[FLASHBACK] Contrôle || Otília C. Ambrozy

Les quelques jours qui suivent une rentrée scolaire sont toujours bien remplis. Il y a une part de nouveauté, bien entendu, des préparations et des « tests » pour évaluer où en sont les différents élèves auxquels elle donne cours, savoir s’ils ont perdu la main ou non et une certaine habitude, finalement, au fil des ans. Pour Otília il s’agit là de sa cinquième année en tant que professeur dans l’établissement et des habitudes sont bien entendu en place… Sauf que cette fois-ci, la rentrée a une saveur bien particulière et amène avec elle un challenge qu’elle se sent de surmonter : la direction de la maison Serdaigle, où elle était elle-même élève, à l’époque. Elle souhaite bien faire les choses et à l’instant où l’on parle, étudie consciencieusement les dossiers des Serdaigle en question, particulièrement ceux qui n’ont plus cours avec elle, désormais.

Elle est installée à son bureau. D’un côté, des archives papiers qu’elle feuillette avec attention, de l’autre l’une des tablettes confiées aux Directeurs de maison où, sur Hognotes, elle obtient des informations complémentaires sur les résultats des Serdaigles, les années passées. Autant de choses qui lui permettront de mieux connaître et appréhender les élèves en question, quand elle sera amenée à leur parler. A l’autre coin de la pièce, un porte-encens en forme de perroquet diffuse une douce odeur boisée. Les cours de la journée sont terminés et le calme qui règne actuellement contraste fortement avec l’agitation diurne. Elle adore ces moments et son attention est toute tournée sur ce qu’elle lit.

Des petits coups portés à la porte du bureau se font alors entendre. Par réflexe, elle referme sa lecture et verrouille la tablette. Ce sont des informations confidentielles qui n’ont pas à lui échapper.

« Entrez. »

Une jeune adolescente, blonde, s’avance alors. Lola Edwards. Elle n’a pas l’air bien sereine et Otília l’invite à parler d’un mouvement de la tête. C’est une Gryffondor qu’elle a en cours et la hongroise se demande bien quelles sont les questions qu’elle souhaite lui poser. Elle cherche dans sa mémoire mais n’a pas le souvenir qu’il s’agisse là d’une élève à problème. D’elle-même la jeune fille s’assoit sur la chaise libre face au bureau.

Dès que la Gryffondor commence à s’expliquer, Otília ne peut contenir un froncement de sourcils. Ses yeux bleus se plissent et elle ne perd rien de ce que lui est dit. Clairement, la blonde a besoin d’en parler à quelqu’un et la hongroise comprend mieux pourquoi elle a fait le choix de venir ici. Lorsque Lola termine, avec agitation, Otília laisse un léger silence s’installer. Puis elle se lève, contourne le bureau et s’avance vers une petite table. Elle agite sa baguette, réchauffe le contenu de la théière et questionne :

« Vous prendrez du thé, Mademoiselle Edwards ? »

En vérité, elle n’attend pas sa réponse et en sert deux petites tasses. Elle fait voleter l’une des deux, ainsi que sa sous-coupe, jusqu’à la Gryffondor et attrape l’autre. Elle va ensuite s’asseoir sur son bureau et pose le tout sur le côté.

« Buvez donc, cela vous fera du bien. »

Et vous apaisera un peu, c’est le sous-entendu. De tout ce que lui a dit l’élève, l’experte en Potions ressent parfaitement le doute et l’agitation qui l’habitent. Il est important toutefois de ne pas se laisser emporter par l’émotion.

« La voyance est toujours un sujet délicat à aborder. Il y a ceux qui y croient et ceux qui y croient moins. Pourtant, c’est un don magique reconnu par le Ministère de la Magie et de nombreux cas de prophéties ont démontré qu’ils existaient bien des personnes sujettes à des visions. Si vous êtes venue me voir, et que vous vous êtes renseignée, c’est que vous savez bien que je suis de ces personnes-là. »

Elle prend une gorgée de thé puis repose la tasse.

« La voyance n’a rien d’un art ou d’une science précise. Elle relève souvent d’une certaine ultra-sensibilité de l’individu qui devient le réceptacle de visions sur lesquelles il n’a aucune emprise. Ces flashs, dont vous me parlez, même sans vous souvenir du contenu, aviez-vous la sensation que tout était absolument réel ? Est-ce qu’en vous réveillant, ou en sortant de ces visions, cela vous a donné l’impression d’avoir vécu quelque chose, comme si vous y étiez ? »

Otília se doit de la prendre parfaitement au sérieux. Quand elle était elle-même élève, en proie à des visions et des transes, c’est bien sa professeur de Divination de l’époque qui l’a aidé à comprendre ce qui se passait. A mettre des mots dessus. Il arrive que certains élèves s’amusent lorsqu’ils apprennent qu’elle a le don de voyance, mais… ce que lui dit la jeune Edwards ne ressemble à en rien à une blague puérile.

« Vous me dites que « ça a changé », pouvez-vous être plus précise ? Avec vos propres mots ? Et quand vous me parlez de votre mère, qu’est-ce que votre cousine vous a dit, exactement ? »

Tout en portant sa tasse de thé à ses lèvres, Otília écoute attentivement la Gryffondor. Celle-ci semble se calmer peu à peu, comme si elle avait maintenant l’assurance d’avoir trouvé l’interlocutrice adéquate. Ce qui est probablement le cas, d’ailleurs. Jamais la directrice de Serdaigle ne fermerait la porte au nez d’un élève, et encore moins quand celui-ci fait preuve d’une véritable agitation et de raisons concrètes à cela. Des raisons qui peuvent être plus ou moins subjectives, plus ou moins tangibles, mais pour être passée par là, l’Ambrozy ne prend jamais les questions de voyance à la légère. Elle sait ce que c’est d’être désemparée, de ne pas comprendre ce qui se passe et d’avoir peur que chaque nouvelle journée, chaque nuit, aussi, apporte avec elle son lot d’images décousues, de sensations troubles.

Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, elle a bien retenu la mention du décès de l’amie de la jeune fille. Elle sait que de manière générale, des événements traumatiques peuvent décupler une magie latente qui ne cherchait qu’à s’exprimer jusque-là. Dans tout ce que lui dit l’élève, Otília ne voit que des éléments concordants.

« En effet. Je sais très bien ce que vous entendez par là. La voyance fait de nous des spectateurs, des observateurs qui ressentent pourtant des sentiments démultipliés face à ce qui se passe, les images qui nous traversent. Cela peut être de la colère ou de la tristesse. Il m’est souvent arrivé de sortir de transe habitée par une émotion inexpliquée, qui n’était parfois pas la mienne ou du moins sans aucune logique avec ce que je faisais juste avant. »

C’est bien là l’une des difficultés d’un tel don. Il est difficile à appréhender, volatile, incertain, on ne peut jamais parler de réel contrôle. Certains diront pouvoir avoir des visions sur commande mais Otília y croit assez peu. A moins d’avoir recours à d’autres magies obscures à même de « stimuler » certaines sensibilités. Elle ne s’y est jamais essayée. Elle a simplement le souvenir d’un test d’un psychomage, à l’époque, qui allait dans ce sens. Pour elle, la beauté d’un tel don vient justement de sa dimension aléatoire, comme si… comme si quelque chose tenait à jouer avec le destin, à envoyer des messages sans mode d’emploi, sans solution.

Lorsqu’elle évoque sa mère, Otília hoche la tête.

« Je vois. Vous savez, je suis originaire de Hongrie et par là-bas on parle de la voyance comme du « Troisième Œil ». C’est en quelque sorte le mythe d’un œil qui serait « l’œil de l’âme » à même de voir au plus profond de soi, en lien direct avec la magie qui nous entoure. En Hongrie et en Roumanie, au fil des siècles, ce genre de don était le plus souvent attribué aux femmes. Je ne vais pas vous dire que c’est une réalité, c’est le genre de particularité magique qui n’a rien d’une science exacte et bien des hommes sont reconnus comme voyants auprès du Ministère de la Magie, mais si votre mère était elle-même voyante je ne serais pas surprise que vous le soyez également. L’hérédité est forte dans la magie. »

Même si ce n’est pas non plus systématique. Jusqu’à preuve du contraire, Otília ne se connaît aucun ancêtre voyant ou voyante… à moins de remonter peut-être en des temps lointains dont elle ne sait rien.

« Miss Edwards, si comme j’en ai l’impression vous venez de voir se réveiller en vous un don de voyance, je tiens à vous prévenir de suite : ce ne sera pas facile tous les jours. Ce n’est pas quelque chose que vous pourrez parfaitement contrôler. Je ne le contrôle pas non plus. L’emprise que vous pourrez avoir ce sera pour déceler les signes avant-coureurs d’une transe. Sachez que si cela commence dans vos rêves, la nuit, il pourra vous arriver d’être surprise en plein jour également, et la sensation est d’autant plus… perturbante. »

Elle ne veut pas lui faire peur mais il faut bien qu’elle l’entende. Qu’elle sache. Elle sera là pour l’aider à se préparer.

« Par rapport à mon adolescence où la moindre des visions pouvait être déstabilisante et éprouvante, je suis désormais largement à même de prendre du recul. De ne pas me mettre à nu face au moindre flash qui pourra me parcourir, aussi insupportable soit-il. Parfois les visions sont complètement anecdotiques, parfois elles le sont moins. La difficulté reste de savoir quoi en faire, ensuite. » Parce que ça aussi, c’est quelque chose qui n’entraine pas une bonne ou une mauvaise façon de procéder. Souvent, les visions sont tellement fugaces qu’on les oublie. Parfois, elles sont suffisamment marquantes pour manquer de traumatiser le voyant.

« Certaines visions ne permettront pas de savoir de quoi ou de qui il est question. D’autres seront plus précises et agiront quelques fois comme… « des signes ». Mais attention. Il ne faut pas non plus que cela tourne à l’obsession. C’est ce qui est compliqué avec un tel don, on ne sait pas nécessairement pourquoi on est le réceptacle de ces images ni ce que l’on doit forcément en faire. Vous en oublierez certaines et d’autres seront cycliques. »

La jeune femme a l’air désemparé et Otília sait qu’elle l’était tout autant, elle aussi, quand elle a commencé à appréhender pleinement ce pouvoir. Elle sait que c’est de ressentir les visions comme des signes systématiques de quelque chose qui va nous toucher soi ou son entourage.

« L’une des premières choses que je veux que vous compreniez, c’est que vous ne devez pas prendre ce que vous voyez pour acquis, ni vous estimer responsable si des choses dénuées de sens et pourtant tristes que vous avez déjà « vues » finissent par se produire. C’est le plus difficile mais ça va être là un « combat » qu’il vous faudra mener. Savoir prendre du recul. »

Ça aussi, Otília l’a appris à la dure. Plus d’une fois des images sans queue ni tête dont elle ne comprenait rien se sont imposées à elle et se sont réalisées par la suite, face à elle, autour d’elle, et il était trop tard pour pouvoir agir. La culpabilité l’a rongée plus d’une fois.

« Bien entendu, si des choses concrètes vous apparaissent, il faudra les dire, les détailler autant que vous le pourrez, mais si cela reste trop opaque, trop anecdotique, trop flou ou trop court, ne vous tourmentez pas. Tous les voyants ne sont pas des prophètes, et même ceux qui se retrouvent à l’origine d’une prophétie référencée au Ministère sont dans leur grande majorité incapables de s’en souvenir. Les voyants sont des observateurs et non pas les sauveurs du monde. »

Après avoir parlé, l’experte en potions sent un silence s’installer. Ok, elle s’est laissée emporter à dire des choses qu’elle tenait à dire, mais sans doute que cette pauvre Lola Edwards n’a pas demandé de les entendre. Sûrement pas aussi « tôt » alors qu’elle est encore toute paniquée par ce qu’elle a pu voir ou ressentir.

« Excusez-moi, je sais que vous n’êtes pas forcément venue me voir pour entendre ce genre de choses. Disons que le fait de « craindre » l’avenir est le lot des voyants, parce qu’on a l’impression qu’on doit le comprendre ou l’anticiper mieux que les autres. Je pense que c’est faux. C’est l’expérience qui vous le dira. Vous ne devez pas vous faire une mission de comprendre tout ce que vous voyez. Des fois ce sera le cas, des fois non. Et puis, toutes les visions ne sont pas négatives... »

Elle se lève ensuite et se pose devant l’une de ses bibliothèques. Elle parcourt les tranches de livres de l'index tout en murmurant, le dos tourné.

« Mais je compte bien vous aider. »

Otília a parfaitement conscience d’avoir été directe dans ses remarques. Trop, certainement. Seulement, rien dans ce qui va attendre la jeune Gryffondor ne va être évident. La voyance, c’est énormément de questions, d’incompréhensions, de frustrations. Même avec la meilleure volonté du monde, un voyant ne peut pas se souvenir de tout, ni comprendre toutes les images qu’il a pu voir.

Tout en achevant de parler, elle continue son examen de sa bibliothèque. Plusieurs pans des murs de la pièce en sont composés. Il y a de tous petits ouvrages et des très gros. Certains paraissent récents, d’autres le sont nettement moins. Plusieurs sont en hongrois. Un grand nombre en anglais, également. Il y a beaucoup d’ouvrages qui ont pu bénéficier d’une traduction, mais quelques-uns n’en auront probablement jamais. Elle a quelque chose en tête, un ouvrage qu’elle n’a pas manipulé depuis un certain temps. Elle qui range toujours tout parfaitement… c’est un comble, elle ne sait plus bien où le trouver. Dans son dos, la Gryffondor s’exprime, et elle sent dans le ton de sa voix que sa vision vis à vis de son amie a été éprouvante.

La directrice de Serdaigle interrompt donc sa recherche et se retourne vers l’élève. Elle l’écoute qui détaille sa vision. Il est facile de comprendre la douleur et la confusion dans lesquelles ces images l’ont plongée. Otília ne réplique rien, elle l’écoute. Elle est à quelques mètres de l’élève, à demi tournée, elle voit bien son effroi, sa peine. Elle les comprend sans mal.

Bien entendu, les questions qui suivent sont légitimes. La hongroise est passée par là, elle aussi, plus jeune. A essayer de chercher du sens à ses visions, à vouloir agir à tout prix, sans parfois savoir par où commencer. Des fois, elle a pu prévenir, oui. Des fois, ça a changé des choses… et des fois non. Des fois elle n’a pas su quoi faire.

« Je ne vous ai pas dit qu’il ne fallait pas agir, Mademoiselle Edwards. Il y a des moments où les visions seront claires comme de l’eau de roche, des moments où vous aurez la sensation de parfaitement savoir qui, quand, et comment. Seulement… ces visions « lucides » sont rares. C’est mon rôle de vous prévenir. » Elle marque un léger arrêt. Elle n’est pas un monstre d’insensibilité mais la frustration née du don de voyance autant que des aléas de la vie l’ont rendu un peu hermétique à certaines choses. « Je comprends très bien ce que vous avez pu ressentir, mais vous ne devez en aucun cas vous sentir coupable. Cette vision vous est apparue alors que vous n’étiez pas en état de la comprendre, de l’accepter comme telle. Et puis, quand bien même vous auriez pu contacter votre amie, la prévenir… rien ne vous dit que l’issue aurait changé, je suis navrée. »

En ça, Otília elle-même n’en sait rien. En tant que professeur elle a été informée de ce qui s’est passée pour Borea Boswell, son accident et… le reste. Mais il n’est pas de son rôle de s’appesantir là dessus. Cela n’aidera en rien l’élève actuellement dans son bureau. Il y a des fois où le destin et la fatalité semblent être plus forts et d’autres où un simple grain de sel soufflé par la voix d’un voyant peut faire toute la différence. La hongroise a eu le temps de le voir, ça.

« Une notion très délicate dans les visions est aussi d’en assimiler le temps. Nous pouvons avoir des visions à plus ou moins long terme. Certaines évoqueront le lendemain, d’autres se produiront dans deux ans ou plus. »

Là encore, il peut y avoir des astuces qui aident à se positionner dans le temps ou l’espace, selon les visions, selon l’expérience du voyant qui les a. Seulement, tout cela ne s’improvise pas et le plus important, d’abord, est que la jeune élève admette l’éthique qui va avec la voyance. Otília a conscience que cela ne viendra pas en quelques minutes à avoir discuté auprès d’elle, mais là encore, il est important d’y mettre des mots.

« Je le dis et le répète, vous ne pourrez pas supporter votre don si vous vous estimez investie d’une mission à chacune des images qui vous traversent. Je sais que l’envie est très puissante, d’autant plus pour des visions tristes, des événements forts, néanmoins… je vous le dis, les voyants ne sont pas des sauveurs. Certains se sont épuisés à la tache ou l’ont regretté. Maintenant, oui, c’est une réalité. Un voyant n’est pas simplement un réceptacle vide. Notre don est une aide, un coup du destin, un signe. Autant que possible, et quand on a un maximum d’éléments pour appuyer une vision, on peut prévenir, distiller des indices, des mises en garde. Il faut toutefois trouver un équilibre dans la manière d’amener la chose, il ne faut pas empêcher les gens de vivre non plus. C’est là toute la difficulté, Miss Edwards. Nous pouvons être l’un de ces phares moldus qui illuminent une mer agitée pour aider au mieux les bateaux qui naviguent à arriver à bon port, mais nous ne pouvons pas nous croire investis d’une mission de protéger quiconque traverse notre troisième œil. »

C’est là le plus compliqué à admettre.

« C’est impossible de vouloir sauver tout le monde. Et comme je vous le dis, même lorsque vous arrivez à identifier la personne concernée, il faut savoir faire preuve de tact. Je vais schématiser, mais si vous voyez une personne avoir un accident par une mauvaise chute du haut d’un escalier, imaginons… vous ne pouvez pas dès la vision terminée aller trouver cette personne et la mettre en garde. Elle va se fermer à l’idée d’emprunter le moindre escalier. C’est en ça qu’il faut apprendre à décrypter un maximum d’éléments liés aux visions, à leur temps, leur espace. Il faut savoir jauger de ce qui est bon à dire et de ce qui ne le sera pas. C’est là toute la complexité de la chose. »

Et il faudra du temps pour qu’elle le comprenne.

« Dans le même ordre d’idée, vous ne pouvez pas vous faire une quête d’identifier les personnes que vous ne connaissez pas et qui prennent forme dans vos visions. Sinon vous risquez de ne vivre plus que par et pour vos visions. Cela ne vous rendra pas plus efficace et vous empêchera de vivre pour vous-même. »

Elle reprend sa recherche dans sa bibliothèque et ajoute :

« Il m’est difficile de répondre à votre question. Pourquoi voyons-nous ces choses ? Certains ont formulé toutes sortes de réponses. Une hyper-sensibilité magique, des sens accrus ou une magie d’un ancien temps qui prendrait forme pour « bénir » certaines personnes de ce sens nouveau. Certains parleront de destin, d’autres d’une lucidité ésotérique, d’autres de malédiction. Aucune réponse n’est meilleure qu’une autre, et à ce jour personne ne peut rien confirmer. Ce que je sais, Mademoiselle Edwards, c’est que c’est un entraînement de tous les jours. Si votre troisième œil est désormais ouvert, comme cela semble être le cas, il vous faudra l’exercer, éveiller vos sens à être plus réactifs et plus perspicaces lors de vos transes. Si vous voulez mieux interpréter vos visions, et pouvoir – pourquoi pas – mieux agir en conséquence, il va d’abord vous falloir affiner votre « réception » et votre « interprétation » des images qui vous parcourront. »

D’un coup, Otilia se stoppe sur l’une des tranches de livre, et en retire un, assez fin, comme un livre de poche, en petit format. Il semble toutefois avoir bien vécu et elle l’extirpe avec un sourire ravi. Elle retourne ensuite s’asseoir à son bureau, le livre posé devant elle.

« Je vis mon talent de voyance comme une bénédiction parce que j’ai réussi à en accepter ses bons et ses mauvais côtés. Je préfère être parfaitement lucide dans ce que je vous explique, même si je sais que tout cela est abrupt. Je ne peux pas me permettre de vous dire simplement ce que vous aimeriez entendre de moi. La magie a toujours des conséquences. »

En disant cela, elle ouvre le tiroir de son bureau et en récupère un petit carnet. D’un coup de baguette elle en « nettoie » le contenu, il s’agit là de simples brouillons de recherches ou de textes, rien qui ne soit bien important en vérité. Alors elle en rend les pages vierges et pousse de la main ledit carnet – petit, pages toutes blanches, couverture de cuir souple – face à la Gryffondor.

« Est-ce que vous savez ce qu’est un journal des rêves, Miss Edwards ? »

C’est vrai qu’elle parle beaucoup, en cet instant, Otília. Elle en a parfaitement conscience. Elle ne peut pas faire autrement. S’il s’avère que Lola Edwards est bien en passe de révéler pleinement des dons de voyance la hongroise n’a guère le choix. Elle est obligée de mettre des mots sur tout cela, de répondre autant qu’elle le peut aux questions de l’élève mais également de lui ôter de la tête de fausses ou de mauvaises croyances. Si elle part bille en tête dans l’idée que de tels pouvoirs pourront faire d’elle une héroïne, elle va droit dans le mur. C’est le rôle de l’enseignante de la prévenir. Autant dresser de prime abord la liste des mises en garde pour ensuite se concentrer pleinement sur ce qu’il reste à faire pour appréhender ce pouvoir, le supporter et le comprendre (autant que possible).

C’est pour ça qu’elle parle, Otília. Parce qu’il y a beaucoup de choses que la jeune femme doit entendre et d’autres qu’elle doit éviter. Ça fait énormément d’un coup, c’est sûr, mais au moins c’est dit. L’experte en potions sait que ce ne sera ni la première ni la dernière fois qu’elle abordera ce genre de chose avec l’élève si son don se confirme. Et il ne tiendra qu’à elle de s’en assurer, de la guider et l’aider autant qu’elle le pourra. Après tout, elle est passée par là, elle aussi. Perdue et terrifiée par ses transes nocturnes et le désespoir dans lequel certaines l’ont plongé. Il est toujours difficile de « voir » quelque chose de triste, avoir la certitude que cela va se produire mais ne savoir ni où ni quand. Il y a eu des moments où elle a pu aider, bien sûr, mais cela a pris du temps. Au début, elle se sentait absolument inutile… simple spectatrice passive et condamnée à voir sans pouvoir intervenir. Démunie.

Puis des visions plus précises lui sont venues, certaines choses se sont affinées dans ses transes autant que dans son « flair » et sa capacité à les interpréter. Des visions floues lui arrivent toujours, forcément, mais d’autres prennent plus facilement sens. Il lui a fallu se forger des habitudes et laisser sa lucidité prendre le dessus, parfois.

Désormais face à son bureau, le livre sur le côté, le carnet de l’autre, elle attend une réaction de Lola. Par chance, elle réalise que la Gryffondor est très à l’écoute de ce qu’elle lui a dit jusque-là. C’est déjà une bonne chose, un tempérament propice à l’apprentissage, semble-t-il.

« C’est bien ça, oui. Dans un premier temps, je vous propose d’un faire plus globalement un « carnet de visions ». A vous d’estimer par vous-même ce que vous entendez par là. Il peut s’agir de rêves qui vous paraîtront plus précis ou lucides que d’autres. Il peut s’agir de transes qui surgiront peut-être à d’autres moments, du jour ou de la nuit. Les écrire vous aidera en plusieurs points : essayer d’en définir un maximum d’éléments que vous aurez retenu, essayer d’en notifier la fréquence également et s’en rappeler aiguisera votre esprit à les « décrypter », d’une certaine manière. »

Elle marque un temps d’arrêt face à la question de la blonde. « Au début ». C’est vrai qu’il y a toujours un début quand on se découvre de telles capacités. Certains parlent de pouvoirs. Otília ne sait même pas s’il est forcément judicieux de parler de don. Elle préfère l’idée d’une capacité, oui. Parce que ce n’est pas quelque chose que l’on contrôle véritablement, le troisième œil. On peut faire en sorte d’avoir les sens et l’esprit les plus propices possible pour « recevoir » des visions, mais on ne peut pas en calculer l’apparition. Ce n’est pas quelque chose qui se fait sur commande… et encore moins la réception d’une prophétie, comme certains pourraient le croire.

Elle hoche la tête.

« Oui. Et pour tout vous avouer, j’en ai toujours un, en fait. Je m’en sers nettement moins, c’est vrai, mais j’ai toujours le réflexe d’y annoter les visions les plus intenses ou les plus complexes. Celles qui me paraissent récurrentes, aussi. C’est chose plus rare, mais il arrive parfois que le Troisième œil s’attarde plus longuement sur des scènes ou des faits. » Elle aura le temps de s’en rendre compte, ça.

« Vous savez, Mademoiselle Edwards, je suis également passée par là. J’étais plus jeune que vous lorsque j’ai eu mes premières visions mais cela ne change rien, je sais que dans un établissement comme Poudlard, ce n’est pas toujours évident de se découvrir une telle différence et de ne pas savoir pleinement la contrôler. Comme je vous l’ai dit, vous n’y arriverez jamais parfaitement. Je n’y arrive pas moi-même. Mais je vais faire de mon mieux pour vous en donner les clés et faire en sorte que vous parveniez à décrypter au mieux ce que vous voyez et la façon dont votre corps réagit. »

Elle glisse cette fois le petit livre et le positionne face à la jeune femme.

« Je vous conseille de lire cet ouvrage. Il n’est pas bien long mais pose des mots et des réalités sur le pouvoir de voyance. L’auteur est un voyant anglo-danois, Jason Eriksen. Il s’est servi de son propre état pour faire des recherches et se décrypter au mieux. Il a fait de nombreuses expériences et a interrogé des voyants de par le monde. Ce n’est pas la science infuse, mais ce livre aide. Vous avez des questions, il répondra à certaines d’entre elles. »

Elle marque un temps d’arrêt et ajoute : « C’est ma professeur de divination, à l’époque, qui m’a aidé à surmonter la découverte de mon don de voyance. Elle n’était pas voyante elle-même mais le sujet la passionnait. Vous pouvez compter sur moi pour faire au mieux pour vous accompagner. Je sais que cela prendra du temps pour que vous soyez pleinement à l’aise, mais sachez que je serais à l’écoute. Que ce soit face à des visions complexes ou des transes qui vous plongent dans un état second, n’hésitez pas à venir me voir, à n’importe quel moment de la journée. »

Elle s’interrompt, s’empare de sa tasse de thé qui a eu le temps de refroidir et en prend une gorgée.

« L’un des conseils que je peux vous donner, également, que ce soit lorsqu’une transe s’impose à vous ou que vous en sortez, c’est de respirer. Toujours. Accentuer l’inspiration, bloquer, et souffler d’un coup, longuement. N’hésitez pas à le faire à plusieurs reprises, cela permettra de calmer votre cœur autant que votre esprit. » Elle montre la respiration en question pendant quelques instants.

« Je vous assure, cela fait du bien lorsque l’on se sent dans un état second. »

Elle repose la tasse et ponctue :

« Avez-vous d’autres questions ? »