unchained (Bertram)

Les rentrées à Poudlard avaient toujours ce goût doux-amer de retour à la réalité, au travail mais aussi d’une sorte de retour à la maison. A Poudlard, chacun pouvait y trouver une famille, une communauté des amis. Et en général, la rentrée provoquait une véritable effervescence chez moi. Mais pas cette année. Cette année j’étais à côté de la plaque, trop occupé à contenir ma colère pour véritablement faire attention au monde qui m’entourait. Cette rentrée, je passais en mode automatique, délaissant la façade de Bertram Godfrey pour me retrouver perdu dans l’inconnu. Quel rôle allais-je jouer cette année ? Je n’en avais pas la moindre idée.

En tout cas je ne comptais pas négliger mes études - même si le plaisir d’obtenir des bonnes notes semblaient atténué par ce nuage de coton dans lequel je me trouvais. Les cheveux attachés, je me plongeais docilement dans des recherches barbantes en alchimie. Enfin jusqu’à ce que mes recherches soient interrompues par ...Arsène Priest, qui tout sourire semblait ravie de me trouver. Tiens donc. Peut-être que si je l’ignorais, elle passerait son chemin ?

Et c’était bien raté puisqu’elle venait s’installer tout près de moi, comme si on était les meilleurs amis du monde. En ce moment j’avais besoin d’une pause de cette fade façade que j’arborais. Je ne me sentais pas capable de gérer mes interactions avec les autres comme avant. J’avais cruellement besoin de cette bulle de solitude pour éviter les dommages collatéraux mais Arsène Priest n’avait que faire des nécessités des autres et privilégiait toujours les siennes. La serpentard est bien entrepreneuse puisqu’elle se permet la liberté de m’enlever ma lecture des mains. Je relève les yeux vers elle, sans lui adresser un de ces sourires hypocrites qui me caractérise. Elle me parle de destin et de devoir et là je comprends. Le coin de mes lèvres s’étirent faiblement en un sourire sardonique.Evidemment. Il n’y a rien de drôle pourtant.

Tiens donc ?

Cette fausse innocence prend des airs d’ironie dans ma bouche. Je sais déjà ce qu’elle va me demander. Et je connais déjà ma réponse.  Me penchant nonchalamment en arrière, je croise les bras, défensif.

T’aider ? Je pourrais t’aider, Priest, mais faire tes devoirs à ta place c’est autre chose. Compte pas sur moi.  

Pour la première fois c’est un “non” catégorique qui sort de ma bouche. Où était passé le Bertram docile qui aurait souri et accepté ? Celui qui laissait passer ses caprices juste dans l’espoir de gagner un statut privilégié auprès de son frère ? Et bien Bertram n’en avait plus rien à foutre. Je tends le bras pour récupérer mon livre.

C’est peut-être pour ça que t’es si nulle en potions d’ailleurs….Réfléchis là-dessus.

Je devais admettre qu’il y avait quelque part au fond de moi un étrange sursaut de satisfaction à la voir bouche bée. A ce stade c’était presque un plaisir triomphant de pouvoir dire “non”. Simplement “non”. Pas d’entourloupes, ni de machinations, pas besoin de prendre sur soi. Juste un “non” libérateur. Un tout petit mot de trois lettres pour une si grande victoire : une minute de silence de la part d’Arsène Priest.

Dommage qu’une heure de gloire soit si temporaire.

Et dans cette tension qui venait de s’installer dans la bibliothèque, son petit rire paraissait fait et ressemblait à un aveu de faiblesse. Un appel de détresse. Ma biche ? Vraiment ? Elle ne m’avait jamais appelé comme ça.  Elle qui me prenait pour le tapis de service, elle qui me prenait pour acquis, elle me voyait dériver loin de cette emprise qu’elle pensait avoir sur moi. Tout ça n’était qu’un mensonge.

J’inspire, en réalisant qu’il ne s’agit que d’une stratégie pour m’adoucir.

“Amis” c’est marrant comme mot.

Je ne détestais pas Arsène Priest, mais de là à dire qu’on était amis...je connaissais bien cette stratégie, tenter de construire des ponts pour la sauver. Des “amis” je pouvais les compter sur les doigts d’une main...et encore je n’étais pas sûr de moi. Peut-on vraiment être ami avec quelqu’un lorsqu’on se cache et qu’on se réserve comme je le fais ? Sans prise de risque ? Je me tourne vers elle avec un léger sourire, à voir claire dans son jeu  

Okay. Si on amis...je vais le faire. Mais uniquement si t’es capable de me dire ma date d’anniversaire, mon numéro de maillot au quidditch et ...ma couleur favorite.  

Et là j’attends - sachant pertinemment qu’elle serait incapable de répondre à ces questions.

Je n’ai rien contre toi. Je n’ai juste .. plus envie de continuer à te laisser profiter de moi. Si tu réfléchis deux secondes tu vas réaliser que demander à quelqu’un de faire tes devoirs ce n’est pas t’aider bien au contraire.  

Et là je m’arrête un instant, figé dans ma réflexion. C’est vrai qu’au final...lui dire non c’est plus agir de façon amicale…. avant de poursuivre à voix basse.

Bref, ce n’est pas te rendre service et je ne serai plus complice de ça. T’es une grande fille Arsène, t’as deux heures, fais tes devoirs.

Et de croire à nouveau - et à tort - que la conversation s’arrêtait là.

Je m’attendais à des tentatives hypocrites, à des protestations. Je m’attendais aux caprices de petite princesse pourrie gâtée qu’était Arsène Priest, la jeune fille qui accepte si rarement un “non” en guise de réponse. Je ne m’attendais pas à ce que mon argumentation fasse mouche et qu’elle accepte simplement. Peut-être qu’elle avait compris ce que je voulais dire ? Ca me surprend carrément, mais je ne vais pas me plaindre : il est temps qu’elle grandisse et arrête de traiter les autres comme des paillassons, comme ses domestiques attitrés. C’est pas le moment de montrer que t’es déconcerté par un simple “d’accord’, Bertram. Si seulement la suite n’était pas tout autant sortie de la 4ème dimension.

Qu’est-ce qui a changé ? Tant de choses. Mais est-ce que ça l’intéresse vraiment ou bien s’agit-il d’une manipulation habile pour m’amadouer ? Plissant les yeux d’un air méfiant, je lui demande dubitatif :

….Ca t’intéresse ?

Qu’est-ce que ça peut te faire - mais je n’ai pas été aussi sec, lui accordant le bénéfice du doute tant que je n’aurais pas confirmation d’une éventuelle fourberie qui se trame sous son regard brillant. Ne jamais sous-estimer un Priest, c’est bien connu. je lui confirme :

Ca n’a absolument rien à voir avec toi.

Je ne sais pas si ça la rassure ou si ça la déçoit, j’ai mal évalué l’étendue de son narcissisme. Est-ce que je devrais lui dire tout ce qui me passe par la tête ? Est-ce que je devrais lui avouer que je n’ai jamais vraiment été celui que je prétendais et que ça fait un bien fou de lui dire simplement “non” au lieu d’essayer de faire plaisir à tout le monde et de paraître parfait ?

Il ne s’est rien de passé de spécial c’est juste….moi. J’ai changé.  

Ce qui n’était pas totalement faux. J’aurai pu lui parler de Beckett mais à part m’encourager, Beckett n’avait pas grand chose à voir avec ma transformation. Parce qu’il n’y avait pas de transformation - juste un peu plus de vérité.

Arsène Priest, la grande impératrice de Poudlard, inquiète à mon sujet ? J’y croyais à moitié. J’aurai aimé y croire, me dire que derrière ses réclamations et ses caprices se cachait un véritable intérêt pour moi. Ca m’aurait flatté un peu l’égo qu’on me dise que j’étais indispensable et qu’elle appréciait ma personnalité rayonnante. Si c’était le cas, je pense que je le saurai et que je ne la croiserai pas uniquement lorsqu’elle avait besoin de faire ses devoirs. Triste et cruelle vérité. Il y a quelque chose dans ses mots qui me dérange et m’arrache une petite grimace.

 A tes côtés ? Tu me prends pour ton pote ou pour ton chien ?

La distinction était difficile à déterminer.

Peut-être que si tu t’étais davantage investie dans notre  “amitié” ça serait le cas.

Car oui, c’était un aspect à ne pas négliger. Les gens ne partent pas juste pour des raisons extérieures, parfois ils partent parce qu’on ne parvient pas à les retenir. Je ne peux pas m’empêcher d’éclater de rire quand elle débute ses hypothèses. La perte d’un chien ? Un rire qui se mue en un ricanement.

T’es complètement à côté de la plaque.  

Et comme c’est souvent le cas, lorsque quelqu’un insulte ou diminue ou même lorsqu’on enquête, ça peut parfois nous en dire plus sur nous-même. Arsène semble bouleversée par le mot obscène qui vient de franchir ses lèvres. l’amour. Tiens donc. Voilà qui est intéressant. Mon regard curieux se referme sur elle, comme un étau.

Qu’est-ce qu’il y a Arsène ? Quelque chose ne va pas avec l’amour. ?  Ca te semble impossible ?

Tapie dans le ton doux de sa voix, je perçois néanmoins la menace vibrer et gronder. Tu veux vraiment parler d’amour avec moi, Godfrey ? Honnêtement, je préférais éviter m’avancer sur un sujet que je ne maîtrise pas totalement. Je préférerais de loin parler de comment contrer un objet enchanté par de la magie noire ou encore des variations sur la potions wiggenweld. Mais soit. C’est avec une courtoisie tout aussi authentique que sa douceur que je lui réponds :

Et bien, ma chère, c’est toi qui a amené le sujet, non ?

Je ne fais que la regarder alors qu’elle se prend les pieds dans le piège qu’elle a tendu. Ca la gêne de toute évidence. Dans ses tentatives corporelles d’échapper à ce châtiment, je retrouve les expressions d’une simple adolescente en proie aux tourments amoureux - ou à l’absence de ces tourments justement.  Au moins je maintiens ma poker face et mon bluff tient bon. Je dois avoir plus d’expérience qu’elle.

Pourquoi est-ce que je me moquerai ?

Mon regard s’adoucit. Je voulais juste la taquiner un peu, pas être totalement cruel - surtout sur un sujet aussi sensible. J’ai été comme elle aussi, un jour. A contempler l’affection qu’on pouvait me donner comme un saint-graal, hors d’atteint. A le désirer et le rejeter en même temps. Et pourtant...j’avais eu de la chance de trouver Beckett.

Sois patiente, ça viendra. De toute façon les garçons de ton âge n’ont pas les idées claires.

Je le sais - j’en ai été un. Je me repenche sur mon travail, ajoutant mon petit grain de sel.

Mais peut-être que pour ça, il faudra arrêter de considérer les autres comme tes domestiques, Priest.