he'll kill you twice // Chase

Elle les entendait rire, ils fracassaient des  sons et des douleurs contre son crâne, les démons malins, mutins, qui s'étaient décidés à refaire surface. Le peu de joie auquel elle avait eu droit lui avait été retiré, cruellement arraché. Elle ne s'était jamais sentie si seule ; si sale. Certains maux étaient impossibles à guérir, et elle commença à croire que la maladie portait le nom de Arya ; que c'était elle-même qui devait mourir pour que tout ça cesse.

Ces douleurs, ces angoisses, ces frayeurs ; toutes ces voix qui lui appartenaient et lui disaient meurs.

« Je ne dors toujours pas, Miss Lindley. »

Elle devait sans doute être dans l'un de ces cauchemars, parce que Alyce n'avait pas dit un mot depuis le début. Ou peut-être en avait-elle dit ? Avait-elle oublié ? Oh, Arya ne savait plus.

Elle devait sans doute être dans l'un de ces cauchemars, parce qu'en tombant de la chaise, elle s'était réveillée sur une autre. Ou peut-être n'avait-elle pas bougé de là ? Avait-elle oublié ? Oh, Arya n'a jamais su.

Elle devait sans doute être dans l'un de ces cauchemars, parce qu'en quittant la pièce, elle eut l'impression de n'avoir rien dit, rien accompli ; comme si l'heure précédente venait de disparaître dans l'oubli. Sa carcasse s'était arrêtée, dos à la porte encore ouverte ; elle n'entendait pas la voix de Miss Lindley qui lui demandait si ça allait. Elle n'entendait plus rien, Arya, sinon les voix qui l'assassinaient sous son crâne.

Puis le silence, ils s'étaient tu, les démons. Ils s'étaient tu sous le choc de ce qu'elle croyait voir.

Elle devait sans doute être dans l'un de ces cauchemars, car il était impossible que Chase Fowley la regarde ; il préférait l'éviter – l'ignorer – comme les autres. Alors elle ricana, d'un rire sec et méchant, persuadée que tout ça n'était de toutes façons qu'un rêve et que ce qu'elle dirait n'aurait aucune conséquences.

« Je t'interdis de dire mon nom. »

Elle plissa les yeux, fronça les sourcils, et de l'amertume qui intoxiquait ses veines, elle siffla des mots.

« Je ne veux pas l'entendre de toi. »

Arya avait peur de beaucoup de choses. Elle ne s'était jamais trouvée courageuse, ou brave, forte ou vaillante. Arya n'était pas clémente ou tendre, elle n'était pas gentille ou douce, elle n'avait pas l'espace à l'intérieur d'elle pour accueillir les autres ; parce qu'elle ne l'avait pas non plus pour s'accueillir elle-même. Elle trouvait ça trop difficile de correspondre à ce qu'on attendait d'elle, et elle avait essayé si fort que ça l'avait écorchée, déçue, brisée.

Chase, debout devant elle, sans armes, sans mots, ça ressemblait à une malédiction. Il venait remuer toutes ses culpabilités ; tout ce qu'elle n'avait pas osé dire, toute la honte qu'elle avait ressenti et qu'elle avait ravalé. Il faisait ressortir tout ce qui était laid de Arya ; tout ce qui était vrai et qu'elle ne voulait pas voir, certainement pas montrer.

Il lui faisait perdre le contrôle, et elle s'était promis que ça n'arriverait plus. Ça l'avait trop souvent trahie.

« Tu as deux minutes. »

Elle avait été froide, parce qu'elle avait peur. Arya avait donné des armes à un tas de personnes, elle avait offert des flingues et des couteaux et leur avait demandé de ne pas la massacrer. A chaque fois, ils l'avaient fait, et à chaque fois, elle s'était trouvée bête de leur avoir laissé la porte ouverte.

Chase, elle lui avait donné une arme insidieuse, invisible.
Il allait la massacrer, lui aussi. Elle ne pouvait pas permettre que ça se reproduise.

« Deux minutes, et pas une seconde de plus. Tu veux quoi ? »

Je m'excuse, avait-il dit.
Arya s'était sentie si fragile.
Elle s'était mordue les lèvres, interdite, muette, tuant un peu son cœur pour qu'il ne daigne se relever. Il était mieux là où il était : par terre et assassiné. Elle le préférait mort et enterré trop loin en elle. Elle ne avait assez de sa naïveté qui lui avait déjà trop coûté, et l'avait fait étouffer. Il avait crevé et elle l'empêchait de revivre, de nourrir l'espoir qui finirait par la déchirer encore une fois.

Mais il avait fallu qu'il dise ces mots-là, lui à qui ça coûtait tant. L'honnêteté ça la rendait fébrile. Et elle ne put s'empêcher de le trouver beau, dans son tendre aveu.

Elle n'avait pas baissé les yeux, et avait continué de le fixer ; la gêne avait oublié de l'affecter. Ses jambes étaient restées figées, et le silence pesa pendant plusieurs longues secondes après qu'il ait fini de s'exprimer. Elle voulu parler, mais aucun mot n'osa franchir ses lèvres.

Il y avait entre son cœur et sa tête un conflit qu'elle ne parvenait pas à calmer.

« Je te hais. »

Un sanglot s'était déclaré au bord de ses lèvres. La colère était montée, et quelques larmes à ses yeux qu'elle empêcha de couler. Mais les émotions étaient trop fortes et déferlaient ; tambourinaient contre son crâne et sa poitrine.

« T'étais où, putain, quand j'en avais besoin? »

Elle ferma les yeux, très fort, et serra les dents, encore plus fort. Elle se refusa la moindre larme, et devait déployer énormément de ressources pour ne pas s'affaisser. Il s'était présenté au pire moment ; juste après une heure avec Miss Lindley, Arya était toujours plus sensible.

Elle souffla, rouvrit les yeux dans un effort monstre et son regard était devenu dur, sa voix ne trembla plus.

« Je te pardonnerai pas. Je te laisserai pas me détruire une seconde fois. J'en ai assez, vraiment assez. Je suis fatiguée de vous tous, qui disparaissez du jour au lendemain, bande de lâches, je vous hais. »

Elle se persuadait. Parce que bien entendu, elle les aimait un peu trop.

« Je vous hais, tous. »

Un nouveau sanglot.

« Ne pars pas. »

Elle le sentait déjà fuir, et cette fois elle s'était mise à pleurer. Elle avait besoin qu'il l'entende, et qu'il lui réponde ; pas qu'il disparaisse à nouveau.

« Ne pars pas, s'il te plaît. »

Son corps resta figé quelques instants. Son regard l'accusait, mais l'implorait autant. Elle ne l'avait plus quitté des yeux, et resta immobile lorsqu'il s'approcha. Elle dut réprimer un mouvement en avant lorsque ses doigts quittèrent le contact avec sa joue, et mordit sur ses lèvres, légèrement. Elle ferma les yeux quelques longues secondes et en les rouvrant elle se sentit profondément triste.

La colère, entendue, avait décidé qu'avoir été reconnue et acceptée était chose suffisante pour s'apaiser, si bien qu'elle avait laissé la porte ouverte aux tristesses de son âme brisée ; aux tempêtes qui inondaient tout son éther.

Elle avait avancé d'un pas, avait traversé l'étroit portail créé par ses bras, et son front avait embrassé l'épaule qu'il lui prêtait. Les sanglots avaient déchiré le silence et dans l'explosion de ses sens, elle s'était abandonnée. Une main était venue empoigner la chemise de Chase, d'une force qui lui ressemblait peu, combattant ses violences intérieures avec vaillance.

Nerveuse, et contenue malgré tout ce qui se déferlait d'elle, elle avait faibli, et sa voix, dans un murmure, avait accompagné ses pleurs.

« T'es un con. »

Elle avait ri, d'un rire caustique, acerbe et bref, qui se moquait d'elle-même qui se jetait dans ses bras alors qu'il avait déjà fait de son cœur des miettes une fois. Elle se maudissait.

Puis elle s'était calmée, et son souffle qui toussait avait fini de s'étouffer. Son asthme comme un spectre dans la gorge. Sa main s'était détendue, mais n'avait pas lâché son haut.

« Je t'ai pas pardonné. »

Elle avait accepté ses bras comme paiement pour ce qu'il lui avait fait subir, mais refusait de le laisser encore la piétiner. Elle avait parlé pour se rassurer. Ou c'est ce qu'elle voulait croire. Mais Arya mentait mal, et était trop lucide pour se leurrer.

« Je t'ai pas pardonné, Chase. »

Elle avait fermé les yeux, froncé les sourcils.
Elle sonnait faux, bien entendu.
En serrant les mâchoires, elle avait encore répété, parce qu'elle voulait s'en convaincre.

« Je t'ai pas pardonné, Chase Fowley. »

Cause toujours.

Les paroles de Chase résonnaient comme des promesses ; comme toutes celles qu'on lui avait faites auparavant. Elle serra les dents un peu plus fort, luttant contre les émotions tendres qui s'invitaient au bord de son palpitant.

Quelques sensations qui lui rappelaient les amours promises dans la salle de cinéma en pleine nuit, quelques sensations qui lui rappelaient le soleil de Grèce sur le ponton et du vent dans leurs cheveux, quelques sensations qui lui rappelaient les souffles qu'elle avait réprimé dans les nuits agitées et tous les mots interdits qu'elle avait échangés.

Trahie ; jetée ; déchirée. Parmi toutes ses plaies encore ouvertes et trop dures à panser il avait choisi les pires à raviver.

« Tais-toi.. »

Sa voix avait creusé un chemin timide au fond de sa gorge rouée, et ses mots se perdirent sur l'apostrophe d'une voix derrière elle qui lui était familière.

« Arya. »

D'un geste un seul elle s'extirpa de l'étreinte de Chase, et ses mains avaient repoussé son corps sans force. Elle baissa les yeux et tourna à moitié la tête, sans encore faire face à Vega qui s'était invité dans le couloir.

Vega. Elle avait essuyé ses larmes et retrouvé son souffle, retrouvant pied dans le monde réel, après une éternité passée dans une autre réalité (celle qu'il avait créée en lui disant qu'il était désolé).

« — J'allais dans la grande salle. Je peux t'accompagner non ?
— Oui. »

Elle avait continué à fuir des yeux, et n'avait pas bronché lorsque la main de son ami s'empara de son poignet. Elle avait suivi son pas dans un silence de mort, et dans une lueur de lucidité, elle tourna la tête (enfin) vers Chase, lui adressant un regard qui racontait des histoires pleines de sentiments que ses mots ne parvenaient à avouer.

Avant de disparaître au tournant du couloir.