[vacances] je rêve tellement - pv ARYA

Le soleil embrasse la Grèce et ses lèvres sont ardentes. Elles épousent les côtes de sables blanc, les flancs escarpés des montagnes et l’eau très claire de la mer Egée.

J’ai observé l’oiseau de bois qui volerait bientôt sur un ciel de vagues, j’ai scruté toutes ses formes, toutes ses courbes et ses arabesques, à la recherche d’une imperfection qui aurait ruiné le tableau que je me peins depuis des mois. Aujourd’hui comme hier et le jour d’encore avant, je lui ai trouvé toutes les lignes qui me sont chères et mes épaules se sont détendues.

L’artimon était dressé droit, debout et fier dans le bleu du ciel. Il étendait ses voiles blanches comme des bras pour accoler le vent qui soufflerait bientôt toutes ses promesses et je me suis demandé s’il plairait à Arya.

Je suis allé au bout du ponton en écoutant mes pieds faire chanter ses vieilles planches dans un concert de grincement que j’ai trouvé charmant. Sans doute à cause de l’été et je me suis approché du navire pour l’examiner encore une fois.

C’était un yawl, un de ces voiliers à deux-mâts, dont la grâce se trouvait dans la finesse et l’allure intemporelle. Construit tout en longueur avec un nez aussi pointu qu’un bec, il serait comme une lame qui fendrait la mer en deux. En guise d’ailes, on lui avait donné quatre voiles presque triangulaires dont les angles raides étaient d’une assurance inexorable qui mettait au défi les intempéries.

On le savait infaillible, car de sa proue jusqu’au dernier fragment boisée de sa poupe, il avait été enchanté pour dire non à tous les caprices de l’océan, et tracer un sillon parfaitement droit jusqu’à Chios. Même moi, je ne pourrais pas le dévier de sa route une fois que la trajectoire lui sera insufflée.

Il s’appelait le Godric.

J’ai passé une main le long de sa coque en bois et c’était comme effleurer un fantasme. J’ai souri comme un gamin, un matin de Noël. Il n’était pas encore midi que mon coeur était déjà gonflé comme le seraient bientôt les toiles du chanvre du Godric et que ma joie briserait son paroxysme.

Désormais, il fallait simplement que le temps passe, que les minutes s’égrènent et que ce soit l’heure du rendez-vous. Je me suis demandé comment elle arriverait, transplanage, portoloin, balai magique et inévitablement, j’ai repensé à ce moment où ses yeux se sont clos.

Il y avait dans la douceur terrible de ce moment, une beauté d’une tendresse insoutenable. Je me suis essoufflé à tenter de la retrouver et j’espérais en revoir le bout du nez aujourd’hui.

Mon enthousiasme débordait de tous mes pores quand Arya est arrivée et de joie, j’ai souri puis je lui ai montré du doigt l’armature de mon rêve.

- C’est le Godric, j’espère qu’il te plaît.

Ne me réveillez pas.

Arya est là et il y a cette sensation des nerfs qui se tirent et qui s’échauffent. Je me suis vraiment rendu compte de sa présence, seulement quand elle a reculé un peu vers moi et que son buste s’est dilaté quand elle a carré ses épaules.

Elle était douce, presque irréelle dans le blanc léger de sa robe comme si elle portait un nuage et pour nouer sa chevelure blonde, il y a un foulard d’ivoire sertis de fleurs rouges et vertes. J’ai fait un pas en arrière pour mieux la regarder sur la toile de fond d’une mer claire et d’un ciel limpide. Sur tout ce bleu qui se confond elle était si jolie que ça m’a rendu idiot.

J’ai cligné des yeux une fois pour graver cette image dans mon crâne puis une seconde fois pour revenir à moi. Mon sourire me semblait indélébile.

Pour une raison qui m’échappe, elle me semblait plus réelle que la dernière fois, moins fantomatique, mais tout aussi susceptible de s’évaporer d’un seul coup.

J’avais envie de l’effleurer, me dire qu’elle n’allait pas disparaître comme le fait une bulle de savon, alors j’ai élaboré un stratagème un peu idiot. J’ai franchi la distance qui me séparait du bateau et je lui ai tendu ma main pour qu’elle m’y rejoigne.

J’étais heureux, j’ai parlé comme les gens heureux le font et je me suis étalé dans des lieux communs trop visités, des banalités plates et déjà faites. Mon enthousiasme débordait partout, suintait dans toutes les intonations de ma voix.

- Il fait un temps magnifique aujourd’hui. On a vraiment de la chance. Et normalement ça va être comme ça pour le restant du voyage.

Et comme ça, une fois que nous n’étions définitivement plus sur la berge, le navire s’en alla, sa carène comme une grande lame métallique, en nous emportant tous les deux sur son dos.

- Je croise les doigts pour qu’il y ait des sirènes.

Le vent s’est précipité sur nous et nos cheveux d’ors ont dansé sur ses notes capricieuses. Je me suis laissé faire un instant avant de mettre une main sur mon crâne et de me diriger à l’avant du bateau, en assurant qu’Arya soit sur mes talons.

- Et qu’on ne tombe pas sur Charybde et Scylla.

Je m’y suis assis et je l’ai invité à faire de même.

- Alors. Est-ce que tu vas bien Arya ? Tu as bonne mine en tout cas.

Il aurait fallu qu’elle me rejoigne, qu’elle prenne place à mes côtés pour que mon image d'epinal devienne parfaite, mais elle a continué jusqu’à la proue du navire.

Je l’ai fixé, une tâche de lumière sur un fond d’azur pendant que mon cerveau s’est abruti d’une joie brûlante qui en a brûlé tous les filins. Le moment était doux, mais il s’est vite assombri quand ses lèvres ont pris une couleur incertaine, en givrant dans le pastel des incertitudes.

Quand elle m’a raconté son équilibre précaire de funambule, la colère a raidi mon poignet avec une sangle de fer. Dans sa voix, un spectre de crainte semble avoir élu résidence J’irais étouffer ce tyran qui s’est arrogé un cruel privilège. Je l’étranglerai pour le déloger de ce lieu qui ne devrait pas être hanté.

Arya s’est retournée et a fait un pas vers moi. Puis un autre. Je me suis levé pour mieux plonger mon regard dans le sien. J’y mettrais tout mon espoir afin d’en éclaircir à jamais les horizons immobiles. Et si le plafond s’éboule, je me ferai Atlas pour supporter le poids d’un monde.

Elle ne sera plus seule, je me suis promis.

Et lorsque j’ai répondu, je n’ai pas eu à réfléchir.

J’espère.

Il n’y a pas de mots pour définir cette foi suprême que j’ai en la vie, en son renouveau, la capacité à se surmonter, se révéler puis se réinventer. J’ai voulu lui dire que les craintes ataviques ont toujours une fin.

J’ai avancé jusqu’au bout du navire et j’ai posé mes coudes sur la rambarde blanche. Mes mains se sont jointes pour mieux prêcher ma conviction.

J’espère parce que c’est comme ça que l’homme avance. Je ne fais pas toujours confiance à mes sens ou à ma raison. Elles te donneront toujours mille raisons d’être découragé quand rien ne va.

Je me suis souvenu de moi plus jeune, qui a presque sombré dans la mélancolie en troquant les montagnes russes de l’existence pour la platitude absolue d’un néant qui se refuse à la souffrance.

Et j’ai souri d’avoir déblatéré tant de poncifs.

J’ai repris en cessant d’être conceptuel pour lui faire une promesse.

Tu peux te réjouir autant que tu souhaites. Si tu chutes, je serai là pour te relever.

En toutes circonstances, je me suis figuré d'être assez fort pour la remettre sur pied. J’avais cette certitude-là d’être toujours assez grand pour dominer ses doutes avec toute ma stature et la garder dans un univers qui n’était fait que de joie.

C’était ici qu’elle avait sa place. Nulle part ailleurs.

J’ai eu envie de la regarder à nouveau, pour voir son expression et lorsque je l’ai vu, sous l’effet de ma poitrine qui se déploie dans toute sa largeur, j’ai réitéré le voeu de la dernière fois.

Je t’ai dit que je n’irais nulle part.

Et puis un nouveau sourire est né sur l’ourlet de mes lèvres. A partir de maintenant j’ai décidé d’arrêter de les compter. A force d'énumérer ma joie j’allais finir par me noyer dans un océan de fait.

Dans l’océan, le vrai, un pli insolite a brusquement attiré mon attention. Je l’ai pointé du doigt.

Qu’est-ce que c’est ?