Netflix & No Chill | Syka

Le salon est très calme cet après-midi, peut-être que la majorité des élèves préfère sortir à Pré-au-lard, ou peut-être certains ont-ils la présence d'esprit de faire leurs devoirs plutôt que binge watcher une énième série sur Netflix. Pas Leslie. Les devoirs, c'est une construction sociale. On fait ce qu'on peut pour justifier la procrastination, pourquoi faire tout de suite ce qu'on peut remettre au dimanche soir 22h?

Il y a très peu de monde dans le salon, et c'est très bien, on apprécie davantage une série quand on peut s'immerger parfaitement dans l'ambiance, en l'occurrence mystérieuse et horrifique. Thriller psychologique entrecoupé de quelques jump scare, énième remake inspiré de Stephen King fraîchement sorti de l'usine Netflix et dont on dirait que Lee a été payé pour en faire la promo, puisqu'il bassine tout son entourage avec ça depuis que la sortie a été annoncée.

Il a fini par convaincre Syka de le rejoindre 'pour mater les deux premiers épisodes', et ça fait bientôt 3h qu'ils sont plantés devant le petit écran de son pc, un bol vide entre eux deux, des pop-corns tombés à la guerre sur les genoux, plusieurs couvertures et des coussins dans le meilleur canapé du coin. De temps à autre l'ambiance pesante de la série, appuyée par une bande-son minimaliste, est entrecoupée par le soda de Leslie, ou plutôt la paille de Leslie, ou plutôt le bruit que fait Leslie quand il aspire le fond de son soda avec sa paille. Après 3h de série, 4 épisodes et demi et un bol de pop-corn XXL plus tard, on est bien incapable de savoir combien de fois on s'est resservi. L'inéluctable se produit entre la 44e et la 45e minute de l'épisode 4 de Sometimes They Come Back sous la forme d'un grognement à moitié enfoui sous les couvertures. Leslie est installé en 'position latérale de sécurité, mais à la verticale'. Il n'a pas peur, non, mais il aime construire des cabanes pour une personne sur le lit ou le canapé.

LEE ❖ Je rreviens, j'ai bu trrop de soda.

Oui, ça l'emmerde de quitter l'épisode avant la fin, mais il peut sprinter (il en a la force et la motivation) aux toilettes et revenir avant le générique, s'il rate quelque chose d'important Syka pourra lui résumer.

LEE ❖ T'as pas besoin de mettrre pause. Mais touche pas à mon historrique où tu en saurras trop et je serrais obligé de t'éliminer.

Il répète toujours ça avec un air trop sérieux, comme si on parlait de son historique internet, alors qu'il s'agit juste de ses préférences Netflix. Est-ce que papa et maman Beckenridge ont oublié d'activer le contrôle parental ? à croire que Lee regarde des trucs compromettants et pas du tout adapté à son âge. Y'a peut-être deux-trois hentai dans le fin fond des abysses de sa liste, pour sa culture générale ÉVIDEMMENT, mais c'est à 70% un ramassis de shonen un peu barrés et d'œuvres d'art intemporelles comme Cowboy Bebop et Ghost in the Shell. Ah, oui, il y a du MLP aussi. Mais ça, ce n'est pas un secret.

Il n'aurait pas dû y aller en chaussettes, quelqu'un a laissé des flaques d'eau dans le couloir, est-ce qu'on a décidé d'inonder tout l'étage pour un projet d'art? Et personne ne le prévient? Lee marche en crabe le long des murs, il perd un temps fou, ça le tue! Quand il peut enfin revenir vers le salon commun, il a les chaussettes trempées mais la vessie vide, il espère juste qu'il n'a rien raté.
Il trouve Syka dans le salon, normal, devant le pc, normal. Lee arrive dans son dos mais pas besoin de voir l'écran pour entendre de la musique, c'est un générique. Et ce n'est pas normal.

Il le reconnaît.

Entre mille il le reconnaîtrait.

C'est sa série préférée.

Il pourrait chanter sur Tank! s'il n'était pas paralysé. Incapable de bouger. Il écoute tout le générique. C'est son générique préféré. Il l'a entendu des milliers de fois. Il pourrait le dessiner les yeux fermés. C'est rassurant et familier. Ça l'aide à avancer derrière le canapé.

LEE ❖ Tu me le dis, si je te dérrange.

Le ton est froid, détaché. La voix tremble aux extrémités, c'est pire, alors sans attendre de réponse Lee contourne la table et lève le pied pour fermer l'ordinateur portable d'un coup sec et théâtral, avec sa chaussette encore détrempée. Karaté kid du dimanche. Lee ne réfléchit pas, il ne peut pas dire s'il est en colère, déçu... flippé.

LEE ❖ Je pensais qu'on était potes!

A peine dramatique. Et il a l'air malin, le pied sur le pc, les mains sur les hanches et les chaussettes en laine imprimé père noël. Syka est juste un pote avec qui il regarde des séries. Pas besoin d'en faire une scène. Pourquoi est-ce qu'il se sent tellement trahi?

SYKA ❖ J'ai pas fait exprès, Lee. Je te jure. Tu sais que je suis pas doué avec la technologie, je voulais juste préparer le prochain épisode et je suis tombé sur ça. J'voulais pas t'offusquer ou quoi.

Offusquer. C'est un grand mot, ça. Il offusque encore davantage Leslie, qui réalise le ridicule de la situation. Mais comme le skieur lancé sur du hors piste, il réalise aussi qu'il est déjà trop tard pour s'arrêter. Il grommelle:

LEE ❖ Ouais ouais ouais… tu sais pas appuyer sur pause, peut-êtrre?

Il connaît assez Syka pour savoir qu'il ne lui ment pas. Et les mots de Lee sont moqueurs, mais le ton embarrassé: il cherche à gagner du temps, pendant qu'il vérifie ce que son camarade de séries a vu exactement. Il se baisse pour récupérer l'ordinateur et l'ouvre face à lui.

SYKA ❖ On est potes! On ne peut plus être potes, maintenant?

Leslie ne répond pas, il scrolle sur l'écran et la liste de l'historique et plus il descend, plus il pâlit. Il ne se rappelait pas avoir autant de… ça. Est-ce que Syka a lu tous les noms? Il n'y connaît peut-être rien. Peut-être qu'il ne sait même pas ce sur quoi il a cliqué.

SYKA ❖ Je suis désolé, Lee, j'voulais pas...

Il lève les yeux pour lui lancer son regard suspicieux, mais Syka ne le voit pas, car Syka a baissé les siens sur le sol. Il a l'air beaucoup trop mal à l'aise. Et Leslie a l'air beaucoup trop en colère aussi. Mais c'est son historique, quoi! C'est comme violer sa vie privée, non? Surtout s'il demande expressément de ne pas le faire… Il repose l'ordinateur un peu brutalement et se rassied au fond du canapé. Il ne veut plus regarder Sometimes They Come Back. Mais, maintenant, il a vraiment envie de se cacher sous sa couverture.

LEE ❖ C'est superr personnel!

Syka sait sûrement déjà tout ça et un regard en biais confirme à Lee qu'il ne réussira qu'à le faire culpabiliser davantage. Eh bah. Il l'avait prévenu! D'abord. Non mais. Hé. Quand même. Il ne va pas s'excuser de l'avoir fait culpabiliser, alors que c'est lui qui a regardé son historique?

C'est difficile de trouver une réponse à cette question, Lee réalise, que la culpabilité de Syka le fait culpabiliser aussi. Il pourrait avoir l'air moins déçu, ce serait plus facile… Leslie regarde en face de lui pour ne pas être influencé par son air de chien battu quand il rajoute:

LEE ❖ J'ai jamais montrré mon historrique à perrsonne. T'as pas intérrêt à en parrler, ou on serra vraiment plus amis.

Il a envie de prendre l'air menaçant, mais sa voix est juste au-dessous de son timbre habituel. Elle a l'air blessée. Blessée et geignarde. Lee grimace. Il s'agace lui-même.

La promesse de Syka est si rapide qu'on ne peut douter de sa sincérité et c'est ça, plus que les mots, qui finit par convaincre Lee d'arrêter de bouder. Parce que oui, il boude. Lui. Grand garçon de 15 ans. Parfois, il pourrait se mettre des claques. L'amusement de Syka lui arrache un soupir, pas totalement détendu, mais plus vraiment fâché non plus. C'est difficile de rester fâché contre lui, Lee vient de réaliser. Ce n'est pas la première fois qu'il s'énerve contre quelqu'un, vraiment pas, mais il y a des gens, parfois, qu'on a du mal à détester. Ou peut-être est-ce parce que la raison est si futile, et pourtant si importante aux yeux de cet adolescent exubérant.

SYKA ❖ Mais tu sais, c'est pas honteux d'aimer les dessins animés!

Lee retient un grognement. C'est positif, finalement: ça signifie que Skya n'a aucune idée de ce qu'il a réellement découvert.

SYKA ❖ Moi, je trouve ça cool!

La remarque le fait sourire, cette fois, il est gentil d'essayer de le rassurer. Alors Leslie prend la peine de lui expliquer, en essayant de ne pas prendre un ton pédant ou excédé:

LEE ❖ C'est pas des dessins animés, Syka, c'est des anime. C'est japonais. Et la fanbase est pleine de kikoo japs wannabe ninja et j'ai pas du tout envie d'êtrre associé à ça.

Salut, je m'appelle Lee et je ne suis pas du tout sectaire. Il hausse les épaules, non pas envie de regarder la série, mais il ne sait pas pourquoi, il n'a pas envie de lever ses fesses du canapé non plus. C'est qu'il doit être sacrément confortable. Il s'enfonce même davantage sous les couvertures. Un ricanement lui échappe:

LEE ❖ Tu veux un courrs de dessin?

Après tout, pourquoi pas? Il préfère faire son éducation en arts plastiques plutôt qu'en japanimation. Lee se lève d'un bond et attrape son ordinateur:

LEE ❖ J'vais cherrcher mon matérriel! Tu veux v'nirr? On peut aller dans mon dorrtoirr. Ou on peut rrester ici, tant que y'a perrsonne.

Lee n'a pas la patience d'enseigner à plus d'un élève à la fois, et il n'a pas envie de voir débarquer des touristes qui penseraient qu'il t'apprend gratis à tenir un crayon. Mais avec Syka, ça devrait aller. Lee soupèse le pc entre ses bras, objet de la traîtrise, il a hâte de le planquer sous son lit ou dans une faille spatio-temporelle pour oublier le moment de gêne extrême qu'il vient de vivre. On parle d'un mec qui se balade en chaussettes avec de la peinture sur les bras, quand même. C'est pas rien.

Syka a beau lui dire que Lee est bien meilleur que lui en dessin, le chevalier ne sait pas encore ce pour quoi il vient de signer. Il a très peu d'élèves en dessin, la majorité des gens qui s'intéressent à l'art peuvent rejoindre le club, et la pédagogie demande une patience et un temps qu'il n'a pas. Trop occupé à courir dans les couloirs avec de la peinture sur les mains. Sur l'injonction de Syka, Leslie enroule sa couverture autour de ses épaules, telle une cape, et prend la pose:

LEE ❖ Le dortoirr serra donc notre destination. En selle, mes brraves!

Il ne parle à personne en particulier. Parfois, c'est comme s'il avait son propre public imaginaire. Lee tient la porte pour Syka dans un geste exagérément théâtral et ils prennent ensemble la direction du septième étage. En chemin, il remarque que la couverture de son aîné glisse sur le sol derrière lui. Il sourit. On dirait soit une cape, soit la traîne d'une robe de mariée. Lee se penche pour la ramasser en chantonnant la marche nuptiale. Ils arrivent devant le portrait de la Grosse Dame.

LEE ❖ Aprrès vous! T'es déjà venu? Oh, le mot de passe, c'est Crrème Canarri!

La Grosse Dame ne bronche pas.

LEE ❖ Crrème Canarri?

Les doigts agacés de Lee tapotent contre son ordinateur portable et il répète, en effaçant son accent écossais, et en prenant une intonation british exagérée:

LEE ❖ Crème Canari~

Le tableau s'efface pour les laisser entrer. Lee lève les yeux au ciel. Il n'arrive pas à croire que la Grosse Dame soit réellement sourde à son accent... Poudlard se situe quand même en Écosse! Elle doit sûrement se venger de la fois où il a peinturluré le mur autour d'elle et ça avait débordé sur son cadre, un peu. Pas de quoi lui faire la gueule pendant des semaines! Leslie hausse les épaules et mène Syka jusqu'à son dortoir. Le côté de la pièce qui lui appartient est aisément reconnaissable: c'est le plus coloré, et aussi le moins bien rangé. Leslie pousse du pied quelques t-shirts abandonnés au sol, enjambe un chevalet mal plié et range deux énormes boîtes de pastels qui encombrent son lit, avant de faire signe à son camarade:

LEE ❖ Je vais sorrtir des crrayons. Fais comme chez toi.

Leslie contourne son lit pour fouiller dans sa table de nuit. Il en sort deux crayons à mine grise et pioche un cahier à dessin A4 dans une pile assez impressionnante de ses congénères, certains pleins de peinture, d'autre de croquis au fusain. Celui-ci sert clairement de base à des ébauches et gribouillis sans queue ni tête. Leslie l'ouvre sur une nouvelle page et le pose devant Skya, l'intérêt étincelant au fond de ses prunelles adolescentes. A-t-il oublié sa frustration passée? Possible. Lee est dans son élément et rien ne pourrait détourner son attention maintenant. Il s'assied en tailleur et fixe très sérieusement Syka. L'ombre d'un sourire soulève un instant le coin de ses lèvres:

LEE ❖ Dessine-moi un mouton.

Bonus:

Le chevalier Lancelot est bien content que son camarade de séries joue le jeu quand ils quittent le salon commun avec des gestes théâtraux. Il se sent dans son élément et sa gêne s'est presque envolée. Pas tout à fait. Lee est encore un grand enfant, et les blessures des enfants piquent un peu même désinfectées et ornées d'un joli sparadraps. Sparadraps qui sont d'ailleurs sa spécialité.

Syka connaît la maison, pas besoin de faire visiter, et pas le temps non plus: ils sont en mission! une fois arrivé dans le dortoir que Lee partage avec trois autres (malchanceux) camarades, les choses sérieuses peuvent commencer. Leslie Beckenridge dans son univers artistique, qui tend la main à son élève débutant, dans sa grande magnanimité. Enfin, ça, c'était avant de voir la gueule de son mouton.

LEE ❖ Euh. Mais t'es vrraiment naze en fait.

Lee est comme les enfants: spontané, brutalement honnête. Parfois méchant, et parfois même pas volontairement. Il se gratte la tête. Ses cheveux roux dansent en épis au-dessus de son crâne de professeur improvisé, très concentré. Il a bien vu à l'expression sérieuse du Poufsouffle quand il relevait son défi, puis son sourire en lui offrant le résultat, qu'il avait fait de son mieux. C'est gênant... ça craint encore plus.

LEE ❖ J'veux pas dirre que c'est moche! C'est juste, euh… difficile de dirre si c'est un nuage, une tache, ou un mouton sous LSD.

Dans sa grande ignorance en la matière, le chevalier essaye de faire preuve de pédagogie.

LEE ❖ Mais c'est pas grrave! Je vais te montrrer...

Il prend le cahier des mains de Syka, un crayon qu'il avait machinalement glissé derrière son oreille, et sur la même page, il dessine un mouton. Il trace d'abord un ovale à l'aide de plusieurs petits cercles légers, pas tout à fait fermés, qui se superposent pour créer la forme qu'il souhaite au final. Quand il est sûr d'elle, il appuie davantage la mine pour tracer des contours qui de nuageux deviennent cotonneux. Il ajoute une petite tête en forme d'aubergine d'un côté et quatre bâtonnets pour les pattes. C'est un mouton plus cartoonesque que réaliste, mais il essaye de coller au mieux au style de Syka. S'il commence à crayonner une œuvre d'art il ne va que le décourager. Et les moutons, c'est pas tellement sa passion.

LEE ❖ Tu vois? On s'en fiche que mon mouton soit pas rréaliste, l'imporrtant, c'est qu'il est comme je l'imaginais dans ma tête. Vas-y, je te laisse dessiner son exprression. Comment tu l'imagines?

Toi, tu trouves qu'il a l'air con. Tu cherches un nom à la hauteur pour ce mouton, mais à part ceux des gens que t'aime pas, tu trouves rien de concluant.

LEE ❖ J'vais l'appeler Pan!

Tu ricanes, avant de reprendre ton rôle d'enseignant.

LEE ❖ On va rrecommencer avec une idée plus simple, d'accorrd? Y'a un objet que t'as toujourrs surr toi? Ou une photo que t'aimes beaucoup?

Avec un modèle, ce sera plus facile. Et il faut que ce soit quelque chose que Syka connaisse bien.

Lee range son crayon derrière l'oreille et le dessin sur le côté. Pas sa plus belle œuvre, mais dans la catégorie gribouillis, c'est vraiment pas mal! Syka le complimente et Lee étant Lee, rit très fort pour cacher tout ce qui le touche:

LEE ❖ Ahahaha pff, mais nan, c'est facile ça!

Ce qui n'est pas très pédagogue, but. Well. Lee professeur, on aura tout vu… Il se gratte le crâne:

LEE ❖ C'est pas vraiment du talent, t'sais. Surrtout beaucoup de prratique. Je suis sûrr que toi aussi, t'es doué dans un trruc que t'aimes beaucoup…

Il envisage la pièce que Syka lui présente et avance:

LEE ❖ Les échecs, peut-êtrre?

Le Poufsouffle semble avoir la patience nécessaire pour pratiquer ce jeu intellectuel et ma foi fort éloigné de toute activité dans laquelle Lee pourrait se lancer. Trop statique. Trop lent. Trop… intellectuel, oui.

LEE ❖ J'ai jamais joué, mais je comprrends rrien. Tu vois!

Il hausse les épaules en ouvrant les bras, comme si ça expliquait tout. Lee pas doué aux échecs mais doué en dessin. Syka pas doué en dessin mais doué aux échecs. La balance était restaurée, l'équilibre de l'univers sauvé. Lancelot est content que son élève comprenne tout de suite où il veut en venir. Il croise les bras avec un hochement de la tête pour féliciter le Poufsouffle, avant de faire silence le temps qu'il dessine la pièce d'échec. C'est un cheval blanc. Lee ne sait pas du tout à quoi ça correspond. Il regarde attentivement.

Quand Syka a fini, il prend le dessin et tend les bras pour le regarder à une certaine distance, avant de le rapprocher soudain à 10cm de ses yeux. Il le retourne ensuite vers l'élève et affirme:

LEE ❖ Ça m'a l'airr pas mal, tout ça! Tu connais bien ta pièce. C'est ta prréférrée? … Et tu vois, t'es pas nul. Le dessin, c'est de la prratique, mais surrtout beaucoup d'obserrvation. Ça perrmet de comprrendre le monde qui t'entourre!

Il tend la main pour demander à Syka la permission d'observer sa pièce d'échec de plus près.

LEE ❖ Parr exemple, si tu ne l'avais pas autant obserrvée, tu ne saurrais pas qu'il y a des taches, ici, et là. Et l'usurre de ce côté, tu ne la verrais pas.

Il hésite. Mais il lui semble que Syka est prêt pour une question plus difficile. Passer à l'étape suivante, tout doucement. Et surtout, lui faire comprendre l'importance de l'observation.

LEE ❖ Tu dirrais qu'elle est de quelle couleurr, cette pièce?

Lee observe attentivement son (pas) jeune élève, enfin son padawan, alors qu'il répond à une question qu'il juge difficile. Tout dépend de sa vision du monde. Il lui semble que Syka a un regard très objectif sur sa pièce d'échec, très scientifique presque. Il analyse la saleté, les traces de vieillesse du pion, en déduit des choses que Lee entendrait sûrement dans... un cours d'archéologie? Sa tête se penche, à gauche, à droite, alors qu'il cherche la meilleure façon de répondre. Ce qu'a dit Syka n'est pas faux, mais ce n'est pas juste non plus. Tout est question de point de vue.

LEE ❖ Tu caches bien ton jeu... t'es trrop un intellectuel, en fait!

Il se frotte le menton.

LEE ❖ Tu vois les choses de façon intérressante, Syka. Je vois aussi du jaune. Et...

Il passe sa main par-dessus la pièce.

LEE ❖ Avec un peu d'ombrre, je vois aussi du verrt à la place du jaune. Si je la mets au soleil, parr contrre...

Soleil, c'est vite dit... les quelques rayons qui traversent la fenêtre adjacente à son lit sont arrêtés par des collages de gribouillis et de peinture contre la vitre. Lee prend la pièce et la fait tourner sous la lumière dorée de fin d'après-midi. Le chevalier s'exclame, enthousiaste:

LEE ❖ Tu vois pas du rrose dans cette ombrre?

Il fait sauter le pion dans sa main, avant de le rendre à Syka:

LEE ❖ Alors, ta pièce, elle est pas vrraiment blanche en fait. Mais c'est pas la seule! Où que tu rregarrdes, tu trrouverras jamais une seule couleurr... si tu rregarrdes bien!

Il s'affale en arrière sur son lit et croise les bras.

LEE ❖ Ce serra ton devoirr pourr la prrochaine fois! Cherrche des couleurrs dans les ombrres!

Il n'avait pas prévu de donner du travail à Syka, mais après tout c'est un professeur, et les élèves doivent s'exercer pour progresser! En art, il ne suffit pas d'avoir un bon coup de poignet, il faut aussi avoir l’œil. Et ça, ce n'est pas forcément inné. Mais ça peut s'entraîner.

LEE ❖ Qu'est-ce que t'en dis? Je ferrais un bon prrof?