“La peinture est une poésie muette et la poésie une peinture parlante.”
feat Syka
Il t’est impossible d’oublier l’accident qui a coûté la vie à tes parents. Tous les jours, il se rappelle à toi, inlassablement. Il te hante, te poursuit. Et malheureusement, il y a des jours avec et des jours sans. Parfois, tu peux être presque normal, profiter de la journée et du soleil, ne pas être de trop mauvaise humeur et peindre de jolies choses positives – des animaux, la nature, de belles personnes, il faudrait d’ailleurs que tu prennes ton courage à deux mains et trouves un modèle humain qui accepterait de se voir immortaliser sur un tableau.
Mais il y a des journées et tu as vraiment le moral dans les chaussettes. Où tu as l’impression d’être poursuivi même en pleine journée par l’ombre démoniaque de tes parents qui ne te veulent pas de bien. Toi-même tu t’effaces alors, comme devenu invisible. Comme si le noir qu’ils projetaient sur toi te faisait disparaître. Dans ces moments-là, tu préfères ne parler à personne. Tu n’es pas attentif au cours, n’y participes pas. Tu étouffes.
Et ton corps se rappelle du choc comme si tu venais de le subir à nouveau. Comme si votre engin maléfique percutait encore un autre. Ça se manifeste particulièrement dans ta jambe, celle qu’on n’a pas pu guérir, celle qui sera blessée et mal en point jusqu’à la fin de tes jours.
Et parfois, c’est très brutal.
Comme ce soir. Où tu ne t’y attends pas.
Tu te balades dans les couloirs, il fait sombre. Tu as hâte de retrouver ton dortoir pour t’allonger un peu. Tu es conscient que tes cauchemars ne vont pas te laisser de repos, mais tu tiens à fermer les yeux quelques minutes avant d’aller peindre pour te changer l’esprit. Tu vas être crevé demain, c’est sûr.
Mais comment peux-tu faire pour te sortir de ce guêpier ? Pour réapprendre à vivre normalement ?
Soudain, tu chancelles. La douleur se fait vive, extrêmement vive. Un cri étranglé se bloque dans ta bouche, ne sachant s’il doit y rester ou en sortir. Tu manques de tomber, ta canne ne t’est pas très utile cette fois. Tu la lâches. Tu te rattrapes au mur, face à lui, les deux mains posées dessus. Ton cœur bat beaucoup trop vite. Tu halètes, tes paumes sont moites. Tu ne peux pas rester debout.
Heureusement, tu penses le couloir vide.
Lentement, tu te retournes, en équilibre précaire sur une jambe. Tu appuies ton dos contre la surface froide et t’y glisses lentement. Tes fesses atteignent le sol avec soulagement et tu soupires. Tu n’arrives pas à tendre ton foutu membre récalcitrant, alors tu le laisses dans une position bizarre sur le côté. Et essaies de ne plus y penser alors qu’il menace de s’arracher.
My only goal in life right now is to be genuinely happy
Tu n'arrives pas à t'endormir, comme d'habitude. En temps normal, tu serais allé rejoindre Jason dans son propre dortoir, mais tu décides simplement de te lever et de te promener dans le château tout en évitant les préfets, évidemment. Chose peu aisée pour toi, puisque tu n'es pas très discret. Tu en fais pourtant à ta tête, vêtu de ton pyjama une pièce bleu et blanc. De toute beauté, vraiment. Tu te fiches des apparences, Syka et ça fait ton charme. Les cheveux en pétard de t'être tourné et retourné dans ton lit, tu prends la direction de la porte le plus silencieusement possible. Tu ne voudrais pas réveiller l'un de tes compagnons de chambrée. Une fois dans les couloirs, tu souris. Tu mets plusieurs minutes avant de sortir pour grimper l'escalier menant au rez-de-chaussée. Un coup d'oeil à droite et à gauche pour ne repérer personne et tu avances. Tu ne sais pas trop où tu vas comme ça, mais l'envie te prend de monter encore et encore. Et encore. Jusqu'au troisième étage. Le tout sans te faire pincer par un préfet ou un professeur, précisons-le.
C'est un cri étranglé qui te glace le sang et figes sur place. Qu'est-ce que c'était? Ton rythme cardiaque s'accélère à une vitesse fulgurante. Tu as peur. En plus, il fait sombre, tu n'aimes pas ça. Et si c'était un vilain fantôme? Ou pire, un monstre? Tu déglutis et tu avances lentement, les membres tremblants. Tu n'entends plus rien, puis au détour du couloir, le bruit caractéristique de quelqu'un qui se laisse choir au sol se faire entendre. La nervosité s'empare un peu plus de toi et tu hésites longuement avant de tourner le coin. Qui sait ce qui se trouve après cet embranchement? Une fois de plus, tu déglutis et tu prends ton courage à deux mains. Tu t'avances et...
C'est un élève qui jonche le sol avec sa jambe dans une drôle de position. Tu te fais la réflexion que ce ne doit pas être confortable avant de t'avancer doucement vers lui. Il semble avoir mal, mais tu distingues mal son expression.
- Est-ce que ça va?
Tu n'oses pas trop faire quoi que ce soit, mais en regardant de nouveau sa jambe, tu grimaces et tu te dis que tu ne peux pas laisser ça comme ça. Peut-être n'arrive-t-il simplement pas à l'étendre? Tu t'approches encore et poses doucement tes mains sur ladite jambe.
- Je vais t'aider à l'allonger, parce que ça doit faire mal.
Avec précaution, tu déplaces sa jambe jusqu'à l'allonger complètement au sol.
- C'est mieux?
Tu lui souris gentiment et tu t'assieds en face de lui.
- Tu sais que tu m'as fait une de ces peurs?
Tu rigoles doucement, posant ta main sur ta bouche pour en couper le son le plus possible afin qu'on ne puisse pas trop t'entendre rigoler.
“La peinture est une poésie muette et la poésie une peinture parlante.”
feat Syka
Les minutes défilent et toi tu attends que ça passe. Que pourrais-tu faire d’autre après tout ? Tu n’es pas en état de te remettre debout et à ce stade, ce n’est plus d’une canne dont tu auras besoin mais bien de ridicules béquilles.
Pourvu qu’un professeur ne te trouve pas ici dans cet état pitoyable. Il ne s’attendrirait pas longtemps de ton problème physique que déjà tu recevrais des points en moins et une retenue pour t’être trouvé dehors à une heure peu décente.
Tu fermes les yeux, juste un instant. Tu sens comme des battements de cœur dans ta jambe, ce n’est pas agréable, c’est stressant et ça fait mal. Combien de temps encore ce cirque infernal va-t-il durer ? Tu regrettes un peu d’avoir quitté ta chambre, du coup, même si tu es conscient que tu n’aurais pas pu faire autrement ce soir encore. Quel quotidien de merde.
Plongé dans tes pensées, tu n’entends pas une personne qui s’avance dans le couloir, qui se dirige droit vers toi. Heureusement, car ça recule la panique que bientôt tu ressentiras de quelques secondes, et ça t’empêchera de tenter de t’enfuir et de te faire du mal inutilement.
Mais sa voix, elle, tu l’entends très distinctement. Et tes yeux clos se rouvrent brusquement, cherchent tout autour fugacement avant de tomber sur un visage, pas si loin du tien. Comment aurais-tu pu le louper, en même temps ? Un faciès aussi mignon, aussi inquiet ? Tu es décontenancé. On ne dirait pas un enseignant en colère de t’avoir trouvé là. Oh, ça ne serait pas impossible, seulement… tu te doutes qu’il y a bien plus de chances que cette personne soit un élève. Le soulagement te fait soupirer. Une tension s’enlève de tes épaules.
Sauf quand il touche à ta jambe. Il a beau être précautionneux, ça n’est pas du tout agréable, et ce qu’il te fait t’arrache une grimace et un léger, très léger couinement de douleur. Toi, tu attrapes les cachets que tu as avec toi tout le temps pour tenter d’endiguer la souffrance et tu n’attends plus, tu les avales. Tu en as pris deux au lieu d’un, tant pis, ça ne te tuera pas. Peut-être même que ça sera plus efficace, qui sait ?
« Je… merci. »
Tu ne lui précises pas que pour le moment, son action n’a rien changé du tout. Tu ne lui dis pas non plus que si tu as si mal, ce n’est pas parce que tu es tombé, mais que c’est une douleur qui ne disparaîtra jamais totalement. Il a bien l’air d’être gentil, ce garçon, mais tu n’as pas à lui dire toutes ces choses personnelles qui te rendent pathétiques et inintéressant.
Il faudra bien à un moment que tu te relèves. Tu espère qu’il sera déjà parti, qu’il ne te forcera pas la main. Tu serais bien incapable de lui dire que tu ne peux pas, et essayer te fera retomber immanquablement. Tu hais ta faiblesse.
Il t’annonce que tu lui as fait peur. Tu souris légèrement. Il est adorable, ou tu te fais des idées à cause de l’obscurité et de ta jambe qui te fait mal ?
« Toi aussi, j’ai cru que tu étais un professeur venu m’achever. »
Tu le détailles. Il a un joli minois souriant, il a l’air de pétiller. C’est un peu bizarre pour toi. Et ça te fait peur. Tu envies aussi. Au fond, tu ne sais pas si tu aimes ce genre de personne. Car tu es au courant qu’eux ne t’aiment pas, et qu’ils fuient dès qu’ils se rendent compte que tu n’es pas si heureux.
My only goal in life right now is to be genuinely happy
Tu as bien vu que ça ne lui avait pas fait du bien, mais s'il avait mal à la jambe ce n'est pas en la laissant dans cette position qu'elle allait être moins douloureuse. Au contraire, tu pensais qu'elle resterait douloureuse ainsi placée. Tu notes la présence d'une canne près de lui et tu en conclus qu'il devait avoir une problème quelconque avec cette jambe. Les cachets qu'il a enfilé aussi t'as mis la puce à l'oreille et tu soupçonnes que ce n'est pas la première fois que ça lui arrive. Lorsqu'il avoue que tu lui as aussi fait peur, tu rigoles doucement, l'air espiègle.
- Ne t'inquiètes pas, je les fuis comme la peste à cette heure!
un nouveau petit rire de ta part alors que tu croises tes jambes ensembles, empoignant tes chevilles de tes mains. Tu n'as aucunement honte de l'accoutrement dans lequel tu te trouves et ça se voit dans ta façon d'agir et d'être. Tu observes le visage de l'élève que tu as découvert, mais tu n'arrives pas à bien voir les traits de son visage. Si ça se trouve, avec ta mémoire défectueuse, tu n'arriverais pas à le reconnaître en plein jour.
- Oh! Moi, c'est Syka! Poufsouffle, 8e année en étude des créatures magiques, monsieur!
Tu ris comme un gamin. Tu es un peu trop heureux, Syka, pour quelqu'un qui n'arrivait pas à dormir.
- Et toi? Tu t'appelles comment? J'voudrais pas t'interpeller en disant: "Hey, toi! Oui, toi là-bas!" Parce que je crie souvent et je parle aux gens même s'ils sont loin de moi.
Tu te balances un peu d'avant en arrière, incapable de rester en place très longtemps.
- Sinon, si c'est pas trop indiscret, elle a quoi, ta jambe? Ça doit pas être pratique d'avoir mal comme ça.
Parfois, tu devrais vraiment garder tes questions pour toi, Syka. Tu fais beaucoup trop penser à un gamin trop curieux.
“La peinture est une poésie muette et la poésie une peinture parlante.”
feat Syka
Il les fuit ? Tu peux bien imaginer qu’il ne les cherche pas – ou alors, il doit avoir un problème, peut-être un élève de son dortoir qui est malade ? – mais de là à les éviter comme la peste… oh, évidemment il vaut mieux ne pas se faire prendre. Il est rigolo ce garçon. Un instant, tu imagines cette petite chose en pyjama bizarre courir dans les couloirs en chouinant. C’est amusant.
Il se présente à toi et tu espères pouvoir retenir son prénom. Il t’arrive souvent d’oublier qui sont les gens et te voilà tout gêné à ne pas trop savoir comment leur annoncer sans les vexer. Le « monsieur » n’était pas nécessaire cependant. Tu as un immense coup de vieux d’un coup alors que tu n’es pas âgé du tout et que si ça se dit, vous avez le même âge.
Il enchaîne sans te laisser le temps d’ouvrir la bouche en te demandant ton identité également, expliquant quelques particularités de sa personne qui te laissent sceptiques. Pourquoi crier alors qu’on peut rester discret et silencieux ? Tu ne comprends pas. Toutefois, tu ne relèves pas, tu n’es pas là pour le juger et réponds simplement :
« Je m’appelle Miles, j’ai vingt ans, je suis en septième année et je compte aller en arts magiques l’année prochaine. »
Si tu réussis tes examens. Pas que ça ne soit pas gagné, mais un peu quand même. En ce moment, tu es dans une passe un peu morose et tu n’es plus sûr de réussir quoique ce soit. Allons, reprends-toi, tu sais bien que cet état ne va pas durer éternellement. Que bientôt tu iras bien mieux, tu l’espères, et que tes études redeviendront importantes à tes yeux. Un peu.
Tu le trouves très agité ce garçon. Et sa question, par conséquent, ne t’étonne même pas. Tu pinces les lèvres cependant. Tu n’aimes pas forcément y répondre. C’est un peu délicat. Et oui, carrément indiscret.
Mais tu te vois mal l’envoyer sur les roses en mode « ça ne te regarde pas » alors qu’il t’a aidé et que jusqu’ici il a été très gentil. Ce n’est pas en étant violent et agressif que tu arriveras à te faire des amis.
« Je… accident de la route... » fais-tu simplement.
Tu ne pars pas dans un grand discours clamant que le jour de ton anniversaire, tes parents et toi avez eu un accident où tu es le seul à t’en être sorti en vie. Où depuis, ta jambe est foutue, te fait mal aléatoirement et où, la nuit, des fantômes imaginaires viennent te hanter, te rendant fou.
Tu espères que ça lui suffira.
« Dis, pourquoi tu bouges tout le temps comme ça ? »
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