[SPEED-DATING] I don't belong here ft. Fenry

Qu’est-ce que quoi ? Ce que je fous ici ? Mais je… Je discute avec toi ? Et je participe à une activité organisée par l’école parce que mon meilleur pote a décidé que je devais passer à autre chose ? C’est pas la bonne réponse on dirait parce que je me fais engueuler. Wow. Pour une fois que c’est pas moi qui fait la leçon aux gens je pense que je vais être ému. Enfin, je le serais, si on n’était pas justement en train de m’engueuler. Pourquoi ce serait si mal de laisser tomber ? Je dois respecter sa décision, quand même. Quand on aime quelqu’un on ne le force pas à faire ce que l’on veut. Du moins c’est ma vision des choses, mais on dirait que ça non plus, ça ne te plait pas. Me ressaisir ? Moi, un loser ? Si c’est l’étiquette que je dois porter pour respecter les sentiments de celui que j’aime et lui permettre d’être heureux alors… Wait what ?! Mais dis pas son nom à voix haute c’était supposé rester entre lui et moi !

Est-ce que je viens d’admettre mentalement que j’ai déjà roulé une pelle à Bertram ? Welp, si c’était pas le cas je viens de le faire. Shit. Au moins tu te calmes, à mon grand soulagement d’ailleurs. Non mais ça va pas ? Y’a plein de gens qui regardaient par ici, je ne voudrais pas lui attirer des ennuis avec son copain. Il mérite que j’aille lui parler ? Je ne sais vraiment pas.

« Et pour lui dire quoi ? Je sais pas, je suis pas doué pour ces trucs. J’étais pas là en premier, je suis un semi-vampire, tout ça. Quelque part… Enfin. »

Je soupire, le cœur lourd. Très lourd. Je me bats pour le bonheur des autres, jamais pour le mien. Je veux être une bonne personne, avoir une influence positive et montrer que moi aussi, malgré ce que je suis, je peux être un bon ami, une bonne fréquentation. Lui gâcher la vie et insister trop et risquer de briser la relation qui le comble déjà avec quelqu’un d’autre ce serait pas… Fais chier.

Arrêter de me sacrifier ? Ma mâchoire se serre et mes bras se sont croisés. J’entends tes mots, pour de vrai, mais… J’ai pas le choix d’être comme ça. Autrement il y a le risque que je devienne une personne néfaste, que je prenne trop. C’est ce que les gens comme moi font, c’est ce que les vampires font. Ils se nourrissent des autres, ils sont toxiques et dark et edgy et ils enseignent aux adolescentes que c’est bien d’être dans une relation malsaine depuis 2005. (Oui, c’est la date de parution du premier tome de Twilight) Une personne formidable ? Je déglutis. J’essaie, vraiment, mais je ne sais pas si j’irais jusque-là. J’ai quand même embrassé un gars qui est en couple, en sachant qu'il est en couple, et je ne le regrette toujours pas. C’est un peu un move de connard. Quoi que, comme disait Gus, il faut être deux pour… Faire rouler des instruments de jardinage. Bref.

Certes, Bertram est capable de faire ses propres choix, c’est un fait. Et il est intelligent et curieux et ouvert d’esprit. Il n’a jamais vraiment eu peur de moi. Dans la théorie je suppose qu’il y a du vrai dans ce que tu dis. Qu’est-ce qui me freine ? Mon éthique, probablement. Puis, quelque part, s’il avait vraiment voulu être avec moi je suppose que je le saurais déjà. Que Bertram aurait fait un mouvement en ma direction, quelque chose. Je soupire de nouveau, bras toujours croisés et bien plus sérieux à présent.

« Alors peut-être que c’est toi qui as raison. Peut-être que je suis un loser. De toute façon pourquoi est-ce que ça te tient tant à cœur ? »

Ceux qui le méritent ? Qu’est-ce qui te fais dire que… Bon, okay, la lecture dans les pensées c’est peut-être un bon argument. Je dois l’avouer. Mais ça ne veut rien dire. Il faut plus de trente secondes passées dans mes réflexions pour savoir de quoi je suis vraiment fait, pour saisir l’intégralité de qui je suis. Au final, tu n’en connais encore que bien peu. Tu ne connais qu’un aspect de moi. Bon, au moins insister semble avoir marché puisque… Quoi ? Pourquoi tu t’en vas ? Oh, c’est la fin du tour ? Je veux bien aller lui parler moi-même.

« Hey ! »

Je me suis levé aussi et, ni une ni deux, lui ai attrapé le bras pour la retenir. Ça ne me plait pas. J’ai voulu être gentil, te donner une chance et te faire passer un bon moment et maintenant tu te mets en tête que t’as le droit d’aller ruiner le bonheur de Bertram en allant le confronter pour lui rappeler qu’il a embrassé un autre gars que son copain un soir après avoir bu ? Non. Il faudra d’abord te débarrasser de moi si tu veux faire quoi que ce soit à Bertram. Si tu penses pouvoir te mêler de tout ça et lui attirer des ennuis. Je lui ai promis que ça resterait entre nous et comme un con j’en ai quand même parlé à mon meilleur ami et depuis le Serdaigle m’en veut alors non. Ça ne va pas se passer comme ça. Moi vivant, jamais. Je ne veux pas empirer les choses. Je ne veux pas que mes actes ou mes pensées puissent lui porter préjudice de quelque façon que ce soit et ça peu importe à cause de qui.

« Tu devrais peut-être te rasseoir. »

Ou alors on devrait terminer cette conversation ailleurs.

Me détendre ? Plus facile à dire qu’à faire. En même temps je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Cette idée aussi de penser à Bertram et de juste me confier à une inconnue, carrément. Faut être particulièrement débile. Je m’en voulais, forcément. En tout cas on sait qui ici ne sera jamais Occlumens. Tu n’iras pas lui parler ? Parfait. Arrêter d’en parler tout court ? Parfait. On en a déjà trop parlé. J’aurais dû faire plus attention, me retenir davantage. Ça ne me ressemblait pas d’agir comme ça, ou alors c’est qu’à force de m’isoler et de tout garder pour moi j’avais fini par avoir vraiment besoin de m’ouvrir à quelqu’un. Besoin de faire confiance ou je sais pas quoi. Je sais pas, mais en attendant tu me certifies avoir pensé chaque mot, vraiment. Mon expression fermée se tempère. Avec ce sourire tu n’as pas l’air méchante, sans doute que tes intentions elles-mêmes ne sont pas si mauvaises que ça, mais je déteste que l’on me force à faire quoi que ce soit. Je le reconnais, je suis un borné. Je suis un blaireau.

Viens alors ton discours sur les esprits que tu visites chaque jour. Je suis gêné par ce qui s’apparente à des compliments, en quelque sorte. Je vais jusqu’à détourner les yeux, même si j’écoute toujours. Ça me fait plaisir, au fond. De savoir que j’ai réussi à ne pas être comme les autres, que j’ai réussi à te faire ce que je devine être une bonne impression. Que mes efforts pour passer outre mon introversion habituelle a réussi à faire une différence pour quelqu’un. J’ai peut-être réussi à te faire te sentir mieux, à te sentir plus acceptée, même si ce n’est qu’une quinzaine de minutes et même si la fin de cette conversation a pris une tournure plus amère. C’est au moins ça. Je ne pourrai peut-être pas prendre soin de Bertram moi-même, mais c’est au moins ça. Je ne suis pas totalement bon à rien.

Et là, les mots qui font mal. Je serre les dents, j’encaisse, mais ça frappe fort. En même temps, encore une fois, à quoi je m’attendais. J’ai fait aucun effort pour la maintenir en dehors de ma tête, j’ai préféré sacrifier mon intimité mentale pour faire plaisir, pour essayer de soulager le fardeau de quelqu’un qui, comme moi, est probablement tenu à l’écart par la majorité de ses pairs. Ce que j’ai fait pour mériter ça ? J’existe. Ce qui me fait croire que je ne vaux pas la peine qu’on prenne soin de moi ? Pourquoi est-ce qu’on prendrait soin de moi ? C’est à moi de le faire. C’est mon rôle à moi. C’est la seule façon que j’ai de compenser. Je… Je déglutis et je détourne les yeux. T’es encore en train de tout écouter là ? Est-ce que tu fais ça pour la même raison que moi ? Est-ce que t’essaie de m’aider parce que pour une fois, t’aimerais que cette capacité que t’as puisses aider quelqu’un au lieu de causer du tort ? Au fond, est-ce que tu as vraiment besoin de me demander pourquoi je suis comme je suis ou est-ce que tu le comprends ?

À moi de prendre soin de moi ? Non, t’as pas compris. C’est mon rôle de prendre soin des autres. Je n’ai pas besoin qu’on prenne soin de moi. Et le petit reproche : mais tu ne le fais pas. Je me renfrogne. Je ne peux pas dire que tu as tort, j’avoue. En même temps… Je ne sais pas. Je suis comme je suis depuis si longtemps, je ne sais pas comment faire autrement. Au moins tu sembles décidée à en rester là. Ce n’est pas plus mal, moi non plus je ne saurais pas quoi apporter de plus. Peut-être avons-nous épuisé ce fil de discussion. Pour répondre à ma question : la legilimancie est une malédiction. Je me fais plus sérieux, plus à l’écoute, surtout quand elle dit toujours comprendre les autres, mais ne jamais être comprise. La fin a d’ailleurs le mérite d’être assez dure, pour ne pas changer des autres interventions de Fenry. Une âme qui a envie de rester morte.

« Attends, Fenry. »

Je cherche un peu mes mots, je ne veux pas dire de bêtise ou l’éloigner encore plus. Elle semble être quelqu’un de bien et c’est vraiment malheureux de ne jamais trouver d’endroit où on la comprend, où elle peut se sentir bien et acceptée comme elle est. Peut-être que j’ai pas réussi si bien que ça finalement.

« J’ai pas besoin d’être sauvé de toute manière alors, t’as pas à le faire. Par contre rien ne nous empêche de parler de toi. Ce sera un peu plus compliqué parce que je ne peux pas lire dans ta tête, mais je peux quand même t’écouter parler. Je garantis pas que je vais réussir à comprendre l’entièreté de qui tu es en cinq minutes parce que c’est simplement pas possible, mais je peux au moins essayer. »

Enfin, c’est peut-être pas une bonne idée pour autant d’insister si vraiment elle fatigue. Je suis introverti, je comprends le besoin d’aller récupérer son énergie en solitaire. Et encore, j’entends pas les pensées des gens, heureusement. Entre leurs odeurs et leurs bruits et ma sensibilité habituelle, ce serait bien le comble si en plus je devais me farcir les pensées de tous.

Comme ça parler d’elle ne m’aidera pas à la comprendre ? Quelque part je n’ai pas envie de remettre sa parole en doute, mais en même temps je suis sceptique. Puis ça ne coûte rien d’essayer, n’est-ce pas ? Sans compter qu’on a plus de chances d’y arriver en essayant qu’en n’essayant pas. Et l’histoire commence. Je me fais sérieux, attentif et m’engage dans une écoute active. Ma mère n’est pas devenue muette, mais je peux au moins comprendre la partie où elles se sont fait abandonner par le père de Fenry. Par contre si j’avais perdu ma mère… Je ne sais pas comment j’aurais fait pour passer au travers de ça et je suis loin de me douter de tout ce qui va suivre. Le père caché, la tentative d’assassinat de son cousin, sa meilleure amie qui l’a abandonnée et l’autre qui est morte aussi avant que Fenry n’ait pu recoller les morceaux. Et ça ne s’arrête pas. Un petit ami mort, assassiné, et un ami disparu. Et la révélation, l’explication surréaliste qui lui avait permis de trouver un sens à tout ceci. Elle était un personnage de fiction. Avec une histoire comme ça en même temps je veux dire. Est-ce qu’on pouvait vraiment l’en blâmer ?

Lorsqu’une tragédie se produit, c’est normal d’y chercher une explication, de vouloir comprendre, d’y chercher un sens. D’avoir besoin de se raccrocher à une logique quelconque pour pouvoir continuer à vivre. Et c’est ce que Fenry semblait avoir fait. C’est ce que n’importe qui aurait fait, surtout lorsque le sort s’acharnait avec tant de force dans un laps de temps que je devinais relativement court. C’était même impressionnant, à bien y penser, qu’elle soit encore capable de se présenter dans une activité comme celle-ci, comme le speed dating, et de garder le sourire. Un peu abasourdi par tant d’informations, je lâchai un soupir, passant ma main devant ma bouche. Que dire à ça ? Par où commencer ? Je suis tenté de me demander si tout ça s’est vraiment passé ou si elle ne me fait pas marcher, mais je m’en veux presque immédiatement. T’as pas plus insensible comme réaction, Ethan ? Sérieusement ? Et encore, j’ai rien vécu de tout ça. Comment ça a du être difficile pour elle d’accepter tous ces tours du destin, tous ces accidents, ces malchances et ces drames. Ouais, je sais ce que je dois dire en premier.

« T’as un courage énorme, un courage que j’ai pas. T’as raison, je peux pas comprendre, mais sache que j’ai beaucoup de respect pour toi. Je sais pas… Je sais pas comment j’aurais géré ça à ta place. »

Normal, après tout ça, qu’elle se sente incomprise et isolée. Je ne sais même pas si, à sa place, j’aurais eu la force de réessayer de me lier à quelqu’un. Après tout ce qu’elle avait vécu, n’importe qui aurait peur que ça se produise à nouveau, peur de laisser quelqu’un entrer dans son monde et risquer de le quitter après y avoir fait plus de dommages encore. Ou peut-être que, après un temps, c’était simplement devenu sa réalité. Que c’était plus facile à endurer parce qu’elle s’y préparait à chaque fois. Juste ça, en soi, c’était horrible. J’ai envie de lui demander si je peux faire quoi que ce soit, si je peux aider, je sais pas. Mais c’est dérisoire, n’est-ce pas ? Après tout ce qu’elle a vécu comment est-ce que je pourrais alléger tout ça ?