broken feat. ezra

Le shopping avait eu quelque chose de satisfaisant aujourd’hui. Tu ne savais si c’était le fait d’avoir passé du temps avec ton jumeau et ta grande sœur ou le simple fait de dépenser de l’argent dans tes mille et un caprices qui était le plus plaisant, mais dans tous les cas tu t’étais sincèrement réjouie vos emplettes en famille. Les vêtements neufs bien accumulés dans ta bourse ensorcelée, tu finis par te séparer d’un pas léger de ta fratrie – avec promesse d’envoyer des SMS à Hennessy – pour aller chercher tes fameux stickers pour ta baguette avec, accessoirement, des pansements Hello Kitty pour regarnir tes effectifs.

Tu penses encore à la façon dont les choses se sont terminées entre Arsene et Nessy, confrontée aux émotions mitigées de la savoir hors de sa vie et de le voir aussi triste et accablé. Et puisque le chemin te semble naturel – trop habituée d’aller faire tes emplettes dans ce quartier – tu ne fais pas particulièrement attention à ce qui t’entoure Dove. Dans cette artère très fréquentée où les petites rues s’enchaînent sans cérémonie, il fallait que le coin de ton œil tique quand même sur une masse noire au loin, comme si l’irrégularité de l’horizon avait sonné une cloche dans ton cerveau habitué aux mêmes repères depuis des années déjà.

Curieuse – c’est peut-être juste un chat mort, mais ton instinct te crie que non – tu approches lentement de la ruelle, la main fermement posée sur le manche de ta baguette au cas où. Prudente, tes pas franchissent peu à peu la distance qui te sépare de la forme inerte sur le sol, constatant petit à petit qu’il ne s’agit pas d’un chat… Mais d’un homme. Un homme plutôt jeune à en juger par son apparence.
Inquiète désormais de le voir immobile, tu sautilles les derniers mètres entre toi et le corps pour constater… Que tu le connaissais.

Ce n’était pas n’importe quel homme. C’était Ezra.
Ezra le meilleur ami de ton frère.
Ezra sur qui tu as le plus gros crush depuis des mois.

Figée, ça te prend quelques secondes pour t’activer et te précipiter près de lui. Si tu aimes t’improviser infirmière, tu n’en es clairement pas une et tu peines à trouver les bons réflexes pour lui venir en aide. « Ezra. EZRA. »
Affolée, ton regard passe de sa tête à ses pieds sans comprendre comment il avait fait pour se trouver en pareil état, mais surtout le cœur serré de voir autant de souffrance marquer son corps presque nu.

Les doigts tremblotants, tu cherches un pouls, faible mais présent, et soupire de soulagement en constatant qu’il n’est pas encore trop tard pour lui. Avec un peu de chance, il s’en sortirait. Tu contactes rapidement des intervenants, incertaine si tu pouvais le déplacer ou non dans de telles circonstances. Tout ce que tu pouvais faire, c’est soulever doucement sa tête et la déposer contre tes genoux pour plus de confort. Tu écartes quelques mèches de son front et caresses ses cheveux délicatement, le temps de recevoir de l’aide extérieure appropriée. « Courage Ezra, tiens bon. J’suis avec toi. »


Tu l’avais longtemps veillé. De son arrivée à Ste-Mangouste jusqu’à ce moment précis, des heures plus tard, tu n’avais jamais quitté son chevet. Espérant sans cesse qu’il se réveillerait, qu’il manifesterait un signe de vie sans équivoque.
Priant pour entendre sa voix encore une fois, rien que pour l’entendre te sortir une remarque sarcastique sur le fait que tu t’inquiétais pour pas grand-chose. Qu’il survivrait, comme toujours, parce que ça ne pouvait pas se terminer comme ça, pas alors qu’il ne s’était rien passé entre vous.

Mains jointes, tu fixais depuis une éternité son torse qui se soulevait et s’abaissait à rythme régulier. Seule certitude qu’il était toujours en vie à défaut d’avoir toute autre réaction. Tu n’oses même pas imaginer ce qui a pu le mettre dans cet état, ton imagination pouvant créer des scénarios trop atroces pour ce que tu pouvais supporter. Tu ne sens que ton cœur qui bat à tes tempes, pulsant une nouvelle dose de stress dans tes veines à chaque seconde à l’idée qu’il ne se réveille jamais.
Jamais.
Juste cette pensée t’arrache un soupir, un énième test de ton éternel optimisme à toute épreuve. Il allait s’en sortir.
Il fallait qu’il s’en sorte, il n’avait pas le choix.

Incapable de contrôler plus longtemps l’angoisse qui te tordait les tripes, tu te lèves, arpentant la pièce en de larges cercles comme un lion en cage. Triturant au passage la couture de ton haut, mordillant ta lèvre inférieure en refusant de te laisser porter vers le négativisme.
Tu ne l’avais pas trouvé pour rien.
Pourquoi te mettre sur son chemin si ce n’était que pour assister à sa fin?
Tu ralentis la cadence juste au moment où sa voix s’élève dans la pièce.

Et ton cœur rate un battement.
Il parle. Il est réveillé. Tout va bien.
D’un coup, toute la pression tombe de tes épaules et tu te sens libérée d’un poids énorme. Ezra allait survivre, il pouvait vous arriver n’importe quoi que tu t’en foutrais royalement, juste du fait que tu avais la certitude à cet instant que tu ne le perdrais pas. Pas maintenant.

Tu te précipites à son lit en de longues enjambées, pressée de t’assurer que ce n’était pas qu’une hallucination. « Oh Ezra, t’es réveillé enfin ! » Un petit rire t’échappe, trop soulagée pour faire autrement, mais ton regard embué s’accroche sur ses mains crispées sur les draps, oscille entre son regard terrifié et le blanc de ses jointures.
C’est probablement à ce moment que ton cœur se fend en mille morceaux.
Lacéré par sa douleur qu’il te communique en un seul instant.
Mutilé de voir la peur dominer ses prunelles habituellement si fermées sur ses émotions.
Poignardé par son corps qui tremble comme la dernière feuille d’automne accrochée à sa branche.

Vient ensuite la rage de savoir que quelqu’un – ou plusieurs personnes – a réussi à le briser de la sorte. À l’ébranler dans sa confiance. À lui faire vivre des souffrances atroces.
Tu inspires longuement pour chasser temporairement le feu qui brûle dans ton corps et t’avances pour saisir délicatement sa main, ton pouce décrivant des cercles sur le dessus de sa peau pour tenter de le détendre. « On… On est à Sainte-Mangouste. T’es en sécurité, t’en fais pas. » Tu esquisses un faible sourire, sans jamais lâcher sa main. « Je t’ai trouvé dans une petite ruelle du chemin de Traverse… » Tes yeux se ferment douloureusement, le temps de repousser mentalement les images qui cherchent à assaillir ton esprit. Puis ton regard replonge dans le sien, inquiet. « J’ai vraiment eu peur, je pensais qu’on t’avait perdu. » Que je t’avais perdu.

Sa main s’élève doucement au niveau de son torse et tu détournes le regard, incapable de le voir repasser dans ses yeux le scénario ayant mené à cette blessure profonde. T’as déjà mal pour lui, trop mal, rien qu’à détailler tout ce que son corps a subi. Tu ne peux pas t’ajouter la souffrance qu’il a dans sa tête, vivre avec lui chaque moment qui a laissé apparaître les lésions sur sa peau. Ce serait trop, trop d’un coup. Trop pour ton cœur déjà en miettes de voir celui que tu chéris secrètement brisé, n’être plus que l’ombre de lui-même.
Trop pour ce cœur dont les ruines ne peuvent que battre pour l’aider à se reconstruire petit à petit.
À trouver plaisir dans les petits moments de la vie. À s’accrocher à cette vie, même.
Qu’il s’accroche à toi comme toi tu t’accroches à lui.
Qu’il s’accroche à la vie, toi tu t’accroches à cette promesse informulée de le venger, de tout faire pour qu’il n’ait plus jamais à revivre ça.

Incapable de penser à autre chose qu’à la colère qui bouillonne dans tes veines, à la douleur de le voir au plus mal. Au fait qu’il ne pourra peut-être plus jamais être comme avant.
Mais ce cocktail d’émotion ne laisse place qu’à la douleur dans ta poitrine et à la tristesse dans ton regard. « T’es en vie, c’est ce qui est important. »

Tu soupires et laisses ta seconde main rejoindre la première sur ses doigts doucement. Hésitant à mettre une pression, tu te contentes de la déposer sans trop y mettre de poids. Comme une plume.
À sa question, t’as l’impression d’avoir merdé. Égoïste Dove, tu n’as pas voulu alerter qui que ce soit, encore moins ton jumeau qui en avait déjà beaucoup trop à gérer avec sa rupture récente.

Penaude, tu détournes le regard et fixe la porte au loin avant de revenir vers vos mains, murmurant à peine. « Personne. » Tu soupires et avoue, un peu plus fort. « J’voulais attendre que tu te réveilles pour prévenir Nessy, j’voulais pas que lui annoncer une mauvaise nouvelle. » Tes lèvres se pincent et tu réussis enfin à croiser son regard et à maintenir le contact quelques instants. Aurait-il fallu que tu préviennes quelqu’un d’autre? Que tu appelles quelqu’un de sa famille même s’il n’était pas proche d’eux? Ou d’autres amis qu’il aurait voulu avertir de son état? T’avais pas l’impression de le connaître si bien maintenant que tu te retrouvais dans cette situation, avec aucun indice de la liste de personne qu’il voudrait contacter en cas d’urgence. C’était la base pourtant… Non? « Y a des gens que tu veux que j’appelle pour les informer d’où tu es? »
Et c’était la moindre des choses de proposer, même si ça voudrait dire s’éloigner de lui trop longtemps.

Tes muscles relâchent leur pression en le voyant soulagé que personne ne soit au courant, rassurée de ne pas avoir commis de bourde. Pour l’instant. C’était un poids de moins sur tes frêles épaules déjà courbées par le rôle que tu jouais auprès du blessé. Tu avais ce besoin radical de savoir qu’il allait bien, qu’il irait mieux, peut-être parce que ton cœur s’était accroché à son bien-être comme un naufragé à une bouée, ou peut-être simplement parce que tu tolérais mal de voir tes amis souffrir. Si seulement Ezra n’était qu’un simple ami.
Tu n’aurais pas eu aussi mal en le voyant inerte au sol. Tu n’aurais pas autant paniqué de le savoir inconscient.

Tu laisses un soupir évacuer la tension de ton corps, trop tôt. Juste Nessy c’est bien. T’es résignée, Dove, tu sais que de toute façon le plus tôt tu lui dis et le mieux il va prendre la nouvelle. Même si tu doutes fortement qu’il passera sous silence le délai entre l’entrée du Serpentard à Sainte-Mangouste et le moment où il aura reçu l’information.
« Je vais lui écrire bientôt, t’en fais pas. » Et sa question t’arrache un rire sec, stressée de connaître la véritable réaction de ton jumeau. Il ne s’en prendrait sûrement pas à son meilleur ami mais à toi, t’es certaine. Ou du moins, peut-être à vous deux au final. « Il va me tuer d’abord, j’aurais dû lui écrire plus tôt. » Tes mains quittent doucement les siennes et tu glisses tes doigts dans ta chevelure rousse, incertaine de la façon d’aborder le sujet avec ton frère en peine d’amour.

Finalement, l’important c’est bien de lui écrire tout court. Abandonnant tes réflexions, tu saisis ton portable pour lui résumer la situation, lui assurant surtout que son ami était en vie et conscient – sur le coup, c’est ce qui te semblait le plus important. Ce n’était plus qu’une question de temps maintenant le message envoyé avant qu’Hennessy ne débarque dans la chambre d’Ezra. Probablement en panique.
Mais au moins, maintenant il savait.

Ton travail terminé, tu déposes l’appareil plus loin et te laisse surprendre par ses excuses.
T’es consternée. Choquée.
Il s’excusait, réellement? Il prenait le blâme pour tout ce qui lui était arrivé?
T’arrivais pas à y croire, mais t’étais trop vidée par les montagnes russes d’émotions pour t’offusquer, tout ce que tu arrives à faire c’est relever tes genoux vers ta poitrine et fixer le sol, gênée qu’il ait remarqué l’état dans lequel tout ça t’avait mise. « T’excuses pas, c’est pas grave. T’as vécu assez de trucs aujourd’hui, pas besoin de t’excuser en plus, tu m’as rien fait qui nécessite que je te pardonne. »

Un doux sourire étire tes lèvres, trop peu de temps, mais juste assez pour faire la différence. Comme s’il effaçait toutes les larmes qui avaient creusé un sillon sous tes yeux. « En attendant que mon frère débarque, j’peux faire quelque chose pour t’accommoder? Si tu veux manger quelque chose ou je sais pas… » Juste t’occuper pour ne pas penser à l’accueil que te réserverait Hennessy plus tard, lui rendre service, atténuer la douleur qu’il devait ressentir.  

Il avait raison, t’étais bien obligée de l’admettre. Rien que le fait qu’Ezra ait été blessé jouerait sur les nerfs de ton jumeau aux tendances protectrices. Inutile de chercher un moyen de calmer sa colère à venir, il la déverserait dans toute sa splendeur de toute façon. Peu importait le moment où il apprendrait la nouvelle, au moins le délai avait retardé cet instant fatidique. Un soupir couvre ses paroles murmurées – du moins, si tu n’avais pas rêvé de sa voix s’élevant entre vous – et tu ne peux que le fixer, imaginer tout ce qu’il aurait pu dire sans être satisfaite d’aucune option. Tu aurais dû porter une plus grande attention à ses mots, incertaine désormais d’avoir échappé un trésor ou un mirage.

Tu te cales un peu plus creux dans la chaise, les bras enroulés autour de tes genoux alors que tu lui lances un regard désolé. « Non, malheureusement faudra attendre le congé du médecin pour ça. » Tu laisses échapper un rire nerveux. « Je m’improvise souvent infirmière mais j’pense pas que mes pansements vont changer quoi que ce soit dans ton cas. »
Et tu regrettais de ne pas pouvoir en faire davantage pour lui à cet instant.

Rien de plus que lui donner des informations, lui dire tout ce que tu sais pour l’aider à comprendre ce qu’il avait manqué alors qu’il était inconscient.
Et il devait avoir été salement frappé à la tête pour vouloir se lever aussi rapidement. D’instinct, tu sautes sur tes pieds et t’approches pour l’empêcher d’aller plus loin, mais heureusement tu n’auras pas à jouer de ton poids plume contre sa grande taille pour le maintenir couché. La gravité et son état de santé auront fait le travail à ta place. « T’es malade !! Faut rester couché que le médecin a dit, ton corps est pas prêt… » Ton regard paniqué n’arrive plus à le quitter, se demandant s’il avait vaguement eu conscience de ce qui s’était passé dans les dernières heures ou s’il repartait de zéro. Tu penchais davantage pour la deuxième option sans trop savoir pourquoi. Sûrement son idée débile de se redresser. « Cinq heures environ. » Tu fixes le plancher, le temps de prendre une légère pause. « T’étais vraiment dans tout un état quand je t’ai trouvé. » Tu lèves les yeux vers lui, des points d’interrogation dans le fond des prunelles. Tu ne poseras pas la question, tu sais qu’il ne te répondra pas. Mais tu donnerais tout pour savoir qui lui a fait aussi mal, rien que pour savoir à qui faire subir le même sort.

Tu passes une main rapidement dans tes cheveux pour chasser une nouvelle dose de colère et de stress, le regard obliquant vers la porte de la chambre. « Nessy devrait débarquer d’une minute à l’autre, ça fait déjà un bon moment que je lui ai envoyé le SMS. » Et c’était surprenant qu’il ne soit pas déjà arrivé.

Sa première question réoriente ton regard vers lui, inquisiteur, jusqu’à croiser le sien un bref instant. Jusqu’à ce que la seconde t’intime de fixer le sol, incertaine de comment réagir à sa demande. Parce que tu te doutes que c’est pour te mettre à part, discuter de choses « qui ne te concernent pas ». T’es bien habituée d’être dans cette situation, quand les choses devenaient sérieuses à la maison vos parents vous demandaient de rejoindre vos chambres pour les laisser parler en paix, ce n’est donc pas étonnant de te faire demander à nouveau de quitter. Mais cette fois-ci, il restait une note amère au fond de ta bouche.
Parce que tu l’affectionnes un peu trop et qu’il préfère se confier à ton jumeau plutôt qu’à toi.
Et ce malgré le fait que tu sois celle qui l’a trouvé inconscient dans la ruelle.

Mais tu étais soulagée d’avoir une porte de sortie pour éviter la colère de ton frère. « Ouais c’est bon, je partirai. » Ta voix fatiguée cache à peine le cocktail d’émotions qui s’affrontent dans ton cœur, incapable de déterminer si tu étais déçue ou heureuse de devoir le quitter sous peu.
Et quand il prononce ton nom, tu reposes ton regard sur lui, ornant ton visage d’un léger sourire à ses remerciements. Suffisait d’un seul mot finalement pour mettre un baume sur ton cœur qui ne cherchait qu’à se faire apprécier par le jeune homme. « De rien, Ezra. »

T’as pas le temps de lui dire que tu le referais n’importe quand qu’Hennessy entre dans la chambre. À son regard, tu saisis qu’il vaut mieux ne rien dire pour l’instant et… Juste filer. Tu lances une œillade désolée et compatissante au blessé avant de filer, serrant l’épaule de ton jumeau au passage en guise de soutien. Sans un regard en arrière, tu transplanes jusqu’à Portumna, pressée soudainement de t’effondrer dans ton lit après cette journée difficile.