[FINIT] Beautiful Mask - Ethan

Évidemment, je suis toujours tendu. Toujours silencieux. Je résiste à l’envie de jeter des regards par-dessus mon épaule toutes les deux minutes simplement parce que je sais que je vais les entendre arriver de loin. Et je n’ai toujours pas rangé ma baguette, bien que mes yeux, eux, soient revenus à la normale. Je ne serai tranquille que lorsque la Serdaigle sera en sécurité, dans son dortoir. Malheureusement, ça me fait aussi négliger l’état émotionnel et psychologique de Dorothy. Je ne m'en rends compte que lorsqu’elle s’arrête de marcher et que je lui décoche un air impatient malgré moi. Je suis encore sur les nerfs, ça ne me réussi pas du tout. C’est tardivement que je réalise tout ça, lorsque la demoiselle me demande si je suis fâché contre elle. Est-ce que je le suis ? Mais non voyons, c’est juste… J’essaie de me détendre, de chercher une réponse appropriée, mais la rose a besoin de se vider le cœur.

C’est de sa faute, elle a déconné à tous les niveaux. Je peux pas en juger, j’étais pas là, mais la suite parle d’elle-même. Dorothy admet avoir voulu que ça tourne mal. L’instinct d’autodestruction, n’est-ce pas ? L’impulsion qui incite à tout foutre en l’air. Cette petite voix qui donne envie de frapper des gens sans raisons, de volontairement se planter dans un examen. L’appel du vide. Sauf que je n’aurais pas dû être impliqué. Ni moi, ni Jules. Pas selon ses mots en tout cas. Il y a quelque chose que tu n’as pas compris, Dorothy. Quelque chose de fondamental, d’important comme tout.

« Mais à quoi t’as pensé ? Tu peux pas prendre des risques stupides comme ça, surtout que Payne est dangereux ! Tu voulais pas impliquer d’autres gens ? C’est trop tard pour ça, Dorothy. Tu as des amis, maintenant. Que tu le veuilles ou pas, on sera toujours impliqués ! Quoi qu’il t’arrive, peu importe la blessure ou la chute, on le sentira passer comme si c’était nous, voir pire. Parce que c’est comme ça que ça marche, l’amitié. Comment t’as pu croire que ça n’impliquerait personne d’autre ?! T’étais toute seule avec lui dans les cachots, qui sait ce qu’il aurait pu te faire si j’étais pas arrivé ! Comment tu peux croire une seule seconde que ça nous aurait rien fait ?! »

J’ai haussé le ton. Pas assez pour crier, non, mais assez pour donner l’impression que je suis en train de lui faire un sermon et que je m’apprête à lui confisquer son pineapple. Je m’en rends compte parce qu’il y a des passants, plus loin, qui nous jettent des regards curieux. On n’a pas besoin que ça se retrouve dans le stupeshit en plus de ça. Puis ce n’est pas juste de ma part, Dorothy a dû avoir très peur elle aussi. Si je suis intervenu c’est pour la protéger, pas pour lui causer encore plus de tort. Je baisse donc les yeux, honteux de m’être emporté comme ça. C’est pas une façon de parler à une amie.

« Je suis désolé aussi, je devrais pas m’emporter contre toi. Je veux juste que tu comprennes. »

J’ai été dur avec elle, je le sais bien. Elle ne méritait pas ça, mais en même temps elle devait l’entendre. Si c’est pas moi qui le lui dit maintenant, qui sait quand sera la prochaine occasion ? Qui sait si quelqu’un d’autre le lui dira un jour ? J’avais pas le choix et, j’essaie de m’en convaincre, c’est pour la bonne cause. Même si je la vois se recroqueviller, même si j’ai l’impression de faire plus de mal que de bien. Même si elle continue de demander pardon comme une petite fille qui a peur qu’on l’abandonne parce qu’elle s’est plantée. Dorothy me demande si c’est vrai, si on ne va pas, justement, l’abandonner. Encore et toujours ce fichu mot. Comme tous les autres ? Comme l’a dit Payne ?

« Dorothy… »

Bien sûr, ça m’attriste de la voir comme ça. La Serdaigle ne mérite pas d’être persécutée. Personne ne mérite ce genre de traitement, quand on y pense un peu. Mais la rousse dit avoir déconné, estime que les mots de Payne sont justes. Hystérique, instable, un nid à problèmes. Je crois surtout qu’elle a subit son intimidation trop longtemps et que ça l’empêche d’avoir une bonne estime personnelle. Ça n’en demeure pas moins un problème, surtout si ça l’affecte à ce point. Si s’en est à lui faire croire qu’il a raison et qu’elle mérite son châtiment ou que sais-je encore. Cependant, Dorothy ne veut pas nous perdre. Je mentirais si je disais que ça ne me touchait pas. Tu ne le réalises peut-être pas, Dorothy, parce que j’ai pas été tout à fait honnête, parce que je t’ai pas parlé de mes démons à moi, mais je comprends. Moi-même je suis étonné. Je ne pensais jamais qu’un jour des gens auraient peur de me perdre, moi aussi. À part ma mère, je pensais pas que c’était possible. Et on dirait que j’ai eu tort. Toi aussi, un jour, il y aura quelqu’un devant toi. Quelqu’un qui sera au bord des larmes parce qu’il a peur de te perdre, parce que tu comptes pour cette personne. Et tu comprendras que ça valait la peine de ne pas baisser les bras.

Depuis son harcèlement ? Tss. De pire en pire celui-là. Je suis désolé Gus, mais à un moment ou à un autre il faudra bien que quelqu’un règle les comptes. Que Payne soit remis à sa place et qu’il arrête de s’en prendre à tout ce qui bouge. Mais pas tout de suite. Là, je dois encore prendre soin de Dorothy. Elle n’en a pas fini de s’excuser, d’accepter le blâme, de s’excuser encore. Je suis bien d’accord, elle n’aurait pas dû faire ça, mais ça ne sert à rien de culpabiliser autant à présent. Alors, parce que je sais pas trop quoi lui dire sans passer par un long monologue plat et foutrement cheesy je fais the next best thing.

« Ça va aller, Dorothy. C’est fini maintenant. Viens là. »

Doucement, parce que je ne veux pas la brusquer, je serre la rousse dans mes bras. Malgré ses talons qui la grandissent, je prends conscience de sa fragilité. D’à quel point elle est petite, délicate. Je ne veux même pas imaginer ce que ça aurait donné, si Payne avait eu l’occasion de la frapper. Ne pense pas à ça, Ethan. Ce n’est pas le moment d’y penser. Dans l’immédiat, vaut mieux simplement lui caresser le dos, l’aider à se calmer.

« Il n’est jamais trop tard pour essayer de devenir quelqu’un de bien, tu te souviens ? Et si tu te sens vraiment instable, on ira t’aider à trouver de l’aide. Enfin, je peux parler que pour moi, mais j’suis à peu près sûr que Gus voudra donner un coup de main aussi. D’accord ? »

Je prends un peu de recul. Je veux croiser son regard, lui offrir un sourire rassurant. Ça va aller. C’est fini maintenant. Je suis là et il ne t’arrivera rien.

« Juste, la prochaine fois, évite de suivre les gens dans des sous-sols sombres, tu veux bien ? Et si Payne refait des siennes, tu me fais signe. Je serai là pour t’aider, d’accord ? Je ne le laisserai pas te prendre quoi que ce soit, Dorothy. »

Pas tant que je peux l’en empêcher. Est-ce que j'en fais trop ? Probablement. Est-ce que je vais réussir à tenir cette promesse ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est qu'elle mérite qu'on lui dise ces mots. Quoi qu'il arrive, Dorothy mérite cette lueur d'espoir. Elle mérite de savoir que des gens se soucient d'elle si ça peut l'aider à trouver la force suffisante pour mieux s'aider elle-même. Je dois au moins faire ça pour elle.

Elle semble légèrement soulagée. C’est un début, un bon début. Lorsque je mentionne Gus, elle me demande si je le pense vraiment, ce à quoi j’acquiesce. Je peux pas parler pour lui, j’en ai aucune idée en vrai, mais je sais le genre d’ami qu’il est. J’en sais juste assez pour pouvoir affirmer que c’est plus probable qu’il veuille l’aider que l’inverse. Et puis… Plus de sous-sols, promis maman. Elle pouffe de rire et je l’imite, aussi amusé que découragé, parce que ça fait quand même du bien de se détendre un peu. Même si du coup ils sont deux à m’appeler maman. À moi la dure vie de mère monoparentale.

Maintenant qu’elle s’est calmée, la Serdaigle entreprend de s’expliquer, encore. C’est qu’elle parle encore plus que moi, quand elle s’y met, mais ce n’est pas grave. Enfin, ça aurait été mieux dans un endroit plus discret, mais c’est trop tard. Elle déballe tout et je ne peux que l’écouter attentivement. C’est comme ça que j’apprends que tout cela remonte à il y a bien plus longtemps que je n’aurais pu l’imaginer. Quatre ans ? Mais… Elle n’avait que 13 ans quand c’est arrivé ?! Mon air se fait plus grave. J’arrive pas à y croire, même si au fond je sais que c’est trop vraisemblable, que c’est trop possible. C’est même pas une question de douter de son récit c’est juste… J’aimerais que ce genre de chose ne puisse pas se produire, surtout pas si jeune. Et comme ça le harcèlement de Payne remontait à si loin que ça ? Tss. Elle admets avoir tout fait pour le provoquer, mais quelque part… Enfin. J’ai des idées, des théories, mais je ne suis pas psychomage. Et ouais, elle a raison pour le passif avec Argus, même si du coup elle risque de mal le prendre. Au moins la fin est plus encourageante. Elle devrait l’oublier, oui, même si ça risque de ne pas être facile maintenant qu’il est provoqué. Si lui et Gus étaient proches ?

« C’est son ex. C’est bien la seule raison pour laquelle j’ai pas… bref. »

Pour laquelle j’ai résisté à l’envie de lui faire perdre une dent ou deux. Mais c’est pas ça l’important, c’est pas ça qui me tourne en tête. Je respire profondément. Allez, c’est le moment d’être digne de mon statut de maman et de faire mon boulot, n’est-ce pas ? Alors je pose doucement mes mains sur ses épaules, je laisse mon regard trouver le sien et le soutenir.

« Dorothy, écoutes moi bien d’accord ? On n’en a rien à faire de Payne ou même de sa relation passée avec Gus. Là, on doit parler de toi. C’est de ça que tu parlais ? Les prétendues erreurs de ton passé, ce que t’as peur qu’on découvre et que ça change l’avis des gens sur toi ? C’était ces rumeurs ? Ce harcèlement ? Tu réalises à quel point c’est… malsain et tordu ? Tu avais 13 ans, Dorothy. Tu étais une enfant, une victime d’harcèlement et d’intimidation. T’as absolument rien fait de mal, t’as pas fait d’erreurs. T’étais une enfant, for fuck’s sake. Si y’a des gens qui devraient avoir peur que l’on découvre leur passé et qu’on les considère comme des monstres, c’est eux. C’est pas toi, Dorothy. T’as été la victime de ces monstres, mais ça te rend pas comme eux. »

Dorothy ne comprend pas ce que je veux dire. Faire comme si c’était de ta faute, comme si c’était tes erreurs à toi alors que t’as absolument rien demandé, c’est ça qui est tordu. Croire que c’est ce que t’es parce que des gens ont dit que c’est ce que t’étais, ça fait pas de sens du tout. Pourquoi est-ce que des gens fuiraient parce que, il y a quelques années, d’autres se sont amusés à répandre de fausses rumeurs ? C’est totalement stupide. N’importe qui avec plus de trois neurones fonctionnels serait en mesure de faire la différence, de savoir que c’était que ça, des histoires. C’est en train de me frustrer au point que je sais plus trop si je suis calme là. C’est un réflexe normal. Les gens se protègent. Mais de quoi ??! Respire, Ethan, sinon tu vas encore t’emporter et personne n’a besoin de ça là tout de suite.

Peut-être que c’est moi qui ne comprends pas son trauma, qui n’arrive pas à me mettre à sa place. Je trouve ça simplement con, qu’elle agisse comme si c’était si gros, comme si elle nous imposait à nous, ses amis, une épreuve. C’est sûr que si elle va provoquer des Gryffondors tous les week-ends ça va finir par devenir barbant, mais là c’est pas vraiment ce dont il est question, du moins je ne pense pas. Honteuse et pas très fière d’avoir été victime d’autres étudiants ? Encore plus révoltant. C’est dont comme ça que sont traitées les victimes de harcèlement dans cette école ? J’aurais osé croire que les choses allaient mieux que ça ici. Au moins la dernière partie je peux plus facilement la comprendre. M’imposer aux gens ce n’est pas non plus quelque chose que j’ai envie de faire. Demander à mes camarades de m’accepter tel que je suis, c’est demander beaucoup. C’est trop demander. La différence, c’est que Dorothy veut réellement nous faire confiance. Elle veut juste sa place, quitte à ce qu’elle soit petite et pas très confortable.

« Maintenant que t’as promis d’éviter les sous-sols ça devrait être vivable. Allons-y, c’est un peu tard, mais les couloirs ont des oreilles. Et je parie que tu meurs d’envie d’enlever ces souliers. Comment tu fais pour marcher avec ça ? »

Peut-être aurais-je dû y aller d’un autre discours à rallonge, d’autres belles paroles, mais je crois que je viens de toucher le fond de mes réserves d’énergie sociale. Entre le speed-dating, l’incident des cachots et cette séance de thérapie au détour d’un couloir anonyme, je pense que mes batteries de pauvre gars introverti auront besoin de quelques jours pour se recharger. Enfin, mon boulot n’est pas terminé tant que Dorothy n’est pas bien au chaud dans son dortoir. J’y tiens.

Les suicidaires qui s’en prennent à ses potes gratos ? Bras croisés, j’aurais bien aimé prendre un air mécontent, mais la vérité c’est que j’esquisse un sourire amusé, peut-être même un peu fier.

« Avec une attitude comme celle-là tu seras bientôt membre honoraire des Poufsouffles. »

Parce que la loyauté, y’a que ça de vrai. Protéger ses proches, prendre soin d’eux et passer du bon temps en bonne compagnie, n’est-ce pas la meilleure façon de vivre ? Si c’est pas la meilleure, ça doit pas en être loin en tout cas. Ce après quoi était venue la discussion sur les talons. Je peinais à comprendre pourquoi les filles s’imposaient cela, mais il faut aussi dire que vu ma taille il n’y avait que peu de gens pour me faire me sentir petit. Dans mon entourage en tout cas. Ceci dit, je veux bien la croire lorsqu’elle me dit qu’il faut être badass et indestructible pour porter ces choses.

« Effectivement. »

Respect aux demoiselles. Quoi que le reste des explications ne tarde pas non plus à arriver et que, soudainement, ça fait un peu plus de sens. Une potion anti-ampoules, je vois. La Serdaigle me dit toutefois que ça casserait le mythe, si ça venait à se savoir, et qu’il faut donc que ça reste entre nous. Au moins, si elle plaisante de manière aussi légère, c’est sans doute que Dorothy n’est plus bouleversée, que ce soit par les événements récents ou par notre conversation. Autant essayer de suivre la blague pour ne pas inverser la tendance.

« Ton secret sera bien gardé, pas d’inquiétudes. »

Ce après quoi nous nous mettons finalement en route, direction le dortoir des Serdaigles. Même si je n'oserais pas le reconnaître à haute voix, je commence à avoir hâte qu’elle y soit et que, de mon côté, je puisse retourner à mon terrier, dans les sous-sols de l’école, pour me couper du reste du monde pendant au moins trois semaines. D’accord j’exagère, mais pas tant que ça. Ceci dit, la rouquine fait une erreur de débutante : elle me remercie pour le sauvetage. Ça a l’air anodin, vraiment. La pauvre.

« Ne me remercie pas, tu as surtout eu une chance inouïe que j’arrive à te retrouver à temps. Ça aurait pu être beaucoup plus dramatique autrement et on ne serait certainement pas en train d’en rire. Et puis— Hmpf. Tu trouves que j’agis trop comme une mère rabat-joie toi ? »

Si Gus avait été là, je me demande si j'aurais eu droit à un autre oui maman accompagné d'un profond soupir de désespoir typiquement adolescent.