[SPEED-DATING] Socially Awkward Introvert is my middle name ft Melusine

Je l’admets, je commençais à regretter qu’il n’y ait pas d’horloge dans la Grande Salle. Depuis combien de temps j’étais ici à rencontrer étrangers après étrangers ? Et ça ne devenait jamais plus facile. Sitôt le délai écoulé, tout était à recommencer. On se présente, on donne son nom, son cursus, puis on reste là à faire des sourires awkward en se tournant les pouces et en posant des questions débiles. Certes, j’aurais aussi pu jeter un œil à mon pineapple, pour l’heure, mais ça aurait été franchement impoli. Aussi peu enjoué que je sois à l’idée de rester jusqu’à la fin, je n’étais pas tombé assez bas pour me permettre de bafouer la décence la plus élémentaire. Ainsi, pour essayer de passer le temps, je laissais parfois vagabonder mon esprit, entre deux rencontres. Je me demande ce que Bertram fait aujourd’hui. Peut-être était-il à la bibliothèque ? Ou alors peut-être qu’il profitait du week-end pour passer du temps avec son copain. Les mots d’Argus me revenaient : tu te fais du mal. Je sais, bro. Je sais.

Je m’installai à une nouvelle table, pas vraiment plus optimiste qu’à la précédente. À force les visages en deviendraient presque flous. Un petit effort, Ethan. Il doit te rester quoi, cinq ou six personnes à voir ? À tout casser ? Je tente donc de conserver une bonne posture, me motive à préparer mon sourire poli. Si ça se trouve j’aurai la chance de tomber sur quelqu’un d’intéressant cette fois. Ou quelqu’un qui parlera tellement que j’aurai même pas besoin d’en placer une. Ce serait pas mal, j’avoue. Une chose est certaine, j’en connais un qui va m’en devoir une. Mais bon, dans l’immédiat, voyons voir qui sera le ou la prochaine. C’était le moment de faire semblant d’être content d’être là et de répéter mon texte. Si ça continue il va bientôt me sortir par les oreilles.

« Ethan, enchanté. 19 ème, 9 ans, double DEMA Médicomagie et… euh… 19 ans. Pas 19 ème… Désolé. »

Je me passe une main dans les cheveux, mal à l’aise. J’en reviens pas. Bien joué. Dans un truc basé sur les premières impressions, c’bien la pire façon de commencer une rencontre. Espérons qu’on ne se moque pas trop de moi.

J’ai fait un faux départ. C’est parce que je ne suis pas assez concentré, que je suis un introverti en puissance et que ça m’use de faire des efforts encore et encore. Au moins la jeune femme à lunettes qui se trouve de l’autre côté de la table ne semble pas trop s’en formaliser. Mieux encore, elle sourit. Peut-être devrais-je commencer toutes ces rencontres avec une maladresse tiens, ça me faciliterait peut-être la vie. Son prénom, Melusine, a en tout cas le mérite d’être original. J’espère que je parviendrai à le prononcer sans faire de bévues, ce serait tout de même très gênant. J’apprends aussi que la rousse est en dixième année, d’un an mon aînée donc, et qu’elle fait une licence de langues magiques. Je peux pas dire que ça me parle beaucoup. Je devrais définitivement éviter les jeux de mots, ça ne me réussi pas.

Je ne pensais pas que je pouvais perturber les gens à ce point, c’est tragique presque. Je force un sourire pour encaisser la réplique, parce que je ne sais pas comment répondre autrement. Ce ne serait pas très poli de lui avouer que la vérité, c’est simplement que je suis très désintéressé de tout ça. Heureusement, la demoiselle au regard espiègle relance aussitôt les choses en m’assurant qu’elle ne fait que rigoler. Tant mieux, même que sa question me facilite les choses. Ça me permet, lorsque la parole me revient, de lui expliquer un peu le pourquoi du comment je suis ici.

« Ouais, c’est la première fois que je participe à un truc comme ça. Un ami m’a inscrit et je l’ai appris il y a… trois ou quatre heures. Je suppose que j’ai de la chance d’avoir des potes qui m’encouragent à me trouver une vie sociale. »

C’est peut-être moins bon ça, sous-entendre que, justement, je manque cruellement de vie sociale. Ceci étant dit, la formulation de sa dernière phrase me fait m’interroger. Elle veut savoir comment ça se passe ? Donc elle compte participer à d’autres rencontres de speed-dating dans l’avenir ? Ou alors c’est une Serdaigle un peu maso qui veut apprendre le fonctionnement des interactions sociales dans la recherche d’un engagement romantique ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir : poser la question.

« Les soirées speed-dating t’intéressent tant que ça ? Je veux dire, tu crois vraiment que tu peux y trouver un truc que tu cherches ? Quoi que ça doit dépendre de ce que tu cherches, justement. »

Pour voir naître des histoires ? Je suppose que ça doit avoir un certain attrait, sinon les livres et les films romantiques ne connaîtraient pas un tel succès. Après n’était-ce pas dommage de seulement voir le début ? De ne pas voir le voyage, les épreuves traversées, les compromis et les progrès. Enfin, sauf si elle avait aussi dans l’idée de stalker ces couples, mais j’osais espérer que ce n’était pas le cas. Je me contente donc de lui répondre un sobre

« Je vois. »

Car quelque part c’est le cas, même si je suis sceptique. Ou peut-être que c’est simplement pas mon genre à moi. J’admets que je préfère les trucs plus sci-fi. Ou les thriller. La demoiselle continue toutefois sur sa lancée, explique qu’elle est là parce que d’autres espèrent vraiment. Quand on y pense c’est comme de la télé-réalité, mais aux premières loges. Il y a de pires raisons d’être ici. Après difficile de regarder bourgeonner les relations des autres quand on participe soi-même et qu’on doit parler avec des inconnus pour de vrai. Puis elle retourne la conversation dans ma direction, me demande si je pense trouver quelqu’un aujourd’hui. La première réponse qui me vient, c’est que même si je pouvais je n’en aurais pas envie. Ça aurait le mérite d’être vrai, mais Gus serait déçu de moi. Ça revient à me faire du mal, n’est-ce pas ? Alors je prends sur moi, j’essaie de faire un effort. De me forcer à voir les choses de manière plus ouverte. J’ignore si ce sera convaincant, mais on ne pourra pas dire que je n’ai pas essayé.

« Des amis peut-être ? Mais sans plus. Je ne suis pas de ceux… qui s’attachent aussi facilement. Je préfère apprendre à connaître les gens, avoir des conversations sur des sujets un brin plus profonds que la météo ou le cursus scolaire. Sans compter que la plupart sont là pour se vendre, pour montrer le meilleur côté d’eux-mêmes en l’exagérant si nécessaire. C’est pas le genre de truc qui m’intéresse. Je préfère voir le vrai visage des gens, apprendre à aimer leurs défauts. Je pense pas que je trouverai ça ici. »

Ou en tout cas je serais vraiment impressionné, si quelqu’un osait m’exposer ses défauts d’entrée de jeu. Ça aurait le mérite de m’intéresser un minimum en tout cas, et de marquer mon esprit. Ceci dit j’ai aussi envie de réagir à ce qu’elle a dit, de montrer que j’y portais vraiment attention et que je suis capable d’y contribuer mon propre point de vue.

« Et d’ailleurs je ne pense pas que qui que ce soit puisse trouver ça ici. Même si des couples se formaient aujourd’hui, je suis d’avis qu’ils ne vont pas durer longtemps. Pas sans efforts particuliers en tout cas. Après peut-être que tu vois les choses autrement ? Ou que ça ne te dérange pas et que seul le début de ces relations t’intéresse ? Enfin, je ne sais pas, j’ai du mal à voir l’attrait des relations de courte durée. C’est peut-être moi qui suis atypique, ce serait pas la première fois. »

Puis je suis un Poufsouffle. Loyauté, efforts, tout ça.

Pour quelqu’un qui s’est présenté ici avec le moins d’attentes possibles, j’avoue que je suis agréablement surpris. La conversation est très intéressante, très profonde, et c’est le genre de choses que j’aime. Peut-être que ça me rend chiant, peut-être que ça souligne ma tendance à vouloir trop réfléchir, mais en attendant ça me plait bien. Comme ça elle s’est déplacée spécifiquement pour les masques des gens ? C’est particulier. Quoi que c’est aussi vrai que l’on peut en apprendre sur les gens en étudiant les illusions qu’ils nous offrent. On découvre ce qu’ils aimeraient être, ce qu’ils désirent projeter. Ça a son intérêt, mais une relation ne peut être basée là-dessus, pas à mon humble avis en tout cas. Ceci dit je reste silencieux à mon tour, j’écoute la suite pour lui retourner la faveur, la laisser terminer avant de juger ou d’apporter mon grain de sel.

Mélusine évoque les gens désespérés, ceux qui feraient n’importe quoi pour de la compagnie durable. Est-ce son cas ? Ou alors cherche-t-elle quelqu’un qui fera tout pour qu’elle reste ? Je ne la connais pas assez pour en tirer de telles conclusions et, bien vite, elle bifurque vers un autre angle. S’ils souhaitent vraiment quelque chose de ces rencontres, peut-être seront-ils justement capables de fournir les efforts nécessaires pour que leur relation dure dans le temps ? En soit ça fait du sens. Je serais tenté d’être d’accord en tout cas, mais ça ne me semble pas non plus aussi simple. Je repense à ma conversation avec Wendy et à ce qu’elle me disait sur le fait de s’attacher aux gens. De vouloir que tout reste pareil, le désir de posséder. La façon avec laquelle elle m’expliquait que le véritable amour se devait d’être désintéressé. Je suis tenté d’appliquer ça ici.

« C’est certain qu’avec assez de motivation viennent les efforts, mais est-ce suffisant pour qu’une relation fonctionne ? Car oui, les efforts c’est bien, mais encore faut-il qu’ils soient dirigés au bon endroit. Quelqu’un qui chercherait une relation simplement pour ne plus être seul ferait probablement des efforts en ce sens, pour ne plus être seul justement. Mais pour qu’une relation fonctionne, est-ce qu’il ne serait pas mieux de faire des efforts pour que la personne que l’on aime soit heureuse ? Est-ce qu’on aime vraiment quelqu’un si l’unique chose qui nous pousse à faire des efforts pour rester en sa compagnie, c’est la peur d’être seul à nouveau ? »

Bien joué, Ethan, comme toujours tu as réussi à réfléchir trop et à rendre des trucs très simples plus compliqués qu’ils n’ont besoin de l’être. Je passe une main contre ma nuque, un peu gêné de réaliser que je vais très loin dans ces réflexions et que cette conversation a prit une tournure pour le moins atypique.

« Enfin, désolé. C’est parti très loin tout ça. J’aimerais bien jouer le jeu pour t’éviter de perdre ton temps, mais je ne suis pas très doué pour porter un masque. »

Au moins elle ne semble pas gênée par mon incapacité à porter un masque pour feindre d’être ce que je ne suis pas. C’est tant mieux j’ai envie de dire, considérant que je ne sais absolument pas comment m’y prendre pour ces choses-là. Je n’ai pas vraiment d’expérience dans le domaine amoureux, pour des raisons de sécurité surtout. Enfin, et parce que la dernière fois ça a assez mal tourné et que voilà. Bref. Valait encore mieux ne pas penser à tout ça. La rousse m’accorde ensuite le point sur les relations basées sur les mauvaises motivations, mais ne les condamne pas totalement. À la place, elle continue en évoquant les façons dont devraient débuter les relations amoureuses. La seconde option, la drague, m’étant totalement étrangère, mon avis est vite fait, cependant je suppose que ce n’est pas pareil pour tout le monde vu que ça a l’air de bien marcher pour les autres.

« Oui, je suppose que tu as raison là-dessus. »

Et on dirait bien que le sujet va s’arrêter là puisque Melusine me propose de parler d’autre chose, considérant qu’elle est ouverte à toutes discussions. Eh merde. Je n’ai pas d’idées, évidemment. La rousse a l’air d’être une personne intéressante et je suppose que, si j’avais le temps d’y penser, j’aimerais avoir son avis sur d’autres sujets également pour confronter ma propre vision des choses à celle de quelqu’un d’autre, mais dans l’immédiat ce n’est pas évident. Je ne suis pas un adepte de small talk, je n’aime pas parler pour ne rien dire. Je passe donc une main contre ma nuque par nervosité et saute sur le premier truc qui me vient en tête. C’est cliché et sans doute ridiculement barbant, mais au moins c’est une question.

« Et sinon du coup tu te destines à quel genre de métier ? »

Elle t’a déjà dit qu’elle étudiait en langues, non ? Enfin, c’était bien en langues ? Ou alors c’était en droit magique ? Trop de rencontres en une journée ça ne me réussi pas. Je dois trouver autre chose, me rattraper, adoucir l’impact de mon incapacité à tenir une conversation plus de 10 minutes avec une parfaite inconnue. La solution de rechange ? Voyons, quand on me connait un peu c’est évident.

« Et tu aimes la musique ? »

Au moins j’ai fait un effort et c’est ce qui compte. N’est-ce pas ? Espérons que ça marche au moins.

Comme ça la rousse se destine à un avenir sous le signe du voyage ? Voilà qui est intéressant et, je l’admets, qui me rend un peu envieux. C’est quelque chose qui ne m’aurait pas déplu, même si mes motivations auraient été autres que l’étude des peuples d’ailleurs. Je suis plus du genre travail humanitaire, je l’avoue. Un peu ironique, peut-être bien, pour un semi-vampire. Enfin, Melusine attend sans doute une réponse pour lui signifier que je suis intéressé parce qu’elle dit et que je l’écoute toujours attentivement.

« Ça a l’air sympa comme projet. »

Puis ça parle de musique et, fidèle à moi-même, je me sens devenir tout de suite plus investi. Enfin, pas que le sujet précédent n’ait pas été captivant, mais dès qu’on parle de musique c’est plus fort que moi. Je pourrais probablement en parler toute la journée, si on m’en donnait l’occasion. C’est donc avec plaisir que je découvre son amour du jazz, de la musique classique et tout particulièrement des solos de piano.

« Je comprends. Moi c’est les solo de violoncelle, pour l’étude. Et du vieux rock. »

Je l’admets avec un peu de gêne. Pas que j’aie honte, mais je me vois mal commencer à parler de Black Sabbath, Iron Maiden, Scorpions ou encore Led Zeppelin ou des Rolling Stones avec une adepte de la musique classique. Et ne parlons même pas de Nirvana ou Bauhaus. Faut sans doute être un brin bizarre pour écouter ce type de musique pour se détendre et ou pour accompagner l’étude. Mais bon, j’aime ce que j’aime, tout bêtement. Sa dernière question, ceci dit, me crée un embarras plus réel. Ais-je déjà voyagé ? Si non, est-ce que j’aimerais ? Ma main droite se passe nerveusement contre ma nuque.

« Non, j’ai jamais vraiment… Mais j’aimerais beaucoup ça. C’est juste compliqué avec… mon état de santé. J’ai une diète assez spécifique à suivre alors ça complique un peu… »

Dis comme ça on dirait que je suis malade. C’est pas le cas pourtant. Enfin, certains m’ont déjà considéré comme une monstruosité abominable, mais certainement pas comme un frêle malade qui a besoin d’être cajolé et protégé. Peut-être que je devrais lui en parler, d’ailleurs. C’est un peu gros comme détail pour l’omettre dans un contexte où on est supposés faire connaissance. Je vais bien de voir me jeter à l’eau tôt ou tard et je crois bien que c’est maintenant. Ne me restera plus qu’à attendre le verdict.

« En vérité je suis… un semi-vampire. »