déraison // Lune

Le temps est long. Comme indéfini. Et tu t'éternises sur mon portable, à croire qu'il t'en faut, du temps, pour un numéro ? Oh non, et je ne suis pas tout à fait stupide... Du temps pour ajouter un contact, à moins que tu décides de remplir toutes les mentions adjacentes... QOù est-ce que tu fouines ? Je te regarde mais tes doigts ne pianotent pas tellement. Sur quoi tu scrolls ? Il m'est trop tard pour lire tes lèvres car trop concentrée sur tes mains, je n'ai pas saisi tes premiers mots. Belle? Je sais que tu me trouves belle. C'est mes photos que tu regardes ? Mes selfies, presque dénudée, mes portraits de famille, avec douce mère-grand, les clichés d'arbres, qui crèchent dans la forêt, les photos flous de Romeo, maquillé en désastre ?

Ca m’intrigue mais je te sens honnête. La question se posera d’elle-même, tandis que tu me penseras complètement tienne. Comme un pique pour chatouiller ce que tu pensais acquis, simplement guidée par l’amusement, quand bien même il ne fait aucun doute que je t’appartiens toute entière… Mais pas sans crasses. Oh non Archibald tu n’es pas parfait et rien ne m’oblige à l’être.

Mais que racontes-tu ? Bercée dans mes songes, soudainement, tu me parles… de… comment rentrer dans le dortoir des filles... En y réfléchissant tu t'adresses soudainement à autrui. Je me décale et tu fermes cette armoire détentrice de quelques uns de nos baisers, puis te retourne pour parler à l'enseignant –je suppose, c'est le seul qui semble agacé par notre présence. Bonne enfant toujours éduquée dans l'excellence des politesses et surtout pour toujours jouir de mes quelques absences pardonnées, je souris, m'extirpe avec toi hors de cette salle qui, c'est définitif, demeure à ce jour ma préférée de tout le château.

Enfin ! Je détiens à nouveau mon portable, une éternité sans lui et j'ai presque cru que jamais tu n’oserais le remettre dans mes mains. Sans m'attarder sur les contacts, je préfère te lire, patiemment... Un sourire se dessine lentement. Tu prends la confiance mon tendre, tu me racontes des romans... Une sorte de carte au trésor pour venir te retrouver la nuit. C'est ambitieux, Archibald. Plus ambitieux que moi, ça me surprend. Je sais déjà que ce soir ce sont mes draps qui me couvriront, et si tes bras ni sont pas c'est que je suis têtue et toi pas si gourmand.

J'aimerai t'embrasser, encore mille fois. Mais précieuse comme un diamant j'instaure une retenue, simplement pour que tu me désires ardemment Archibald, à la seule lumière de mes caprices. Parce que tes yeux me dévisagent et je ne comprends pas d’où vient cette peine si subtile lorsque tes lèvres me font perdre la tête… Et j’ai peur que tout soit fragile, qu’un rien puisse te lasser.

« Bye bye, bolosse.»

Parce qu’Archibald, on va pas se mentir : beau gosse, bolosse… à la simple lecture de tes lèvres, ça sonnent pareil. Et ce n’est pas pour me moquer, non, simplement pour que tu n’oublies pas que ma surdité nous prévoit tant de misères, tu n’imagines même pas.