ça me vient. Quant à cette histoire d’hybride, ça me fait froncer les sourcils et réfléchir un moment. Je me sens mal, parce qu’au fond je ne sais pas du tout.

« Je pense pas ? D’habitude on m’appelle juste Ethan alors… je sais pas si je devrais mal le prendre ? »

Ethan l’hybride. Ethan le semi-vampire. L’un comme l’autre c’est juste bizarre, ça ne m’évoque rien. Je ne pense pas que je vais le prendre mal, parce qu’on m’a jamais apprit à m’offenser de ce que je suis. Peut-être que si ça m’était dit méchamment je serais pas content ? Là ça va, surtout qu’Argus a l’air aussi confus que moi à ce sujet. Sans compter qu’on n’a pas nécessairement le temps, ou la maturité, de se lancer dans une réflexion complexe sur les appellations politiquement correctes et sur ce qui devrait me blesser ou pas : nous sommes devant la porte de l’infirmerie.

« Ça devrait pas être long. »

J’hésite à lui dire qu’il peut quand même partir s’il veut, parce qu’au fond j’ai envie de continuer à lui parler un peu. Alors je me dépêche, j’allonge le cou pour voir où se cache l’infirmier et je sautillerais presque sur place pour lui demander de se dépêcher. Je jette parfois même des regards vers la porte par-dessus mon épaule, comme si je pouvais voir au travers de la porte pour savoir si Argus m’attends ou pas. Dès que le professionnel de la santé me donne ce que je suis venu chercher, je le remercie et me dirige vers la sortie au pas de course, en ouvrant le petit embout de la poche. D’habitude j’attends d’être seul, et caché, pour boire, mais là j’ai soif et Argus ne me trouve pas bizarre et il est encore tôt. Il ne devrait pas y avoir trop de monde dans le couloir, pour me dévisager avec de grands yeux. Je suis même tout content, lorsque je retrouve finalement Argus. Ce qui ne m’empêche pas d’y aller de mon petit commentaire, avec le sourire, comme si l’autre garçon allait comprendre ou, mieux encore, me partager ses propres préférences « culinaires ».

« Pas de chance, aujourd’hui c’est porc… Je préfère le cheval. Tu veux goûter ? »

Plutôt cool. Je me le répète en boucle, tout content. Il me trouve cool. Il me trouve cool ! Évidemment que j’ai hâte d’aller le retrouver en sortant de l’infirmerie et que, dans mon enthousiasme du moment, j’ose même lui proposer de goûter mon petit déjeuner. Je mentirais en disant que je ne suis pas un peu déçu qu’il me dise non si vite. Enfin, ma mère non plus n’en boit pas donc… peut-être que c’est vraiment moi qui suis bizarre. Il n’aime même pas la viande saignante. Mais…! Mmh. Bon je peux pas non plus le forcer à aimer ce qu’il n’aime pas. J’étais juste tellement content à l’idée de peut-être pouvoir partager tout ça avec quelqu’un qui me trouve plutôt cool.

Et là, la proposition. Aller à la Grande Salle. J’hésite. Pire, je fige pratiquement sur place. J’y suis entré une fois, le soir de notre arrivée à Poudlard, pour la cérémonie de répartition. Depuis j’ai toujours évité d’y mettre les pieds parce que, déjà, j’ai pas besoin d’y aller et parce que la première fois a été assez désagréable comme ça. Les gens qui parlent super fort, les odeurs qui se mêlent et qui agressent, l’incapacité à tout à fait se mêler aux autres gens qui sont bien heureux des victuailles qui se trouvent devant eux. Et toi, tu manges pas ? Si tu veux un truc plus loin sur la table tu peux demander on va te le passer. T’as pas faim ? J’ai vraiment pas envie d’y retourner. Sans doute Argus a-t-il vu mon hésitation parce qu’il se reprend soudainement, me demande si j’ai le droit de boire ça en bas. Je sais même pas tiens. Mais je me doute des réactions que ça pourrait entraîner. Je vais devoir trouver une parade.

« Oh c’est pas grave, t’inquiète pas. »

Je prends une bonne grande gorgée, pour la route, et je referme tant bien que mal le petit embout avant de glisser la poche dans, bah, l’une des grandes poches de ma robe de sorcier. Elles sont immenses alors ça rentre bien.

« Ni vu ni connu. On y va ? »

Je force un sourire pour masquer ma nervosité et me dirige vers les escaliers, direction la Grande Salle. J’espère qu’il a raison. J’espère qu’on arrivera avant tout le monde et que, comme ça, l’épreuve que j’aurai à traverser sera moins grande. Puis au moins je n’y vais pas tout seul, j’ai Argus avec moi et la Grande Salle n’a pas du tout l’air de lui faire peur à lui. J’ai peut-être des sens aiguisés, mais lui me semble plus courageux et, ça aussi, c’est plutôt cool. J’aimerais être capable d’aller dans la grande salle et de porter du pilou, moi aussi. Et peut-être même que je pourrais essayer de manger ce que lui mange. Maintenant ça m’intrigue.

« Du coup tu manges quoi le matin ? Et tu sais s’il va y avoir du black pudding ? Et le reste du temps, quand c’est pas le matin, tu manges quoi ? »

Selon Argus, mon expert attitré sur ce qui se mange dans la grande salle, il va y avoir toutes sortes de choses. Comme ça il préfère les céréales ? Je vois. Faut que je m’en rappelle. Il évoque aussi la viande et les légumes et je suis un peu confus. Je pensais que les autres gens ne mangeaient pas de viande le matin ? En tout cas ma mère elle dit qu’elle n’aime pas manger de steak pour le petit déjeuner. Est-ce qu’Argus est différent ? Je ne sais pas trop et je n’ose pas non plus lui poser la question. Puis il a déjà dit qu’il n’aime pas le steak, non ? Même si j’avais osé lui demander directement, mon camarade de dortoir s’arrête net pour se tourner vers moi et me présenter ses propres interrogations. Je ne viens jamais aux heures de repas ? Je baisse la tête, l’air coupable et gêné avant de faire lentement « non » de la tête.

« J’y suis pas vraiment retourné depuis… le soir de la répartition. Ça met les gens inconfortables de voir que je mange pas et de toute façon… j’ai pas vraiment d’amis alors. »

J’hausse les épaules. À quoi ça me sert de venir déranger les gens dans la grande salle durant les repas ? Rien à part me filer des maux de tête et me donner envie d’aller me cacher quelque part où il y a moins de bruit. Par chance, à cette heure-ci, l’endroit est pratiquement vide. Mon regard passe d’une grande table à une autre et, durant un instant, j’hésite. C’était laquelle déjà ? Heureusement, Argus sait où il s’en va et s’empresse de nous choisir une place. Pendant que je découvre avec curiosité la nourriture qui jonche la table et que je reconnais des trucs que ma mère aime manger, l’adepte du pilou se sert un bol de céréales. Il commence à manger et je détourne le regard, les épaules tendues et les dents serrées. Je déteste les bruits de mastication, y’a rien de plus désagréable, mais en même temps pour une fois que j’ai quelqu’un à qui parler… Je dois faire un effort. Heureusement l’autre jaune me change les idées avec de nouvelles questions. Une gourde ?

« Je sais pas ? J’ai jamais demandé. Faut dire que j’y ai jamais pensé. »

J’ai l’habitude de simplement en verser dans un verre et puis c’est tout. En même temps quand c’était juste moi et ma mère je dérangeais personne. Elle a l’habitude alors bon, pourquoi me compliquer la vie ? Ici tout est tellement différent. Est-ce mon seul repas ?

« Ouais, c’est toujours ce que je prends, sinon j’ai trop soif. Et j’ai déjà essayé de boire autre chose, mais… ça marche pas. Je pourrais boire trois litres d’eau et j’aurais encore soif après. »

Je dis ça avec le sourire, de manière détachée. J’espère qu’il ne trouvera pas ça trop bizarre. Je me demande ce qu’Argus, lui, aime boire quand il a soif.