Donne tes larmes ❞ ft. Romeo

Romeo n’apprécie pas qu’on ombrage la couronne dont il s’est lui-même hautement paré.
Salem – il défie toutes les lumières du regard. Sa couronne à lui est sincèrement altière ; son agrément, très nettement suprême. Or sur scène il n’y a qu’un seul trône, qui appartient au plus souverain – mais si Romeo est coiffé de ronces, Salem est tout couvert d’or.

Ah ! Salem – est la silhouette si désirée – profil nettement brisé, fossettes de jais et œillades vaporeuses – il a l’allure d’un homicide, et nul doute possible – il attentera noblement à la maîtrise de Romeo si celui-ci ne défend pas son royaume dramatique avec conviction)
Oui ! Salem est beau, ah ! – à en pleurer d’envie, mais les garçons ne pleurent pas, n’est-ce pas – alors le ( petit ) prince Romeo se contemple de siffler au passage du nouveau roi – espérant éclabousser ses nobles parures d’un peu de ces fards grossier avec lesquels on se déguiser pour tromper – mais il n’est pas possible de rivaliser avec ce césar né des nuées, ça, Romeo l’a appris par cœur – pourtant, qu’est-ce qu’il aime le détester, Salem, oui, il l’admire à enrager, parce qu’il mérite tous ses regards énamourés – et Romeo est si bon public, qu’il a même appris à huer.

― Romeo !

L’envie le rattrape.
Romeo fait mine de ne point admirer l’émir de tous ses ombrages amicaux ; il lisse un peu sa robe, classe encore les feuillets parfaitement classés du scénario en cours – tente en ignorant l’appel de s’approprier un peu de l’allure de son resplendissant rival.

― Ça n'a pas l'air d'aller entre nous.

Evidemment – Salem a la réplique juste, et l’intonation bien comme il faut - courtoisement implacable, convenablement inéluctable – toujours trop parfait, et Romeo, toujours un peu perfide – car il lui faut bien défendre dramatiquement. son royaume

« Comment ? » (pause) « mais Salem, qu’est-ce qui te fait dire ça ? »

Il joue bien Romeo – il penche un peu la tête sur le côté, oooh, il a le regard interrogateur du trompeur qu’on ne trompe pas, aaah, et la bouche en cœur d’Eglise discrète, des onomatopées démunies au coin des lèvres qu’il est tout prêt à chantonner à l’oreille du spectateur – c’est qu’il joue bien Romeo c’est vrai
un peu trop bien quand il est coupable en vérité –

― Ces derniers temps, tu te permets de me faire des remarques désobligeantes. Pourquoi ?

« Vraiment je suis confus Salem, je ne vois absolument pas de quoi tu veux parler... (et il brave avec aplomb les orbes ombrageuses du coup-d’Etat-Salem, et il toise de toute son infériorité la splendeur théâtrale qu’est son roi-rival, l’hôte de ses abois, parce qu’il pense encore qu’être audacieux lui épargnera la répudiation) – oh, c’est vrai que j’ai pu faire quelques blagues par-ci par-là mais – c’était juste pour te taquiner, hm ? ~ Il ne faut pas le prendre sérieusement, d’accord ? C’est vraiment juste pour rire ! »

Et il signe là sa comédie d’un sourire de masque, pour s’abuser (de) lui-même – car il sait bien au fond qu’ici c’est lui l’histrion – et que Salem est bien au-delà de toutes les vanités que Romeo peut bien lui souffler depuis les coulisses.
Il veut juste gagner du temps – une scène, un acte peut-être – en attendant que rouvre le côté cour, afin qu’il puisse s’y échapper, lui qui n’est qu’une pauvre parodie de celui qu’il aime, et qu’il envie...